Dans chacun des textes suivants, repérer les marques du langage familier.
« ESTRAGON.
Eh bien ? Ils ne sont pas d'accord, un point c'est tout.
VLADIMIR.
Ils étaient là tous les quatre. Et un seul parle d'un larron de sauvé. Pourquoi le croire plutôt que les autres ?
ESTRAGON.
Qui le croit ?
VLADIMIR.
Mais tout le monde. On ne connaît que cette version-là.
ESTRAGON.
Les gens sont des cons.
Il se lève péniblement, va en boitillant vers la coulisse gauche, s'arrête, regarde au loin, la main en écran devant les yeux, se retourne, va vers la coulisse droite, regarde au loin. Vladimir le suit des yeux, puis va ramasser la chaussure, regarde dedans, la lâche précipitamment.
VLADIMIR.
Pah ! (Il crache par terre.)
Estragon revient au centre de la scène, regarde vers le fond.
ESTRAGON.
Endroit délicieux. »
Samuel Beckett, En attendant Godot, acte I, © Les Éditions de Minuit, 1952
« "Vous voulez que j'vous vendions Charlot ? Ah ! mais non ; c'est pas des choses qu'on d'mande à une mère ça ! Ah ! mais non ! Ce serait abomination."
L'homme ne disait rien, grave et réfléchi ; mais il approuvait sa femme d'un mouvement continu de la tête.
Mme d'Hubières, éperdue, se mit à pleurer, et, se tournant vers son mari, avec une voix pleine de sanglots, une voix d'enfant dont tous les désirs ordinaires sont satisfaits, elle balbutia :
"Ils ne veulent pas, Henri, ils ne veulent pas !"
Alors ils firent une dernière tentative.
"Mais, mes amis, songez à l'avenir de votre enfant, à son bonheur, à... "
La paysanne, exaspérée, lui coupa la parole :
"C'est tout vu, c'est tout entendu, c'est tout réfléchi... Allez-vous-en, et pi, que j'vous revoie point par ici. C'est-i permis d'vouloir prendre un éfant comme ça !" »
Guy de Maupassant, Aux champs, 1882
« La femme posa sur la table la marmite toute noire, enleva le couvercle, et, pendant que montait au plafond une vapeur de soupe pleine d'une odeur de choux, elle réfléchit.
L'homme reprit : "Il a d' quoi, pour sûr. Mais qu'il faudrait être dégourdi et qu'Adélaïde l'est pas un brin."
La femme alors articula : "J' pourrions voir tout d' même." Puis, se tournant vers sa fille, une gaillarde à l'air niais, aux cheveux jaunes, aux grosses joues rouges comme la peau des pommes, elle cria : "T'entends, grande bête. T'iras chez maîtr' Omont t' proposer comme servante, et tu f'ras tout c' qu'il te commandera."
La fille se mit à rire sottement sans répondre. Puis tous trois commencèrent à manger.
Au bout de dix minutes, le père reprit : "Écoute un mot, la fille, et tâche d' n' point te mettre en défaut sur ce que j' vas te dire..." »
Guy de Maupassant, « Les sabots », Contes de la bécasse, 1883
« Elle le regardait d'un œil irrité, et elle déclara avec impatience : "Que veux-tu que je me mette sur le dos pour aller là ?" [...]
Elle réfléchit quelques secondes, établissant ses comptes et songeant aussi à la somme qu'elle pouvait demander sans s'attirer un refus immédiat et une exclamation effarée du commis économe. Enfin elle répondit en hésitant : "Je ne sais pas au juste, mais il me semble qu'avec quatre cents francs je pourrais arriver." »
Guy de Maupassant, La Parure, 1884
« Tout au bout de la table, quatre gars, des voisins, préparaient des farces aux mariés, et ils semblaient en tenir une bonne, tant ils trépignaient en chuchotant. L'un d'eux, soudain, profitant d'un moment de calme, cria :
– C'est les braconniers qui vont s'en donner c'te nuit, avec la lune qu'y a !... Dis donc, Jean, c'est pas c'te lune-là qu' tu guetteras, toi ?
Le marié, brusquement, se tourna :
– Qu'i z'y viennent, les braconniers ! Mais l'autre se mit à rire :
– Ah ! i peuvent y venir ; tu quitteras pas ta besogne pour ça ! Toute la tablée fut secouée par la joie. Le sol en trembla, les verres vibrèrent. »
Guy de Maupassant, « Farce normande », Contes de la bécasse, 1883