Sommaire
ILe sécularisme et les nationalismes en IndeALe sécularisme indienBLes nationalismes religieuxIILa discrimination des minorités indiennesALes minorités religieuses indiennesBUne discrimination croissanteIIIInde contre Pakistan : religion et rivalité géopolitiqueALa partition des IndesBLe Cachemire : une guerre de religionCLe Cachemire : un point géopolitique stratégiqueL'Inde est une République fédérale composée de 29 États fédérés. En Inde, on parle de sécularisme pour désigner la relation entre l'État et les religions. Les nationalismes religieux montent en Inde, ce qui crée des tensions. Les minorités religieuses indiennes subissent des discriminations. Les rapports qu'entretiennent l'Inde et le Pakistan illustrent les tensions entre État et religions.
Quelles relations l'État fédéral indien entretient-il avec les religions, quelles sont les tensions et comment s'illustrent-elles dans le rapport entre le Pakistan à majorité musulmane et l'Inde à majorité hindoue ?
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Le sécularisme et les nationalismes en Inde
En Inde, le sécularisme, une forme de laïcité, a été mis en place. Toutefois, les nationalismes, basés sur la religion, ne cessent d'agiter le pays.
Le sécularisme indien
Le sécularisme est un modèle laïque indien particulier qui repose sur la reconnaissance de toutes les religions dans l'espace public. Le sécularisme repose sur des principes laïques, mais les relations entre l'État et les religions ne sont pas neutres.
L'indépendance de l'Inde en 1947 s'accompagne de vives tensions entre les communautés hindoue et musulmane. L'État indien invente un modèle original de régulation des religions et du politique pour tenter d'apaiser les tensions : le sécularisme.
Sécularisme
Le sécularisme est le modèle laïque indien de régulation de toutes les religions dans l'espace public.
Le sécularisme s'inscrit dans la longue tradition du multiculturalisme et de tolérance religieuse que connaît l'Inde depuis le IIIe siècle avant Jésus-Christ. C'est un modèle adopté en 1950 et inscrit dans la Constitution de 1976. Le sécularisme est fondé sur des principes laïques :
- L'État n'intervient pas dans les croyances.
- L'État ne reconnaît aucune religion d'État.
- L'État garantit la liberté religieuse, ainsi que la possibilité d'abjurer la religion.
- L'État interdit l'enseignement religieux dans les écoles publiques.
« Toute personne a un droit égal à la liberté de conscience et peut professer, pratiquer et propager librement sa religion ».
Article 25 de la Constitution indienne de 1950
Toutes les religions sont représentées dans l'espace public sur un même pied d'égalité.
- La vache, animal sacré dans la religion hindoue, circule librement dans les rues.
- Les policiers sikhs ont le droit de conserver leur turban et ne portent pas de casque.
Le sécularisme n'impose pas de séparation nette entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. L'État peut soutenir les religions.
Les écoles privées qui dispensent une religion en option peuvent recevoir des subventions de la part de l'État.
L'État intervient dans les pratiques religieuses quand elles sont perçues comme contraires aux valeurs du pays et aux droits fondamentaux des personnes.
En 2018, la Cour suprême indienne a levé l'interdiction des femmes de 10 à 50 ans d'entrer dans les temples hindous.
L'État laisse les religions régir certains domaines. Ainsi, les lois qui traitent du mariage, de la famille et des questions de succession relèvent des religions.
Les musulmans suivent la charia, la loi islamique. Les hommes peuvent être polygames et répudier leur femme.
Le sécularisme est assuré par les tribunaux et la Cour suprême indienne.
En 2017, la Cour suprême indienne déclare qu'un candidat à une élection ne peut pas faire appel à la religion pour l'inciter à voter pour lui.
Le sécularisme est également assuré par la société civile.
En 2019, les femmes hindoues se mobilisent et forment le « mur des femmes » à Kerala pour pouvoir entrer dans le temple de Sabarimala, conformément à la décision prise par la Cour suprême en 2018.
Les nationalismes religieux
Le sécularisme est remis en cause par l'essor des nationalismes religieux dans les années 1980-1990 : le nationalisme hindou, le nationalisme sikh et le nationalisme musulman.
En Inde, les religions sont instrumentalisées à des fins politiques et électoralistes.
Le nationalisme hindou est très puissant. Le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014, remet en cause le sécularisme garanti par la Constitution de 1976. Il cherche à imposer une nation pour les hindous. Cela passe par la promotion de :
- l'origine ethnique aryenne ;
- la langue hindi ;
- un territoire : l'Inde.
On parle d'hindouïté.
Hindouïté
L'hindouïté est une idéologie politique visant la promotion de l'hindouisme dans la société indienne au détriment des minorités religieuses qui doivent refouler leurs pratiques religieuses dans la sphère privée et prêter allégeance à l'hindouisme comme culture nationale.
Le nationalisme sikh est également important. Il repose sur la volonté d'indépendance d'un État fédéré de l‘Inde, le Pendjab. Les nationalistes sikhs militent pour la création d'un pays sikh, le Khalistan, ou « terre pure ».
On estime que 60 % de la population indienne du Pendjab est sikh.
Le nationalisme musulman est de plus en plus fort. L'État fédéré indien du Jammu-et-Cachemire est à majorité musulmane. Certains revendiquent son indépendance ou son rattachement au pays voisin à majorité musulmane, le Pakistan.
La discrimination des minorités indiennes
Les minorités religieuses indiennes sont nombreuses. Elles subissent une discrimination croissante.
Les minorités religieuses indiennes
Si l'Inde est majoritairement hindouiste, les minorités religieuses représentent environ un quart de la population du pays. Dans certains États fédérés, les minorités religieuses sont les plus importantes.
L'Inde est un pays plurireligieux peuplé d'environ 1,3 milliard d'habitants.
© Observatoire des religions, 2019
Certaines religions sont nées en Inde comme l'hindouisme ou le sikhisme. D'autres sont extérieures au pays comme le christianisme ou l'islam.
L'Inde est un pays majoritairement hindouiste avec des minorités religieuses inégalement réparties sur le territoire.
- Les États fédérés de Goa et Kerala accueillent une forte minorité chrétienne : 25 % à Goa, 18 % à Kerala.
- L'Uttar Pradesh et le Bengale-Occidental accueillent une forte minorité musulmane : 19 % dans l'Uttar Pradesh, 27 % dans le Bengale-Occidental.
La part de la majorité hindoue dans la population totale a diminué pour passer de 80,5 % en 2001 à 72,5 % en 2019. D'après le recensement de 2011, les minorités religieuses connaissent une forte progression entre 1991 et 2001.
La progression des Indiens musulmans dans la population totale est la plus importante.
Aujourd'hui, les Indiens musulmans sont 170 millions. Ils devraient être 300 millions en 2050.
L'Inde deviendrait alors le premier pays musulman au monde.
Une discrimination croissante
Si la coexistence religieuse prévaut dans les années 1950-1970, les dernières décennies se traduisent par des discriminations croissantes à l'égard des minorités.
Les religions sont de plus en plus instrumentalisées à des fins politiques et électoralistes.
La situation des minorités religieuses s'est fortement dégradée depuis l'arrivée au pouvoir des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP). Le gouvernement nationaliste de Narendra Modi est au pouvoir depuis 2014 et défend le projet d'une nation pour les hindous.
Les nationalistes hindous requièrent des minorités qu'elles refoulent leurs pratiques religieuses dans la sphère privée et prêtent allégeance à l'hindouisme comme culture nationale. Pour eux, la religion hindoue est née en Inde, tandis que l'islam et le christianisme sont des religions importées. Les minorités religieuses sont prises pour cibles par les activistes hindous.
En 1984, la Première ministre Indira Gandhi est assassinée par ses gardes du corps sikhs.
Les suprémacistes hindous cherchent à effacer le passé musulman du pays. Ils changent le nom des villes à consonance musulmane.
Allahabad dans le nord de l'Uttar Pradesh est devenue Prayagraj.
Cette politique ethnique ravive les conflits intercommunautaires. Les années 1990-2000 marquent ainsi l'accélération des persécutions.
- Les violences anti-sikhs de 1984, après l'assassinat de la Première ministre Indira Gandhi par ses gardes du corps sikhs, font 3 000 morts à New Delhi.
- En 1992, des activistes hindous détruisent la mosquée de Babur dans le Nord de l'Inde sous prétexte qu'elle a été bâtie sur le lieu de naissance du dieu hindou, Ram.
En 2017, Persecution Relief recense 736 attaques anti-chrétiennes, menées essentiellement par des nationalistes hindous, contre 348 en 2016.
Les minorités revendiquent leur identité religieuse face à la majorité hindoue. Leurs revendications s'expriment sous des formes variées.
- En 2015, des manifestations de chrétiens ont lieu à New Delhi pour dénoncer les persécutions dont ils sont l'objet.
- En 2018, à Londres, la diaspora sikh réclame un référendum pour l'indépendance du Pendjab pour l'année 2020.
Parfois, les revendications prennent la forme de violences extrêmes.
En 2002, 59 hindous sont brûlés vifs dans un train au Gujarat par des musulmans.
Inde contre Pakistan : religion et rivalité géopolitique
Au moment de la décolonisation de l'Inde, une crise importante naît entre l'Inde à majorité hindoue et le Pakistan à majorité musulmane. Les conflits sont nombreux depuis, la religion semble être un facteur essentiel. Toutefois, ces rivalités se cristallisent notamment au Cachemire, qui est une région stratégique sur le plan géopolitique.
La partition des Indes
Pendant la colonisation, les Indes britanniques sont divisées entre hindous et musulmans. Chaque communauté religieuse est représentée politiquement. Les tensions se multiplient entre les deux communautés avec la décolonisation, et deux pays sont créés : c'est la partition des Indes qui donnent naissance à l'Inde et au Pakistan.
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Les hindous sont représentés par le Parti du Congrès, dirigé par Gandhi et Nehru. En 1942, le parti adopte la résolution Quit India, « Quittez l'Inde », dans laquelle il revendique l'indépendance de l'Inde et la formation d'un seul État englobant tous les peuples de l'Inde.
Les musulmans sont représentés par la Ligue musulmane d'Ali Jinnah. Cette ligue réclame la partition de l'Inde en deux États souverains : « l'Hindoustan et le Pakistan ».
Les tensions intercommunautaires se multiplient entre hindous et musulmans.
Devant la menace d'une guerre civile, les Britanniques décident la partition de l'Inde en se basant sur des critères religieux. En 1947, deux États naissent :
- l'Inde laïque à majorité hindoue ;
- le Pakistan musulman.
Près de 6 millions de musulmans quittent l'Inde pour le Pakistan, 4 millions d'hindous s'installent en Inde.
La partition n'empêche pas les violences intercommunautaires : on compte entre 300 000 et 500 000 morts. La coexistence de ces deux nouveaux États crée des rivalités géopolitiques qui se cristallisent dans la région du Cachemire.
Le Cachemire : une guerre de religion
Inclus dans l'Empire britannique, avec le statut d'État princier, le Cachemire devient dès 1947 un facteur aggravant des tensions géopolitiques entre l'Inde et du Pakistan. Les deux pays revendiquent le territoire pour des questions religieuses. Guerres et tensions ne cessent de secouer la région depuis 1947.
Pendant la colonisation, le Cachemire est un État princier sous suzeraineté britannique. Il est dirigé par un maharadjah. Le maharadjah est de confession hindoue et règne sur une population majoritairement musulmane.
En 1947, l'Empire britannique des Indes est divisé entre l'Inde et le Pakistan. Les accords menant à l'indépendance laissent aux États princiers le choix de devenir indépendant ou d'intégrer l'un des deux pays.
Le maharadjah du Cachemire nourrit l'ambition de rester indépendant et choisit l' « option d'immobilisation ». Mais finalement, le Cachemire doit se résoudre à intégrer l'Union indienne la même année. L'intégration du Cachemire à l'Inde provoque la guerre contre le Pakistan de 1947 à 1949. Finalement, le Cachemire est divisé en deux territoires le long d'une ligne de partition définie par les Nations unies :
- Un tiers de la superficie du Cachemire revient au Pakistan. C'est l'Azad Cachemire, avec une population musulmane majoritairement sunnite, et le Gilgit-Baltistan, peu peuplé avec une population musulmane majoritairement chiite.
- Les deux tiers restant sont attribués à l'Inde et sont eux-mêmes subdivisés en quatre sous-ensembles qui forment l'État fédéré indien du Jammu-et-Cachemire : le Cachemire au sens strict autour de l'ancienne capitale Srinagar qui est une région très majoritairement musulmane sunnite ; le Jammut, au sud, peuplé majoritairement d'hindous ; le Ladakh, à l'est, peuplé de bouddhistes et de musulmans et, à l'extrême-est, l'Aksai Chin.
La ligne de démarcation s'arrête au niveau du glacier de Siachen. L'ONU n'estime pas nécessaire d'établir une frontière dans une zone à plus de 5 000 mètres d'altitude. Inde et Pakistan prétextent ce flou pour revendiquer un certain nombre de territoires :
- L'Inde revendique les territoires situés au Cachemire occupés par le Pakistan et par la Chine.
- Le Pakistan revendique les territoires occupés par l'Inde.
Les tensions entre les deux États ont provoqué quatre guerres indo-pakistanaises : 1947-1949, 1965, 1971 et 1999. Les tensions persistent encore aujourd'hui.
En 2019, après des attentats islamistes soutenus par le Pakistan à Awantipora, l'Inde bombarde de supposées bases d'entraînement terroristes situées au Pakistan, près de la ville de Balakot. En réaction à l'agression, le Pakistan riposte par la destruction d'avions de chasse indiens.
Le Cachemire : un point géopolitique stratégique
Si le Cachemire continue de nourrir des tensions, ce n'est pas uniquement pour des questions religieuses : les raisons sont aussi géopolitiques. Le Cachemire est un point stratégique sur le plan géopolitique.
Le Cachemire est un espace de haute montagne au croisement de l'Himalaya, de l'Hindou Kouch et du Karakoram. Le Cachemire est aussi un territoire au contact de trois grands sous-ensembles :
- le sous-continent indien ;
- la Chine ;
- l'Asie centrale.
L'Inde reste vigilante dans le renforcement des liens entre le Pakistan et la Chine, notamment dans le cadre de la constitution d'une nouvelle route de la soie chinoise. L'Inde a peur que le Pakistan sorte renforcé de ce rapprochement.
Le Cachemire est un château d'eau traversé par le fleuve Indus dont le parcours permet l'irrigation des deux tiers du territoire pakistanais. Il est indispensable pour l'agriculture pakistanaise. L'Inde construit une centrale électrique pour mettre fin aux coupures d'électricité qui paralysent l'économie régionale. Le Pakistan craint que la centrale réduise le débit du fleuve Indus. Les productions agricole et électrique côté pakistanais pourraient en pâtir et générer des troubles intérieurs.
À ces problèmes régionaux viennent s'ajouter des problèmes nationaux. La population musulmane du Jammu-et-Cachemire se révolte régulièrement, depuis les années 1980, contre la présence indienne. La vague d'attentats soutenus par le Pakistan qui secouent le Jammu-et-Cachemire et l'Inde depuis les années 1980 a permis à l'État fédéral de justifier et accélérer son emprise sur la région. En 2019, l'État fédéral met fin à l'autonomie de l'État fédéré du Jammu-et-Cachemire :
- D'État fédéré, il est rétrogradé au statut de territoire de l'Union indienne.
- Il est amputé du Ladakh qui devient un territoire administratif distinct.
Les deux régions passent sous contrôle direct du gouvernement central. Cette volonté de contrôle du Cachemire s'accompagne d'une présence militaire massive, jusqu'à 900 000 soldats indiens sont positionnés dans la région.
Depuis 2019, le Cachemire indien subit un véritable blocus. C'est une région de 7 millions d'habitants coupée du monde. Ainsi, pendant plusieurs mois, le gouvernement fédéral a :
- interdit l'accès du territoire aux touristes ainsi que l'accès à Internet ;
- imposé le couvre-feu ;
- procédé à plusieurs milliers d'arrestations.