Sommaire
ILa justice à l'échelle locale : les tribunaux gacaca face au génocide des TutsiALa situation au Rwanda avant le génocideBLe génocide des TutsiCJuger les coupablesIILa construction d'une justice pénale internationale face aux crimes de masse : le Tribunal pénal international pour l'ex-YougoslavieALa situation en Yougoslavie avant la guerreBLes crimes de masse en ex-YougoslavieCJuger des crimes de masseLa fin de la guerre froide a engendré l'espoir d'un nouvel ordre international fondé sur la paix et le respect du droit international. Or, deux conflits régionaux réduisent à néant cet espoir. La guerre au cœur des Balkans, en Yougoslavie de 1991 à 1995 et le conflit au Rwanda en 1994. Dans les deux conflits, on retrouve la volonté d'anéantir une partie de la population. La création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie dès 1993, sans attendre la fin du conflit, traduit une volonté de ne pas laisser impunis les crimes commis. Le gouvernement rwandais a mis en place « un laboratoire de justice » associant une justice traditionnelle, les gacaca, aux justices nationale et internationale.
Ces deux conflits illustrent le dilemme de la justice et de la paix : rendre la justice risque de se faire au détriment du maintien de la paix, rétablir la paix et la sécurité risque de se faire au détriment de la justice.
La justice à l'échelle locale : les tribunaux gacaca face au génocide des Tutsi
Le génocide du Rwanda de 1994 est perpétré par une majorité hutu contre une minorité tutsi. Il a lieu dans un contexte politique très violent. C'est un génocide particulier, un massacre de masse opéré par des êtres humains qui se connaissent et se côtoient au quotidien. Pour juger ces crimes, l'État rwandais a fait le choix de tribunaux traditionnels, les gacaca : les auteurs sont jugés par ceux qui ont vécu le génocide.
La situation au Rwanda avant le génocide
Le Rwanda est un petit pays qui souffre d'une division ethnique entre les Hutu et les Tutsi. La situation politique du pays est instable et violente. Dans les années 1990, on observe une radicalisation des discours et de la haine entre les deux ethnies, particulièrement des Hutu à l'égard des Tutsi. C'est dans ce climat que le génocide va être rendu possible.
En 1990, le Rwanda est un petit État de 26 000 km2 et de 7 millions d'habitants avec de fortes densités de population. C'est une ancienne colonie allemande, passée à la Belgique en 1922. Le Rwanda acquiert son indépendance en juillet 1962.
Le pays est divisé entre deux ethnies, les Hutu et les Tutsi. Les Hutu sont majoritaires, les Tutsi sont moins nombreux. La différence entre les deux ethnies a été particulièrement soulignée par les colonisateurs belges. Ils souhaitent diviser la population pour mieux la hiérarchiser et la dominer :
- Le pouvoir monarchique et l'aristocratie sont formés par les éleveurs de gros bétail, les Tutsi, une minorité représentant environ 14 % de la population.
- La majorité de la population, 85 %, est composée d'agriculteurs, les Hutu.
On raconte que les Tutsi seraient venus d'Éthiopie et auraient imposé leur domination aux Hutu. Dans la réalité, des Tutsi sont pauvres et des Hutu peuvent rejoindre l'aristocratie. Les deux ethnies parlent la même langue, partagent les mêmes croyances, la même culture, les mêmes clans, la même histoire depuis des siècles. Un Hutu peut devenir un Tutsi et inversement.
Il y a également une ultra-minorité, plutôt d'artisans, les Twa, peuple pygmée (1 %).
Les Belges ont privilégié les Tutsi, les estimant plus intelligents. Les Tutsi ont été favorisés dans l'accès à l'école et aux postes administratifs. Les Belges mettent en place une carte d'identité avec la mention « ethnique » en 1931. Ces privilèges attisent la haine des Hutu. Dès 1959, la minorité tutsi est victime de violences et de tueries. Afin que le mécontentement des Hutu ne se dirige pas vers eux, les Belges les soutiennent lorsqu'ils prennent le pouvoir. Lors de l'indépendance, en 1962, les Hutu sont donc au pouvoir et les Tutsi sont déjà victimes de violences.
Une deuxième vague de violences en 1963-1964 cause la mort de 20 000 Tutsi. Près de 300 000 Tutsi s'exilent. En 1973, la moitié des Tutsi vit en exil.
Le général Juvénal Habyarimana arrive au pouvoir en juillet 1973 suite à un putsch. Les gouvernements successifs appliquent des discriminations envers les Tutsi.
En octobre 1990, le Nord du pays est attaqué par les forces du FPR, le Front patriotique rwandais. Ce mouvement a été créé par Paul Kagame en Ouganda avec les exilés tutsi en 1987. Le FPR réclame le retour des Tutsi et la possibilité de se présenter aux élections, ce qui déclenche une guerre civile. Sous la pression internationale, en juin 1991, le multipartisme est mis en place, ce qui ne plaît pas aux Hutu extrémistes. Ils développent des discours et des pratiques de haine à l'encontre des Tutsi et des Hutu modérés.
Parallèlement, des négociations s'ouvrent en Tanzanie en juillet 1992 avec le FPR. En août 1993, elles aboutissent aux accords d'Arusha. Ces accords prévoient :
- le retour des réfugiés ;
- l'entrée du FPR dans le jeu politique.
Ce gouvernement de transition est inacceptable pour les extrémistes hutu et son application est sans cesse reportée. Une mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda est lancée en octobre 1993 pour assurer l'application des accords. Elle est commandée par le général canadien Roméo Dallaire avec 2 500 hommes. Toutefois, elle n'évite pas le génocide.
Le génocide des Tutsi
Le génocide du Rwanda est perpétré par une majorité hutu contre une minorité tutsi. L'historienne Hélène Dumas a utilisé l'expression de « génocide des voisins » ou « génocide de proximité » pour le caractériser. C'est un massacre d'une ampleur, d'une violence et d'une rapidité inégalées.
Génocide
Un génocide est l'extermination méthodique d'un peuple pour le faire disparaître totalement.
Le 6 avril 1994, l'avion qui transporte le président Juvénal Habyarimana est abattu par un tir de missiles avant son atterrissage à Kigali, capitale du Rwanda. Une faction extrémiste, le Hutu Power, s'empare du pouvoir et accuse les Tutsi d'être les auteurs de l'attentat. En réalité, il a été commis par des extrémistes hutu. Les massacres contre les Tutsi commencent dans la nuit du 6 au 7 avril 1994.
Le génocide est particulièrement frappant par son ampleur, sa violence et sa cruauté ainsi que sa rapidité. Il conduit aux meurtres d'hommes, de femmes et d'enfants par d'autres hommes, femmes et enfants. Les armes utilisées sont diverses : des armes automatiques, des fusils, des grenades, des armes de chasse (arcs, lances) et des outils agricoles (machettes, serpettes, etc.).
Le génocide dure 100 jours, mais la majorité des victimes ont été assassinées au cours des trois premières semaines. On estime que 54 % des victimes sont des femmes et des enfants de moins de 15 ans.
Le génocide des Tutsi a fait entre 800 000 et 1 million de victimes, soit les \dfrac{3}{4} de la population tutsi.
Le viol est utilisé comme une arme.
Durant le génocide des Tutsi, on a comptabilisé 200 000 viols, 67 % des femmes ont été intentionnellement contaminées par le VIH.
La particularité de ce génocide est que les tueurs connaissent bien leurs victimes. L'historien Hélène Dumas parle de « génocide de proximité » ou de « génocide des voisins ».
Génocide de proximité
Le génocide de proximité est une expression forgée par des historiens, notamment Hélène Dumas, pour distinguer le génocide des Tutsi. Les Tutsi ont très souvent été tués par des proches, par leurs propres voisins.
« Évoquer la participation populaire aux massacres, c'est aborder la dimension la plus troublante du génocide des Tutsi. Car à une telle échelle, jamais le voisinage ne s'est déployé comme le lieu d'une efficacité meurtrière aussi redoutable. Cette dynamique horizontale des massacres, […] est une des singularités saillantes de l'événement. Tous les espaces sociaux furent atteints par la violence : le génocide des Tutsi fut un génocide de proximité. […] les victimes sont mortes en majorité sur les collines où elles vivaient. »
Hélène Dumas, historienne, spécialiste du génocide des Tutsi
L'Histoire, n° 396
février 2014
Dans le génocide des Tutsi, 60 % des victimes ont été assassinées sur les collines par des proches.
On peut expliquer le génocide par la haine envers les Tutsi qui a été diffusée au sein de la population depuis des années, voire des décennies. Cette haine est relayée par les médias, notamment la Radio télévision Libre des Milles Collines, fondée en juillet 1993 par des proches du président. C'est un génocide organisé :
- Des milices armées ont été mises en place en 1992 par des partis politiques hutu, dont le parti du président.
- Des armes ont été distribuées aux civils hutu en 1992-1993.
- L'armée a largement participé aux massacres avec l'essentiel de ses troupes alors que les combats contre le FPR avaient repris.
- Les membres de l'administration (préfets, maires, etc.) ont appliqué les ordres d'extermination.
Juger les coupables
Après le génocide, une question capitale se pose : comment juger les meurtriers, nombreux, qui vivent au milieu des victimes, et réconcilier une population profondément meurtrie et divisée ? On réactive alors d'anciennes juridictions : les gacaca. Il s'agit d'une justice traditionnelle et locale. Cette justice est efficace mais imparfaite. Des juridictions nationales et une justice pénale internationale, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), sont également nécessaires.
Les Hutu ayant participé au génocide des Tutsi sont estimés à 800 000.
« Le génocide des Tutsi du Rwanda est sans conteste le crime de masse le plus jugé de l'histoire. Le plus diversement jugé également, dans le sens où il a mobilisé la plus grande variété d'instances judiciaires : une juridiction pénale internationale […] et les tribunaux internes rwandais, mais aussi de nombreuses juridictions à travers le monde (belges, canadiennes et françaises entre autres) au titre de la compétence universelle et, enfin, les juridictions d'inspiration traditionnelle : les gacaca. Cette diversité, […] fait de ce traitement du génocide un laboratoire dont les enseignements excèdent sa situation particulière. »
Antoine Garapon, magistrat
L'Histoire, n° 396
février 2014
Compétence universelle
Une compétence universelle est une compétence en droit qui permet à un État de poursuivre et juger, devant ses tribunaux, des personnes de nationalité étrangère pour des crimes internationaux commis sur un territoire étranger.
Pour juger le génocide, une justice à plusieurs échelles et aux conceptions différentes est mise en place :
- une justice locale avec les gacaca ;
- des justices nationales incluant le Rwanda et d'autres États ;
- une justice internationale avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
À l'issue du génocide et de la guerre, le pays est dans un état chaotique et n'a plus les mêmes moyens matériels et humains : des magistrats ont été tués ou sont en exil, il n'y a plus de police ou de gendarmerie, les tribunaux fonctionnent sans papier, sans électricité, sans téléphone, etc. Les prisonniers s'entassent dans les prisons.
De multiples enquêtes sont menées : on recense les fosses communes et les charniers. Il faut aussi réconcilier la population, retrouver une unité nationale. Le génocide doit être jugé par ceux qui l'ont vécu. L'originalité du système s'explique par la spécificité du crime lui-même : l'implication de milliers de citoyens dans le génocide planifié par les autorités. Il s'agit de concilier la dimension pénale et punitive et l'impératif de la reconstruction d'une coexistence pacifique sociale et politique.
Le pays s'inspire d'une tradition : réunir les anciens pour trancher les différends, avec les parties en présence, afin de restaurer l'ordre social. Les juridictions gacaca ont été créées par une loi du 26 janvier 2001. Elles sont entrées en service en 2002 et ont clôturé leurs activités 10 ans plus tard, en juin 2012.
12 103 tribunaux gacaca, composés de 138 505 juges, ont examiné près de 2 millions de dossiers.
Les lois de 2004 et 2007 privilégient les procédures d'aveux et de plaidoyer de culpabilité, encouragent l'application de peines alternatives à l'incarcération.
« Il est important que les coupables avouent leurs crimes et demandent pardon aux victimes […] Ces aveux réconfortent les rescapés qui apprennent ainsi, même si c'est douloureux, comment sont morts leurs proches et où leurs corps ont été abandonnés ».
Paul Kagame, ancien chef du FPR et président du Rwanda
2004
Les juges sont bénévoles, élus au sein de leur communauté sur le seul critère de l'intégrité. Chaque gacaca comprend un juge suprême, un vice-président, un secrétaire et cinq juges mais ni avocat ni procureur professionnels. Les accusés qui ont comparu sont classés en quatre catégories en fonction de la gravité de leurs actes présumés :
- architectes du génocide ;
- tueurs ;
- responsables d'atteintes graves aux personnes ;
- voleurs ou pilleurs.
Il y a d'abord la collecte des informations, avec la participation des témoins et des victimes, puis le procès. Les tribunaux se font à ciel ouvert, comme les massacres qui ont eu lieu aux yeux de tous.
Le bilan de ces jugements est le suivant :
- Une grande majorité des suspects est reconnue coupable, soit 800 000 personnes.
- Le taux de condamnation est de 65 %, avec des peines d'emprisonnement de 5 à 10 ans.
Les tribunaux gacaca sont une réussite par leur rapidité, ils permettent de mieux comprendre ce qui s'est passé et de traiter et réduire le nombre de prisonniers. Toutefois, on observe des violations des principes d'un procès équitable : capacité des accusés à se défendre efficacement, fausses accusations, règlement de comptes personnels, intimidation de témoins à décharge et non-prise en compte des crimes commis par le FPR lors de la libération du pays.
Des juridictions nationales sont également mises en place, au Rwanda et à l'étranger, en vertu du mécanisme de la compétence universelle qui permet aux juridictions étrangères de juger certains crimes, même s'ils n'ont pas de liens de rattachement.
Enfin, une justice pénale internationale est mise en place.
Justice pénale internationale
La justice pénale internationale englobe des juridictions chargées de la répression des infractions au droit international humanitaire et au droit pénal international et disposant d'une compétence extraterritoriale.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est créé par le Conseil de sécurité de l'ONU en novembre 1994. Au nom de la communauté internationale, ce tribunal basé à Arusha en Tanzanie juge les responsables du génocide. En 20 ans, il a permis de condamner 85 protagonistes du génocide. Toutefois, son organisation est parfois chaotique, marquée par une certaine lenteur. Enfin, les crimes imputables aux Tutsi n'ont pas été jugés.
La construction d'une justice pénale internationale face aux crimes de masse : le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
La situation en Yougoslavie avant la guerre civile de 1991 est très compliquée. Plusieurs ethnies vivent ensemble mais le nationalisme se développe. Chaque ethnie souhaite avoir son pays, ce qui conduit à une violente guerre civile entre 1991 et 1995, marquée par des crimes de masse. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est mis en place pendant le conflit dans le but de juger et punir les responsables.
La situation en Yougoslavie avant la guerre
Après l'éclatement de l'URSS au début des années 1990, de nombreux pays de l'Est sont plongés dans des situations politiques complexes et fragiles. C'est le cas de la Yougoslavie, qui éclate sous la pression des nationalismes.
Nationalisme
Le nationalisme est une doctrine, un mouvement politique qui revendique le droit de former une nation pour une population.
La Yougoslavie est un État constitué en 1919 pour réunir « les Slaves du Sud » autour de la Serbie, à partir du démembrement de l'Empire austro-hongrois. C'est un État multinational. Elle est constituée de :
- 6 républiques : la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine ;
- 2 provinces autonomes rattachées à la Serbie (le Voïvodine et le Kosovo).
Après la Seconde Guerre mondiale et après avoir été libéré par les communistes et les nationalistes, le communiste Josip Broz Tito fonde la « deuxième Yougoslavie ». C'est un État communiste répressif envers les opposants, avec un parti unique. Tito fait du pays un État fédéral dans lequel les républiques et les provinces sont de plus en plus autonomes. Tito meurt en 1980.
En 1990, dans le contexte de la fin de la guerre froide, de la fin du communisme en URSS et en Europe de l'Est, le Parti communiste yougoslave se dissout. Il y a alors un vide politique dans un contexte de crise économique et sociale. Des élections multipartites sont organisées dans les républiques, remportées par des formations anticommunistes sauf en Serbie et au Monténégro.
L'État fédéral va alors éclater. Les aspirations nationalistes des différents peuples se confrontent à la volonté des Serbes de maintenir l'unité d'une fédération qu'ils contrôlent. Or, 25 % des Serbes vivent hors de Serbie, notamment en Croatie et en Bosnie-Herzégovine.
Les crimes de masse en ex-Yougoslavie
Les tensions en ex-Yougoslavie mènent à une guerre civile en Bosnie-Herzégovine et à des crimes de masse importants entre 1991 et 1995. Jusqu'en 2003, la zone reste instable, et une nouvelle guerre civile éclate au Kosovo en 1999. Le bilan humain et matériel est très lourd.
- En juin 1991, la Croatie et la Slovénie proclament leur indépendance, entraînant l'intervention de l'armée fédérale contrôlée par la Serbie. C'est le début de la guerre civile.
- En février 1992, l'ONU envoie des hommes, conscient que la situation dégénère.
- En mars 1992, la Bosnie-Herzégovine proclame son indépendance. Cette décision est soutenue par les Croates et les musulmans du pays. Les Serbes, qui représentent 30 % de la population, créent la République serbe de Bosnie-Herzégovine. L'armée fédérale intervient. Cet événement entraîne une guerre civile entre les trois communautés qui dure 3 ans et demi, jusqu'en 1995.
Dès l'été 1992, des journalistes occidentaux dénoncent l'existence de « camps » dans les territoires contrôlés par les Serbes de Bosnie-Herzégovine. Les Serbes y pratiquent des exactions massives et des persécutions selon des critères ethniques. Ces crimes vont donner naissance à la formule d'« épuration ou purification ethnique ».
Épuration ethnique
L'épuration ethnique est une pratique visant à créer des zones géographiques ethniquement homogènes par le déplacement forcé de populations.
On estime que les Serbes ont tué entre 150 000 et 300 000 personnes.
Près de 10 000 personnes ont été tuées par des snipers lors du siège de la ville de Sarajevo.
Le massacre de Srebrenica, perpétré entre le 11 et le 15 juillet 1995, est un des crimes de masse les plus choquants par son ampleur. Durant ce massacre, 8 000 musulmans, hommes et jeunes garçons, sont tués.
Cette épuration ethnique a généré 3 millions de réfugiés.
La guerre en Bosnie-Herzégovine prend fin en octobre 1995 avec l'action des États-Unis et de l'OTAN. Les accords de Dayton, négociés par diplomatie étasunienne, sous le parrainage de plusieurs États européens, sont signés à Paris le 14 décembre 1995. Ils entérinent le partage de la Bosnie-Herzégovine en deux entités :
- la République serbe de Bosnie-Herzégovine ;
- la fédération croato-bosniaque.
En 1999, une nouvelle guerre éclate en ex-Yougoslavie entre les Albanais du Kosovo et les Serbes. Le Kosovo, province de Serbie, est peuplé à 80 % d'Albanais. L'OTAN, sans mandat onusien, intervient par des bombardements en Serbie pendant 78 jours. En juin 1999, le Kosovo est placé sous administration de l'ONU. Finalement, la décomposition s'achève en 2006 avec l'indépendance du Monténégro et celle du Kosovo en 2008. Cette indépendance n'est pas reconnue par la Serbie et la Russie.
Dans ce conflit, l'ONU est remise en cause. Les Casques bleus sont réduits à acheminer l'aide humanitaire mais ne parviennent pas à empêcher les massacres ni à arrêter le conflit.
Juger des crimes de masse
Alors que le conflit en ex-Yougoslavie s'éternise, le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est mis en place en 1993. Cela souligne la reconnaissance rapide des crimes de masse et la volonté de les punir. Ce tribunal doit juger les responsables mais également aider à une réconciliation dans la région. Il a fonctionné jusqu'en 2017, après avoir rencontré de nombreuses difficultés.
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) est créé par la résolution 827 du Conseil de sécurité de l'ONU le 25 mai 1993. Ce sont les États-Unis et la France qui en sont à l'initiative. Sa création doit marquer le début d'une nouvelle ère du droit international, avec une juridiction neutre et impartiale. C'est le premier tribunal international civil chargé de juger les auteurs de crimes de guerre depuis les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo après la Seconde Guerre mondiale.
Le TPIY doit :
- juger les personnes coupables de violations graves du droit international humanitaire en ex-Yougoslavie. Il y a quatre types de crimes : le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre, les infractions graves à la Convention de Genève ;
- aider les sociétés concernées à faire face à leur passé récent et contribuer à une réconciliation régionale.
Le tribunal est actif jusqu'au 31 décembre 2017, on comptabilise 10 800 jours de procès. Il mène à l'inculpation de 161 personnes. Aucune n'est restée en fuite après les inculpations mais certains inculpés sont décédés avant leur transfert ou avant la fin de leur procès. Au final, 90 condamnations ont été prononcées.
Ce tribunal montre qu'il est possible de juger des criminels de guerre même s'ils sont haut placés :
- Slobodan Milosevic, président de la République de Serbie, est accusé de crime de guerre, de crime contre l'humanité et de génocide. Il meurt pendant la cinquième année de son procès, en 2006.
- Radovan Karadzic, président de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, est inculpé pour génocide et condamné à la prison à perpétuité en mars 2019.
- Ratko Mladic, commandant en chef de l'armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, est reconnu coupable de génocide et condamné à la prison à perpétuité en 2017.
Le TPIY permet de préciser la qualification juridique de « génocide » et d'appliquer au crime de guerre et au crime contre l'humanité la notion d'« entreprise criminelle commune ». Il ouvre la voie à une justice internationale permanente : au TPIR puis à la Cour pénale internationale.
Cour pénale internationale (CPI)
La Cour pénale internationale (CPI) poursuit les crimes de guerre, les génocides ou les crimes contre l'humanité. Elle a été instaurée en 2002 et siège à La Haye.
Le TPIY a toutefois rencontré des difficultés :
- Les premières années, le tribunal n'a pas le pouvoir d'arrêter les inculpés et dépend de la « bonne volonté » des États ou des forces internationales. Jusqu'en 1998, les chefs serbes de Bosnie-Herzégovine, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, circulent avec une certaine liberté. Cela devient plus facile à partir de 2000 : l'Union européenne fait de la coopération avec le TPIY une condition pour entrer sur son territoire. La Croatie et la Serbie les arrêtent et les transfèrent au tribunal à La Haye.
- Certains procès sont très longs, comme celui de Milosevic qui finit par décéder avant le jugement.
- Des procès en appel se sont soldés par la relaxe de personnalités pourtant condamnées en première instance à de lourdes peines.
Concernant son travail de réconciliation, on peut estimer que le tribunal a échoué :
- Les Serbes considèrent que le tribunal a été mis en place pour les sanctionner et ne lui reconnaissent pas de légitimité.
- Les responsables politiques locaux n'ont pas cherché la réconciliation, ce sont les mêmes personnes ou partis politiques qui étaient au pouvoir au moment du conflit, ils ont toujours une vision nationaliste.
- Les condamnés libérés sont accueillis comme des héros dans leur pays d'origine. La glorification des criminels de guerre s'accompagne toujours d'une remise en question des crimes commis, d'un révisionnisme historique, et ce dans tous les pays de la région.
« Croire en la justice internationale grâce au TPIY, lutter pour la vérité historique malgré le TPIY, et travailler à la réconciliation par le bas par-delà le TPIY : voilà le triple agenda qui s'ouvre à présent que le TPIY ferme ses portes. »
Loic Trégourès, spécialiste des Balkans
Le Point
25 novembre 2017