Dans chacun des poèmes suivants, quelle est la forme fixe utilisée ?
En liberté maintenant me promène,
Mais en prison pourtant je fus cloué ;
Voilà comment Fortune me démène :
C'est bien et mal. Dieu soit du tout loué.
Les envieux ont dit que le Noué
N'en sortirais ; que la mort les emmène !
Malgré leurs dents le nœud est dénoué :
En liberté maintenant me promène.
Pourtant, si j'ai fâché la Cour Romaine,
Entre méchants ne fus onc alloué :
De bien famés j'ai hanté le domaine,
Mais en prison pourtant je fus cloué.
Car aussitôt que fus désavoué
De celle-là qui me fut tant humaine,
Bientôt après à saint Pris fus voué ;
Voilà comment Fortune me démène.
J'eus à Paris prison fort inhumaine ;
A Chartres fus doucement encloué ;
Maintenant vais où mon plaisir me mène :
C'est bien et mal. Dieu soit du tout loué.
Au fort, amis, c'est à vous bien joué,
Quand votre main hors du pair me ramène.
Escrit et fait d'un cœur bien enjoué,
Le premier jour de la verte semaine,
En liberté.
(Clément Marot, "À ses amis après sa délivrance")
Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !
J'ai dans l'âme un chagrin amer.
Le vent bombe la voile emplie,
L'écume argente au loin la mer.
J'ai dans l'âme un chagrin amer :
Voici sa belle tête morte !
L'écume argente au loin la mer,
Le praho rapide m'emporte.
Voici sa belle tête morte !
Je l'ai coupée avec mon kriss.
Le praho rapide m'emporte
En bondissant comme l'axis.
Je l'ai coupée avec mon kriss ;
Elle saigne au mât qui la berce.
En bondissant comme l'axis
Le praho plonge ou se renverse.
Elle saigne au mât qui la berce ;
Son dernier râle me poursuit.
Le praho plonge ou se renverse,
La mer blême asperge la nuit.
Son dernier râle me poursuit.
Est-ce bien toi que j'ai tuée ?
La mer blême asperge la nuit,
L'éclair fend la noire nuée.
Est-ce bien toi que j'ai tuée ?
C'était le destin, je t'aimais !
L'éclair fend la noire nuée,
L'abîme s'ouvre pour jamais.
C'était le destin, je t'aimais !
Que je meure afin que j'oublie !
L'abîme s'ouvre pour jamais.
Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !
(Leconte de Lisle, Poèmes tragiques)
Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
À lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
(François Villon, "Épitaphe Villon")
Tant que mes yeux pourront larmes épandre
A l'heur passé avec toi regretter,
Et qu'aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard luth, pour tes grâces chanter ;
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre,
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais, quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée, et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante,
Prierai la mort noircir mon plus clair jour.
(Louise Labbé, "Tant que mes yeux pourront larmes épandre")
Ma foi, c'est fait de moi. Car Isabeau
M'a conjuré de lui faire un rondeau.
Cela me met en une peine extrême.
Quoi ! treize vers : huit en eau, cinq en ème !
Je lui ferais aussitôt un bateau.
En voilà cinq pourtant en un monceau.
Faisons-en sept, en invoquant Brodeau,
Et puis mettons : par quelque stratagème :
Ma foi, c'est fait.
Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l'ouvrage serait beau.
Mais cependant me voilà dans l'onzième,
Et si je crois que je fais le douzième,
En voilà treize ajusté de niveau.
Ma foi, c'est fait !
(Vincent Voiture, "Ma foi, c'est fait de moi")
Muse au beau front, muse sereine,
Plus de satire, j'y consens.
N'offensons pas avec ma haine
Le calme éther d'où tu descends.
Je chante en ces vers caressants
Une lèvre de pourpre, éclose
Sous l'éclair des cieux rougissants,
Ici tout est couleur de rose.
Ma guerrière a le front d'Hélène.
Son long regard aux feux puissants
Resplendit comme une phalène.
Tout est digne de mes accents :
Là, sur ces contours frémissants
Où le rayon charmé se pose,
La neige et les lys fleurissants ;
Ici tout est couleur de rose.
Quelle tendre voix de sirène,
Au soir, aux astres pâlissants
Dira la blancheur de ma reine ?
Éteignez-vous, cieux languissants !
Ô chères délices ! je sens
Se poser sur mon front morose
Les longs baisers rafraîchissants !
Ici tout est couleur de rose.
Que de trésors éblouissants
Et dignes d'une apothéose !
Fleurs splendides, boutons naissants,
Ici tout est couleur de rose.
(Théodore de Banville, "Pour une amoureuse")
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir,
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Son souvenir en moi luit comme un ostensoir !
(Charles Baudelaire, "Harmonie du soir")
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s'est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau.
Il n'y a bête ni oiseau,
Qu'en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie.
Rivière, fontaine et ruisseau
Portent en livrée jolie,
Gouttes d'argent, d'orfèvrerie,
Chacun s'habille de nouveau
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie.
(Charles d'Orléans, "Le temps a laissé son manteau...")
Ces cheveux d'or sont les liens, Madame,
Dont fut premier ma liberté surprise
Amour la flamme autour du cœur éprise,
Ces yeux le trait qui me transperce l'âme.
Forts sont les nœuds, âpre et vive la flamme,
Le coup de main à tirer bien apprise,
Et toutefois j'aime, j'adore et prise
Ce qui m'étreint, qui me brûle et entame.
Pour briser donc, pour éteindre et guérir
Ce dur lien, cette ardeur, cette plaie,
Je ne quiers fer, liqueur, ni médecine :
L'heur et plaisir que ce m'est de périr
De telle main ne permet que j'essaie
Glaive tranchant, ni froideur, ni racine.
(Joachim Du Bellay, "Les Cheveux d'or")
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;
Modulant tout à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
(Gérard de Nerval, "El Desdichado")