Quel est le genre narratif des textes suivants ?
« Nous avions atteint le bord oriental de la langue de terre où est bâtie Damiette ; le sable où nous marchions luisait par place, et il me semblait voir des flaques d'eau congelées dont nos pieds écrasaient la surface vitreuse ; c'étaient des couches de sel marin. Un rideau de joncs élancés, de ceux peut-être qui fournissaient autrefois le papyrus, nous cachait encore les bords du lac ; nous arrivâmes enfin à un port établi pour les barques des pêcheurs, et de là je crus voir la mer elle-même dans un jour de calme. Seulement des îles lointaines, teintes de rose par le soleil levant, couronnées ça et là de dômes et de minarets, indiquaient un lieu plus paisible, et des barques à voiles latines circulaient par centaines sur la surface unie des eaux. »
Gérard de Nerval, Voyage en Orient, 1851
« Ma mère cachait mal son indignation : cette grande et belle femme s'arrangeait fort bien de ma courte taille, elle n'y voyait rien que de naturel : les Schweitzer sont grands et les Sartre petits, je tenais de mon père, voilà tout. Elle aimait que je fusse, à huit ans, resté portatif et d'un maniement aisé : mon format réduit passait à ses yeux pour un premier âge prolongé. Mais, voyant que nul ne m'invitait à jouer, elle poussait l'amour jusqu'à deviner que je risquais de me prendre pour un nain — ce que je ne suis pas tout à fait — et d'en souffrir. Pour me sauver du désespoir elle feignait l'impatience : « Qu'est-ce que tu attends, gros benêt ? Demande-leur s'ils veulent jouer avec toi. » Je secouais la tête : j'aurais accepté les besognes les plus basses, je mettais mon orgueil à ne pas les solliciter. »
Jean-Paul Sartre, Les Mots, © Gallimard, 1964
« Faire dire à Édouard, peut-être :
L'ennui, voyez-vous, c'est d'avoir à conditionner ses personnages. Ils vivent en moi d'une manière puissante, et je dirais même volontiers qu'ils vivent à mes dépens. Je sais comment ils pensent, comment ils parlent ; je distingue la plus subtile intonation de leur voix ; je sais qu'il y a de tels actes qu'ils doivent commettre, tels autres qui leurs sont interdits... mais, dès qu'il faut les vêtir, fixer leur rang dans l'échelle sociale, leur carrière, le chiffre de leurs revenus ; dès surtout qu'il faut les avoisiner, leur inventer des parents, une famille, des amis, je plie boutique. Je vois chacun de mes héros, vous l'avouerais-je, orphelin, fils unique, célibataire, et sans enfant. C'est peut-être pour ça que je vois en vous un si bon héros, Lafcadio. »
André Gide, Journal des Faux-monnayeurs, © Gallimard, coll. L'Imaginaire, 1927
« La petite connaît le passeur depuis qu'elle est enfant. Le passeur lui sourit et lui demande des nouvelles de Madame la Directrice. Il dit qu'il la voit passer souvent de nuit, qu'elle va souvent à la concession du Cambodge. La mère va bien, dit la petite. Autour du bac, le fleuve, il est à ras bord, ses eaux en marche traversent les eaux stagnantes des rizières, elles ne se mélangent pas. [...]
Je lui ai répondu que ce que je voulais avant toute chose c'était écrire, rien d'autre que ça, rien. Jalouse elle est. Pas de réponse, un regard bref aussitôt détourné, le petit haussement d'épaules, inoubliable. »
Marguerite Duras, L'Amant, © Éditions de Minuit, 1984
« J'avais quinze ans lorsque je fus nommée lectrice de Mesdames. Je dirai d'abord ce qu'était la cour à cette époque.
Marie Leckzinska venait de mourir ; la mort du dauphin avait précédé la sienne de trois ans ; les jésuites étaient détruits, et la piété ne se trouvait plus guère à la cour que dans l'intérieur de Mesdames ; le duc de Choiseul régnait.
Le roi ne pensait qu'au plaisir de la chasse ; on aurait pu croire que les courtisans se permettaient une épigramme, quand on leur entendait dire sérieusement, les jours où Louis XV ne chassait pas, le roi ne fait rien aujourd'hui.
Les petits voyages étaient aussi une affaire très-importante pour le roi. Le premier jour de l'an il marquait sur son almanach les jours de départ pour Compiègne, pour Fontainebleau, pour Choisy, etc. Les plus grandes affaires, les événemens les plus importans ne dérangeaient jamais cette distribution de son temps.
L'étiquette existait encore à la cour avec toutes les formes qu'elle avait reçues sous Louis XIV ; il n'y manquait que la dignité : quant à la gaieté, il n'en était plus question ; de lieu de réunion où l'on vit se déployer l'esprit et la grâce des Français, il n'en fallait point chercher à Versailles. Le foyer de l'esprit et des lumières était à Paris. »
Madame Campan, Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette, 1822