Relever les marqueurs des registres littéraires adoptés dans chacun des textes suivants.
« Cosette était maigre et blême. Elle avait près de huit ans, on lui en eût donné à peine six. Ses grands yeux enfoncés dans une sorte d'ombre profonde étaient presque éteints à force d'avoir pleuré. Les coins de sa bouche avaient cette courbe de l'angoisse habituelle, qu'on observe chez les condamnés et chez les malades désespérés. Ses mains étaient, comme sa mère l'avait deviné, « perdues d'engelures ». Le feu qui l'éclairait en ce moment faisait saillir les angles de ses os et rendait sa maigreur affreusement visible. Comme elle grelotait toujours, elle avait pris l'habitude de serrer ses deux genoux l'un contre l'autre. »
Victor Hugo, Les Misérables, 1862
« ŒNONE.
Aimez-vous ?
PHÈDRE.
De l'amour j'ai toutes les fureurs.
ŒNONE.
Pour qui ?
PHÈDRE.
Tu vas ouïr le comble des horreurs.
J'aime... À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J'aime...
ŒNONE.
Qui ?
PHÈDRE.
Tu connais ce fils de l'Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé ?
ŒNONE.
Hippolyte ! Grands Dieux !
PHÈDRE.
C'est toi qui l'as nommé.
ŒNONE.
Juste ciel ! Tout mon sang dans mes veines se glace.
Ô désespoir ! Ô crime ! »
Jean Racine, Phèdre, 1677, acte I, scène 3
« VLADIMIR.
Vous voulez vous en débarrasser ?
POZZO.
Il veut m'avoir, mais il ne m'aura pas.
VLADIMIR.
Vous voulez vous en débarrasser ?
POZZO.
Il s'imagine qu'en le voyant bon porteur je serai tenté de remployer à l'avenir dans cette capacité.
ESTRAGON.
Vous n'en voulez plus ?
POZZO.
En réalité il porte comme un porc. Ce n'est pas son métier.
VLADIMIR.
Vous voulez vous en débarrasser ? »
Samuel Beckett, En attendant Godot, © Éditions de Minuit, 1952
« — Il marche ? demanda Chick.
— Parfaitement. J'ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J'ai obtenu à partir de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
— Quel est ton principe ? demanda Chick.
— À chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l'œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l'eau de Seltz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d'unité, à la noire l'unité, à la ronde la quadruple unité. Lorsque l'on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée - ce qui donnerait un cocktail trop abondant - mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l'air, on peut, si l'on veut, faire varier la valeur de l'unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d'un réglage latéral. »
Boris Vian, L'Écume des jours, © Gallimard, 1947
« D'où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement notre bonheur et notre confiance en détresse ? On dirait que l'air, l'air invisible est plein d'inconnaissables Puissances, dont nous subissons les voisinages mystérieux. Je m'éveille plein de gaieté, avec des envies de chanter dans la gorge. – Pourquoi ? – Je descends le long de l'eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m'attendait chez moi. – Pourquoi ? – Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour, la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a troublé ma pensée ? »
Guy de Maupassant, Le Horla, 1887