Sommaire
IDes universités médiévales aux communautés scientifiques des XIXe et XXIe sièclesAInnovations et limites des universitésBLa diffusion du savoir et le décloisonnement du monde (XVe-XVIIIe siècles)CLa naissance et le développement des communautés scientifiquesIIVers une économie et une « société de la connaissance »ALa « société de la connaissance »BDes enjeux économiques et géopolitiques majeursDepuis 5 000 ans, les hommes ont mis au point des structures, des instruments, mais aussi des concepts pour interpréter et maîtriser le monde. La connaissance du monde s'est améliorée, complexifiée et étendue au point de devenir, au XXIe siècle, une science mondialisée. La pensée du théologien et philosophe Bernard de Chartres (vers 1070-vers 1125) - « Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons ainsi davantage et plus loin qu'eux, non parce que notre vue est plus aiguë ou notre taille plus haute, mais parce qu'ils nous portent en l'air et nous élèvent de toute leur hauteur gigantesque. » – reprise par Isaac Newton en 1676, est toujours d'actualité. La connaissance est aujourd'hui un enjeu majeur à l'échelle mondiale, tant en termes économiques que géopolitiques, les recherches sur l'intelligence artificielle en étant un exemple emblématique.
Dans quelle mesure les mutations scientifiques et les acteurs de la construction et de la circulation du savoir ont-ils permis la naissance et l'épanouissement d'une « société de la connaissance » ?
Des universités médiévales aux communautés scientifiques des XIXe et XXIe siècles
La construction du savoir et des connaissances a connu, depuis le Moyen Âge, des mutations non négligeables tant par la diversité de ses acteurs que par l'évolution de ses modalités. Elle s'est progressivement détachée de la théologie, longtemps restée la discipline structurante. L'imprimerie, à partir de la seconde moitié du XVe siècle, a permis une plus grande diffusion du savoir, aidée en cela par le rôle des académies et des sociétés savantes. À partir du XIXe siècle, la spécialisation du savoir est plus flagrante, étant liée à l'extension des connaissances, mais aussi aux mutations économiques. Le travail se fait de plus en plus de manière collégiale et à l'échelle internationale, permettant ainsi la naissance du concept de « communauté scientifique ».
Innovations et limites des universités
La construction du savoir s'est développée grâce à la création des universités en Europe, durant le Moyen Âge. Ce savoir est dominé par la théologie.
Le programme scolaire est le suivant :
- Dans un premier temps, entre 14 et 20 ans, on étudie les arts libéraux. Ils sont composés du Trivium (« 3 chemins ») et du Quadrivium (« 4 chemins »). Le Trivium correspond au pouvoir de la langue : grammaire, rhétorique (art de l'expression) et dialectique (art du raisonnement). Le Quadrivium correspond au pouvoir des nombres : arithmétique, géométrie, musique et astronomie.
- Ensuite, dans la perspective du doctorat, il y a des spécialisations : la théologie, considérée comme la source de tout savoir, puis le droit et la médecine.
Le rôle de la papauté dans la création des universités européennes a été capital.
Parmi les 44 universités créées avant 1400, 31 ont été créées par le pape.
La diffusion du savoir et le décloisonnement du monde (XVe-XVIIIe siècles)
L'imprimerie est une innovation du XVe siècle au service de la diffusion du savoir. Le rôle des académies et des sociétés savantes est également primordial dans la diffusion du savoir et le décloisonnement du monde.
L'imprimerie est le facteur d'une véritable révolution dans la diffusion du savoir.
Période | Nombre d'ouvrages | Nombre d'exemplaires |
1450-1500 | 30 000 | 15 millions |
XVIe siècle | 150 000-200 000 | 150 millions |
Les humanistes de la Renaissance ont permis un renouvellement du savoir par la redécouverte de l'Antiquité gréco-latine. Ce renouvellement se prolonge globalement en dehors des universités avec la naissance et le développement des académies des sciences et des sociétés savantes à partir du XVIIe siècle. C'est un mouvement à l'échelle européenne.
En 1660, la Royal Society of London est fondée par Sir Christopher Wren qui enseigne l'astronomie. Il réunit autour de lui une douzaine de scientifiques qui partagent son intérêt pour les sciences. La société est approuvée par le roi Charles II. Isaac Newton (1643-1727) y entre en 1672, à l'âge de 29 ans, avant d'en assurer la présidence de 1703 jusqu'à sa mort.
Ces académies sont caractérisées par :
- un soutien, notamment financier, du roi et donc de l'État ;
- une conception universaliste du savoir ;
- une diffusion du savoir scientifique à l'échelle de l'Europe et même entre l'Europe et les jeunes États-Unis.
Cette diffusion du savoir et des connaissances s'effectue par les échanges intellectuels, les traductions et la vulgarisation.
- Le philosophe français Jean-Baptiste d'Alembert (1717-1783) est élu membre de la Société royale de Londres en 1748, alors qu'il est déjà membre de celle de Paris depuis 1742 et de celle de Berlin depuis 1746.
- Le chimiste Antoine Lavoisier (1743-1794) est membre de la Société royale de Paris (1778) et de celle de Londres (1788).
Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, on assiste à l'émergence, à l'échelle européenne, d'une « république des lettres », caractérisée par la collaboration et les échanges entre les scientifiques et la diffusion du savoir scientifique. L'expression « des lettres », au XVIIIe siècle, sert aussi à désigner les hommes des sciences : il n'y a pas de séparation entre les sciences et les lettres comme aujourd'hui. L'édition de l'Encyclopédie (1751-1772) et son succès en sont l'illustration.
La naissance et le développement des communautés scientifiques
La spécialisation du savoir est de plus en plus liée à l'extension des connaissances et aux mutations économiques. Le travail se fait davantage en équipe et à l'échelle internationale. Le concept de « communauté scientifique » apparaît, allant vers la mise en place de valeurs communes.
L'extension du savoir engendre une spécialisation pour mieux le maîtriser. De plus, on a un savoir qui répond également à des besoins économiques, eux-mêmes liés aux révolutions industrielles.
Les lieux et les acteurs changent : on assiste au renouveau des universités comme lieux de la recherche fondamentale, des investissements massifs des entreprises dans la R&D (Recherche & Développement) qui intègrent en leur sein des laboratoires de recherche et le développement d'institutions entièrement dédiées à la recherche scientifique, financées par l'État.
Le rôle des entreprises dans la recherche appliquée et les innovations
L'entreprise allemande Bayer a énormément investi pour réussir la synthèse de l'indigo, c'est-à-dire la fabrication de manière chimique du bleu indigo qui permet notamment de colorer les jeans :
- coût du laboratoire : 1,5 million de Deutsche Marks ;
- durée entre la découverte du principe et l'application industrielle : 17 ans (1880-1897) ;
- coût des recherches : 1 million de £.
De nouvelles institutions – grandes écoles, centres de recherche, etc. - dédiées à la recherche scientifique et financées par les États sont créées pour des projets de grande ampleur (recherche nucléaire, spatiale, etc.).
En France sont créés :
- l'École polytechnique (surnommée l'X) en 1793 ;
- l'École centrale en 1829 ;
- l'École des mines (plusieurs établissements au XIXe siècle) ;
- le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1939 ;
- le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en 1945 ;
- le Centre national d'études spatiales (CNES) en 1959.
De plus en plus, le travail se fait en équipe.
1901-1950 | 1950-2016 | |
Prix Nobel de physique accordé à une seule personne | 36 sur 50 | 13 sur 67 |
On commence à parler de « communauté scientifique ». Cette dernière désigne l'ensemble des chercheurs, mais aussi du personnel qui participe à la recherche et les valeurs partagées par les scientifiques :
- universalisme ;
- collectivisme : tout savoir est un héritage, d'où la nécessité de la circulation de ce savoir et sa transformation en un bien commun de l'humanité ;
- désintéressement ;
- esprit critique : critères empiriques (basés sur l'expérience) et logiques ;
- évaluation par les pairs, c'est-à-dire par d'autres scientifiques.
« Ce qui est important c'est de ne pas s'arrêter de questionner. »
Albert Einstein
Vers une économie et une « société de la connaissance »
Le savoir devient un enjeu central au cours du XXe siècle. En 1969, Peter Drucker est le premier penseur à élaborer le concept de « société de la connaissance », comprenant que la révolution des nouvelles technologies de l'information allait changer notre rapport au savoir et sa diffusion, et même transformer le savoir en enjeu majeur, tant économique que géopolitique.
La « société de la connaissance »
Le savoir devient un enjeu central au cours du XXe siècle. La révolution des NTIC pose la question suivante : sont-elles au service d'une société plus savante ou plus fragile ?
Au cours du XXe siècle, une vaste réflexion est menée sur le rôle du savoir dans les mutations économiques. Le rôle de l'innovation et du progrès technique est mis en valeur par l'économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950). L'importance de la connaissance est révélée par les travaux du penseur polyvalent autrichien Peter Drucker (1909-2005), tant dans ses analyses de management (importance de l'innovation et du marketing) que dans celles de l'économie (importance de la connaissance comme facteur déterminant de la croissance économique). Il a abouti à la création du concept de « société de la connaissance », une société marquée par le développement des technologies de l'information et de la communication à faible coût, permettant une très forte diffusion du savoir.
Cette société de la connaissance permet une prime à la créativité et au « capital humain », entendu comme un ensemble des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être et mis en valeur par les expériences de voyage, les activités artistiques, les engagements associatifs, les MOOC (Massive open online course : cours en ligne).
Ces innovations permettent une société plus savante par un accès plus facile et massif aux savoirs universitaires via les MOOC des grandes universités mondiales, les sites de revues spécialisées, les encyclopédies en ligne dont Wikipédia est l'exemple emblématique par son innovation (l'enrichissement par tout le monde). Mais la fiabilité des informations est parfois fragile selon les sites.
Wikipédia (2001) est une encyclopédie collaborative en ligne et gratuite :
- 30 millions d'articles ;
- 280 langues ;
- 600 millions de visites par mois.
Cette faiblesse de la fiabilité des connaissances rend les sociétés plus fragiles par l'accès plus facile et rapide aux fausses informations, aux thèses complotistes et aux rumeurs. Dans le cadre de sociétés ouvertes et démocratiques, il y a un réel risque de manipulation et de déstabilisation comme le montrent les élections américaines de 2016.
Des enjeux économiques et géopolitiques majeurs
La privatisation de l'« économie de la connaissance » et les inégalités dans l'accès au savoir sont des enjeux économiques et géopolitiques majeurs.
La privatisation de l'économie de la connaissance s'effectue par divers moyens :
- des formations en ligne payantes (MOOC ou entreprises privées de cours à distance, etc.) ;
- investissements des GAFAM dans l'intelligence artificielle (IA).
Entre les centres et les périphéries, on observe des inégalités de l'alphabétisation et de l'accès au savoir. Il y a de fortes inégalités entre les pays riches et émergents (Union européenne, États-Unis, Chine, Japon, Corée du Nord et Inde) et les Pays les moins avancés (PMA). Par ailleurs, le fossé numérique à l'échelle mondiale est réel et dramatique.
Près de 95 % des foyers aux États-Unis disposent d'un accès à Internet contre 12 % en Afrique centrale.
Les investissements dans la R&D sont à l'image des inégalités de puissance (États et entreprises mondiales). Les États les plus innovants en 2019 sont la Suisse, la Suède, les États-Unis, les Pays-Bas, le Royaume-Uni. Ceux qui ont connu les plus fortes progressions entre 2018 et 2019 sont les États-Unis et la Chine. L'intelligence artificielle (IA) est un excellent exemple de la connaissance et de la puissance de demain.
Intelligence artificielle (IA)
L'intelligence artificielle (IA) désigne l'ensemble des concepts et techniques qui travaillent à mettre en œuvre des machines capables de simuler l'intelligence et de se substituer à celle de l'homme.
La Chine a massivement investi dans la recherche fondamentale : elle a réussi à rattraper les pays les plus avancés et même à en dépasser certains. Mais elle est fragilisée par une certaine dépendance envers les États-Unis et les travaux des Chinois, revenus de l'étranger, la qualité de l'enseignement dans ses universités, la langue compliquée à apprendre pour des étrangers, les restrictions de liberté et d'esprit critique face au pouvoir, qui sont autant de limites à la créativité.
L'atout majeur des États-Unis réside dans leur capacité à attirer les chercheurs du monde entier et les investissements importants. L'Union européenne est, elle, en retard.
« L'Europe doit être à la table des grands avec les États-Unis et la Chine. Mais elle ne peut le faire que si elle est forte, ce qu'elle n'est pas pour le moment. Si nous ne maîtrisons pas la situation, cette rivalité coopérative deviendra hostile. Alors, nul ne sait ce que sera le XXIe siècle. »
Tony Blair, ancien Premier ministre britannique
Le Monde
novembre 2019