Sommaire
IUne normalisation en questionALes différents types de pièce1Comédie et tragédie antiques : pour un débat public2Un théâtre qui divertit3Le théâtre dans le théâtre4Un théâtre qui dénonceBLe rapport aux usages1Des pièces selon l'usage classique2Des usages contestés3Un retour en arrière ?IIS'interroger sur la théâtralitéAL'importance du texteBL'importance de la représentation1La nécessité d'un public2Une représentation qui peut jouer sur les conventions théâtrales3Le rôle du metteur en scèneUne normalisation en question
Les différents types de pièce
Comédie et tragédie antiques : pour un débat public
Le théâtre naît dans l'Antiquité. Les représentations théâtrales sont souvent suivies de débats publics, les textes dramatiques alimentent les discussions.
Antigone de Sophocle appartient à la tragédie. Cette pièce, qui s'achève sur la mort inévitable d'Antigone, pose la question de la primauté des lois des hommes sur les lois divines. Cet exemple montre la dimension réflexive de la tragédie antique.
[Le théâtre est] l'imitation d'une action sérieuse et complète, elle a une juste grandeur, son langage est agréable [...]. Les événements y sont joués par des personnages et non racontés dans un récit ; enfin, elle provoque la pitié et la crainte, par là, elle effectue une véritable purgation de ces deux sortes de sentiments.
Aristote
Poétique, (Perì poiêtikês), trad. Odette Bellevenue et Séverine Auffret, Paris, éd. Mille et une nuits (2006)
384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.
Cette citation désigne la première définition du théâtre apparue dans l'histoire de la littérature occidentale. Elle montre la dimension réflexive qui est déjà attachée au théâtre, et en particulier à la tragédie.
Dans la comédie grecque Lysistrata d'Aristophane, les femmes font du chantage à l'abstinence pour obtenir la fin de la guerre. Derrière un propos comique se cache une prise de conscience des dégâts humains qu'impliquent les conflits.
Un théâtre qui divertit
Le théâtre a pour but premier de divertir le public.
Dans La Farce de Maître Pathelin, un avocat sans le sou monte une arnaque pour voler du tissu à un drapier. Cette farce médiévale n'a pas d'autre but que de divertir les passants sur un champ de foire.
Dans Le Fils naturel, écrit par Denis Diderot en 1757, Dorval est déchiré entre l'amour qu'il porte envers Rosalie (qui est amoureuse de lui, mais qui est également aimée de Claireville, le meilleur ami de Dorval) et Constance, qu'il s'est engagé à épouser. La pièce pose également le problème de la filiation naturelle, celle des enfants nés hors mariage. Cet exemple montre que le drame bourgeois, à l'instar de la tragédie classique, s'intéresse davantage au quotidien du peuple pour le divertir.
Dans La Dame de chez Maxim, comédie de boulevard de Georges Feydeau, le Docteur Petypon est contraint de faire passer une jeune danseuse du Moulin Rouge, la Môme Crevette, pour sa femme. Petypon se voit obligé de l'emmener dans le grand monde, où la Môme Crevette dénote par son parler et par ses gestes.
Le théâtre dans le théâtre
Le théâtre peut entraîner une réflexion sur lui-même. Plusieurs dramaturges écrivent des pièces dans lesquelles il y a une mise en abyme, ce que l'on appelle le théâtre dans le théâtre.
Dans L'Illusion comique, pièce jouée en 1635, Pierre Corneille représente une illusion, celle de la représentation théâtrale. Une troupe de comédiens joue une pièce devant le père de l'un d'entre eux, sans que le père ne comprenne qu'il ne s'agit pas de la réalité. En effet, l'un des comédiens s'est fait passer pour un magicien aux pouvoirs capables de montrer ce qu'il advient en d'autres temps et d'autres lieux. Cette pièce met donc en scène la notion complexe de théâtre dans le théâtre.
Dans la pièce Hamlet, Shakespeare questionne le théâtre et l'idée de représentation. Hamlet est un personnage qui se pose des questions sur la vérité, sur la sincérité des hommes. Il estime que tous jouent un rôle. Afin de faire éclater la vérité sur le roi Claudius, qui a tué son père, il met en scène une pantomime, c'est-à-dire une petite scénette sans parole où tout est mimé. Il appelle cette petite œuvre théâtrale "La Souricière". C'est grâce à cette représentation du crime que Hamlet peut voir la réaction de Claudius, pris d'effroi en voyant qu'on rejoue devant lui son crime.
Un théâtre qui dénonce
Le théâtre est souvent un moyen utilisé pour dénoncer les injustices d'une société.
Dans Caligula, pièce publiée en 1944 mais commencée en 1938, Albert Camus développe sa philosophie de l'absurde. Le personnage éponyme réapparaît après une absence de plusieurs jours, suite au décès de sa sœur et amante, Drusilla. Il confie alors son désenchantement vis-à-vis de l'horreur du monde qui l'entoure, ainsi que son désir d'impossible.
La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco dénonce la vacuité de la condition humaine. Les personnages parlent, mais ne communiquent plus vraiment. Les répétitions sont nombreuses et les phrases-types remplissent l'espace verbal.
Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais dénonce la situation injuste des valets, qui sont utilisés par leurs maîtres et peu respectés. Il livre une pièce qui appelle à la liberté de tous les hommes et à la justice pour tous.
Le rapport aux usages
Des pièces selon l'usage classique
À l'époque classique, des règles dramaturgiques sont instaurées : la règle des trois unités, la règle de bienséance et la règle de vraisemblance.
Phèdre de Jean Racine respecte parfaitement les trois unités :
- L'action commence au petit matin, tandis qu'Hippolyte s'apprête à quitter Trézène pour partir à la recherche de son père. La mort de Phèdre a lieu juste après le coucher du soleil.
- Les personnages se croisent dans une antichambre, devant les appartements de Phèdre.
- Le seul problème évoqué est la passion dévorante de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte. Celle-ci a plusieurs conséquences qui obligent les personnages à se confronter les uns aux autres.
Des usages contestés
À partir du XIXe siècle, les dramaturges remettent en cause les règles classiques qu'ils jugent trop strictes.
Dans Hernani, pièce de Victor Hugo créée en 1830, le cadre spatio-temporel est placé dans l'Espagne de la Renaissance. Les lieux sont multiples, les actes sont séparés de plusieurs semaines. Le récit s'appuie sur des chroniques espagnoles qui racontent l'accession au pouvoir de Charles Quint. Hernani, jeune rebelle amoureux de la fiancée de Charles Quint, projette, pour des raisons politiques, d'empêcher l'accession de celui-ci au trône d'Espagne.
La pièce déclenche un échange violent lors de sa première représentation, entre ceux qui défendent Victor Hugo et ceux qui défendent les règles classiques. On appelle cet événement "la bataille d'Hernani".
Dans Lorenzaccio d'Alfred de Musset, toutes les scènes n'ont pas lieu au même endroit. On passe des rues de Florence à la cour du duc en quelques secondes. De même, Lorenzo tue le duc sur scène, violant ainsi la règle de la bienséance.
Un retour en arrière ?
Au XXe siècle, certains dramaturges sont partisans de s'inspirer de nouveau de l'Antiquité pour écrire des pièces.
"Théâtre de la cruauté" veut dire théâtre difficile et cruel d'abord pour moi-même. Et, sur le plan de la représentation, il ne s'agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres en nous dépeçant mutuellement les corps […] mais de celle, beaucoup plus terrible et nécessaire, que les choses peuvent exercer contre nous. Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut encore nous tomber sur la tête.
Antonin Artaud
Le Théâtre et son double, Paris, éd. Gallimard
1938
Dans cet extrait, Artaud rappelle sa conception tragique de la condition humaine : l'Homme subit un monde cruel. Le théâtre se doit donc de représenter cette cruauté.
S'interroger sur la théâtralité
L'importance du texte
En un mot, les discours ne sont au théâtre que les accessoires de l'action, quoi que toute la tragédie, dans la représentation, ne consiste qu'en discours.
L'abbé d'Aubignac
La Pratique du théâtre, Amsterdam, éd. Jean Frédéric Bernard (1715)
1657
Pour ce critique, l'action avance au moyen du discours entre les personnages.
L'importance de la représentation
La nécessité d'un public
[Le théâtre] ne peut pas exister sans la relation acteur/spectateur, sans la communion de perception directe, “vivante”.
Jerzy Grotowski
Vers un théâtre pauvre, trad. Claude B. Levenson, Paris, éd. L'Âge d'homme (1993)
1971
Ce metteur en scène signifie ainsi que le théâtre ne devient théâtre que lorsqu'il y a simultanément en présence un comédien et un spectateur.
Dans la scène 7 de l'acte IV de L'Avare de Molière, Harpagon, en plein délire, semble s'apercevoir de l'existence du public. Beaucoup de metteurs en scène le font s'adresser à ce dernier. Cette scène montre l'importance de l'existence du spectateur dans la représentation théâtrale.
Une des caractéristiques les plus étonnantes du texte théâtral, la moins visible, mais peut-être la plus importante, c'est son caractère incomplet.
Anne Ubersfeld
Lire le théâtre, Paris, Éditions sociales (1982)
1977
Anne Ubersfeld dit ici que le texte de théâtre a la caractéristique essentielle d'être lacunaire. Pour elle, le théâtre ne devient théâtre qu'une fois représenté sur scène.
Une représentation qui peut jouer sur les conventions théâtrales
Certains dramaturges décident de jouer avec les conventions théâtrales afin d'étonner le spectateur.
Dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, pendant la scène 3 de l'acte I, Cyrano surgit de la salle pour interpeller les personnages présents sur scène.
Dans Antigone de Jean Anouilh, le prologue est le premier à parler à l'ouverture du rideau. Il présente les différents personnages au public. Il raconte tout ce qui va se passer, qui va vivre, qui va mourir, et livre la vision d'Anouilh sur le tragique.
Dans La Résistible ascension d'Arturo Ui de Bertolt Brecht, la pièce s'ouvre sur le personnage du bonimenteur qui met en garde contre l'illusion théâtrale.
Le rôle du metteur en scène
[La mise en scène est] la totalité du spectacle scénique émanant d'une pensée unique qui [la] conçoit, [la] règle et l'harmonise.
Jacques Copeau
Critiques d'un autre temps. Études d'art dramatique, Paris, éd. Gallimard, coll. "Blanche"
1924
Copeau définit le travail du metteur en scène. Ce dernier dirige et harmonise le chaos que pourrait engendrer toutes les composantes de cet art du spectacle.
[Nous devons renoncer] à la superstition théâtrale du texte et à la dictature de l'écrivain.
Antonin Artaud
Le Théâtre et son double, Paris, éd. Gallimard
1938
Artaud revendique la primauté de la mise en scène sur le texte.
Je ne pense pas que les metteurs en scène et les acteurs soient plus importants que les poètes, je pense tout le contraire : ce sont les poètes dramatiques qui font avancer le théâtre. Parce qu'ils proposent aux acteurs et aux metteurs en scène [...] des tâches irréalisables.
Antoine Vitez
Écrits sur le théâtre, Paris, éd. P.O.L., coll. "Essais" (1995)
1974
Pour Vitez, le texte reste à l'origine de la mise en scène.