Sommaire
ILa ruse et les différentes formes de ruseADéfinition de la ruseBLes différentes formes de ruse1Le mensonge2Le déguisement3Le détournement par la paroleIILes personnages rusés en littératureAUlysseBLa figure du renardCLes personnages rusés dans les comédiesDLes gens du peuple dans la farce et les fabliauxIIILe fonctionnement des ruses au sein des œuvres littérairesAUn maître du jeu et une intrigue ficeléeBL'importance du rireIVLes finalités de la ruseAPlaire et divertirBUne leçon de vie et de conduiteCUne réflexion sur les rapports humains« Résister » signifie « s'opposer à une force, à un pouvoir en place, à une personne qui serait supérieure, plus puissante que soi ». Les ruses, les mensonges et les masques sont les armes favorites des plus faibles pour vaincre les puissants. La littérature met en scène de nombreux personnages rusés. La ruse et son fonctionnement sont au cœur de nombreuses intrigues destinées à faire rire, à dénoncer les défauts humains ou encore à délivrer une leçon de morale.
De quelle manière la ruse permet-elle aux plus faibles de résister aux plus forts ? De quelle manière la ruse se déploie-t-elle au sein des intrigues ? Quels sont les effets produits sur le lecteur et le spectateur ? Quelles sont les valeurs véhiculées par les ruses ?
La ruse et les différentes formes de ruse
La ruse est une des armes utilisées pour résister et pour vaincre les plus puissants. Il convient de la définir pour distinguer les différentes formes de ruse, à savoir le mensonge, le déguisement, le détournement par la parole.
Définition de la ruse
La ruse est le moyen utilisé par les plus faibles pour se jouer des plus puissants.
Ruse
La ruse est un procédé habile pour tromper l'autre. Le mot « ruse » est synonyme de « feinte », de « piège », de « machination », de « stratagème », de « subterfuge ».
La ruse repose sur la force mentale, c'est-à-dire l'intelligence, et non sur la force physique. Le rusé profite souvent de la naïveté de son adversaire pour le tromper et le vaincre.
Dans la fable « Le Corbeau et le Renard » de La Fontaine publié en 1668, le Renard se sert de la ruse. Il flatte le Corbeau à propos de sa voix pour le tromper et lui faire lâcher le morceau de fromage qu'il tient dans son bec car le Renard est affamé.
Les différentes formes de ruse
La ruse peut prendre différentes formes dont les plus courantes sont le mensonge, le déguisement et le détournement par la parole.
Le mensonge
Le mensonge est une des ruses les plus utilisées, par laquelle le personnage rusé parvient à convaincre sa victime d'une chose fausse.
Le mensonge repose sur un travestissement de la réalité, un détournement de la vérité. Celui qui ment doit être intelligent et bien connaître la situation. L'adversaire doit être beaucoup plus naïf voire sot pour croire aux paroles mensongères.
Le mensonge passe par les mots et invite le lecteur à être complice de cette ruse. Le lecteur, comme le personnage qui ment, comprend la situation dans laquelle se trouve la victime de la ruse.
Scapin, le valet, se venge de Géronte, le père de son maître en lui faisant croire qu'il est attaqué par des soldats. Il lui ment en lui faisant croire qu'il le protège. Pour cela, il le dissimule dans un sac et c'est Scapin qui lui assène les coups de bâton.
« GÉRONTE.
Pourquoi diantre faut-il qu'ils frappent sur mon dos ?
SCAPIN, lui remettant la tête dans le sac.
Prenez garde, voici une demi-douzaine de soldats tout ensemble. (Il contrefait plusieurs personnes ensemble.) "Allons, tâchons à trouver ce Géronte, cherchons partout. N'épargnons point nos pas. Courons toute la ville. N'oublions aucun lieu. Visitons tout. Furetons de tous les côtés […]." Cachez-vous bien. »
Molière
Les Fourberies de Scapin, acte III, scène 2
1671
Scapin base sa ruse sur le mensonge. Comme le souligne la didascalie, il se fait passer pour les soldats et imite leurs paroles qui sont données entre guillemets dans la réplique. Son mensonge lui permet de tromper Géronte et de lui donner des coups de bâton.
Le déguisement
Le déguisement est une autre ruse : le personnage rusé se déguise et trompe ainsi sa victime.
La ruse par le déguisement repose sur l'apparence physique : le personnage transforme son physique pour changer d'identité. Le rusé sait utiliser ce déguisement, cette fausse apparence, pour se jouer de celui qui semble le plus fort, de celui qui détient le pouvoir.
« Voici Renart le pèlerin, l'écharpe au cou portant un bourdon de frêne. Le roi le prie de pardonner aux bêtes tout le mal qu'elles lui ont fait, et qu'à son tour il renonce aux ruses et aux méchancetés. […] Renart ne fait pas la moindre réserve aux prières du roi, mais lui accorde au contraire tout ce qu'il veut jusqu'au moment de son départ. […] Il quitte la cour un peu avant l'heure de none sans daigner saluer personne : au fond de lui-même il les défie, à l'exception du roi et de son épouse. […] Il éperonne son cheval, et s'en va au grand trot. Il arrive à proximité de la haie où Couard s'était couché. Sa faim est plus grande que de coutume, et il n'a aucune envie de jeûner : il pénètre aussitôt dans la haie. Couard, voyant cela, est pris de frayeur : la peur le fait se lever ; […] Et Renart le pique de son bourdon. […] Renart regarde vers la forêt et voit le roi et la reine, et tant de barons […]. Renart, prenant la croix dans ses mains leur crie d'une voix puissante : "Seigneur roi, reprenez votre défroque ! Puisse Dieu confondre le museau qui m'a embarrassé de ce bourdon et de l'écharpe !" Il s'en torche le cul devant les bêtes, puis le jette sur leurs têtes. »
Le Roman de Renart
Renart se déguise en pèlerin comme le souligne la mention des attributs typiques du pèlerin, « l'écharpe » et le « bourdon de frêne ». Il dissimule sa ruse en faisant croire un changement et une complète obéissance au roi afin d'attirer sa confiance. Mais Renart se joue du roi en lui désobéissant puisqu'il va attraper Couard le lièvre pour se nourrir. Il se moque de la promesse faite au roi et il blasphème : Renart savait depuis le début que son déguisement allait tromper le roi.
Le détournement par la parole
La parole détournée est également une ruse utilisée par les personnages qui essaient de tromper. Pour cela, les personnages rusés doivent maîtriser le langage.
Le détournement par la parole repose sur la bonne maîtrise du langage, sur l'intelligence du rusé et sur son art de la manipulation. Le personnage rusé parvient à retourner la conversation à son avantage pour renverser la situation, pour dominer l'autre. Il utilise bien souvent une argumentation fondée sur la mauvaise foi.
« La raison du plus fort est toujours la meilleure ;
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage ;
Tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
— Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
— Comment l'aurais-je fait, si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère ?
— Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
— Je n'en ai point. — C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos Bergers, et vos Chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
Là-dessus au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange
Sans autre forme de procès. »
Jean de La Fontaine
« Le Loup et l'Agneau », Fables
1668-1694
Le Loup ne tient pas du tout compte des réponses de l'Agneau qui sont pourtant sensées. Le Loup refuse d'en reconnaître la vérité et préfère les détourner dans une logique remplie de mauvaise foi : il refuse la raison de la position physique de l'Agneau, la raison de son jeune âge, la raison de l'absence de sa fratrie. Le Loup ne cherche qu'à se venger par une telle ruse et à manger.
Les personnages rusés en littérature
La ruse est utilisée par des personnages bons qui sont obligés d'avoir recours à la tromperie et au mensonge pour se défendre contre plus fort qu'eux. Elle est aussi utilisée par des personnages mal intentionnés qui s'en servent par pur plaisir. Parmi les personnages rusés les plus célèbres, on peut citer : Ulysse, le renard, les bourgeois et gens du peuple dans le genre de la comédie au théâtre.
Ulysse
Ulysse est reconnu pour être le premier personnage rusé de la littérature. On le trouve dans l'Odyssée d'Homère. Grâce à sa ruse, il se tire de toutes les situations et parvient à rentrer chez lui.
Ulysse est un personnage hors du commun, un héros doué de qualités exceptionnelles qui affronte de terribles épreuves lors de son retour dans son île natale, Ithaque, après la guerre de Troie.
L'histoire d'Ulysse est racontée par Homère dans son épopée intitulée l'Odyssée qui vient du grec Odusseus et qui signifie « Ulysse ». L'Odyssée a été écrite par Homère entre les IXe et VIIIe siècles av. J.-C.
Épopée
Le mot « épopée » vient du grec epos qui signifie « chant ». L'origine du mot rappelle le caractère oral du texte : les récits étaient racontés et chantés devant un public par un chanteur appelé « aède » accompagné d'une lyre.
Ulysse se distingue par son courage, par sa force, par sa générosité, par ses grandes qualités de chef, mais surtout par son intelligence. Il est reconnu pour ses nombreuses ruses. On le surnomme d'ailleurs « le héros aux mille ruses ».
Ulysse et ses compagnons arrivent sur l'île des géants Cyclopes. Ils s'installent dans la caverne de Polyphème qui en condamne l'entrée par un rocher.
« Et moi, je reste dans la grotte, méditant ma vengeance. Je taille en pointe un énorme tronc d'un olivier verdoyant placé par le Cyclope dans l'étable ; je l'endurcis encore en l'exposant à la flamme étincelante. [...] Le soir, le géant revient en conduisant ses brebis à la belle toison [...] Alors je m'approche du monstre, en tenant une coupe remplie d'un vin aux sombres couleurs, et je luis dis : "Tiens, Cyclope, bois de ce vin, puisque tu viens de manger de la chair humaine." Le monstre prend la coupe, et boit ; ce doux breuvage lui plaît tant qu'il m'en demande une seconde fois. [...] Aussitôt que le vin s'est emparé de son esprit, je lui adresse ces douces paroles : "Cyclope, tu me demandes mon nom ; je vais te le dire ; mais fais-moi le présent de l'hospitalité comme tu me l'as promis. Mon nom est Personne : c'est ainsi que m'appellent mon père et ma mère, et tous mes fidèles compagnons." [...] Le Cyclope tombe à la renverse, dompté par le sommeil. ivre, il vomit le vin et les morceaux de chair humaine. Je chauffe alors le pieu dans la cendre et rassure mes compagnons. Quand le tronc de l'olivier est assez chauffé, je le retire tout brûlant du feu. Mes amis saisissent le pieu pointu, l'enfoncent dans l'œil du Cyclope, et je le fais tourner en appuyant dessus avec force. Le sang chaud en jaillit, la vapeur de la pupille ardente brûle ses paupières et son sourcil. Le monstre pousse des hurlements affreux qui font retentir la caverne. Nous nous enfuyons, épouvantés. »
Homère
Odyssée
fin du VIIIe siècle av. J.-C.
Pour sauver ses compagnons et pour échapper aux horreurs du Cyclope, Ulysse, fort rusé et très intelligent, cherche les moyens de le tromper et de le dominer. Il se joue de lui en falsifiant son nom pour passer par la suite inaperçu, en l'enivrant afin de lui faire vomir les compagnons dévorés et de lui planter le pieu dans son seul œil.
La figure du renard
La littérature occidentale reprend volontiers l'image du renard qui est une figure rusée par excellence. Le renard conserve son caractère animal mais se dote de plusieurs caractéristiques humaines. Il est particulièrement utilisé dans les fables et a été rendu célèbre par le héros dans Le Roman de Renart.
La ruse est souvent incarnée par un renard. Cet animal est reconnu pour sa fourberie : il attend la nuit tombée ou le calme quand chacun est occupé aux travaux des champs pour visiter le poulailler et manger des poules. C'est encore le renard qui rôde autour des maisons, silencieux, queue baissée, pour venir voler de la nourriture.
Dans les textes littéraires, le renard prend des caractéristiques humaines : il parle, il réfléchit, il monte à cheval, il porte des vêtements. Il conserve en revanche son attribut animal : la ruse.
On retrouve la figure du renard rusé dans les fables dès l'Antiquité. Il est également présent dans les fables de La Fontaine au XVIIe siècle.
- Chez Ésope, on trouve la fable intitulée « Le Chien, le Coq et le Renard »
- Chez Phèdre, on trouve la fable intitulée « Le Renard et le Corbeau »
- Chez La Fontaine, on trouve la fable intitulée « Le Corbeau et le Renard ».
Le Renard utilise la ruse pour parvenir à ses fins.
Dans « Le Corbeau et le Renard » de La Fontaine, le Renard se sert de la ruse pour faire lâcher au Corbeau son morceau de fromage et le lui voler afin de le manger.
Dans Le Roman de Renart, le renard est au centre du roman.
Dans Le Roman de Renart, le héros s'appelle Renart. Au Moyen Âge, « renard » se dit « goupil ». Toutefois, le héros du roman a un tel succès que les gens se mettent à appeler le goupil un « renart ». L'orthographe a évolué et a donné, en français moderne, « renard ».
Le Roman de Renart raconte les aventures de Renart. C'est un personnage assez négatif qui utilise constamment la ruse pour tromper les plus puissants. Il gagne grâce à son intelligence malicieuse. Renart dénonce très souvent les injustices dont les plus pauvres et les plus faibles sont victimes.
Renart souffre terriblement de la faim. Pour se nourrir, il se fait passer pour mort en s'étendant sur la route. Passe alors une charrette de pêcheurs qui reviennent chargés d'anguilles. Les hommes s'arrêtent. Croyant l'animal mort, ils ramassent le renard pour sa fourrure et le jettent dans la charrette. Pendant le trajet, Renart mange beaucoup d'anguilles et en vole d'autres.
Plusieurs romans de la littérature jeunesse reprennent l'image populaire et célèbre du renard en prenant leur source dans Le Roman de Renart.
Le Roman de Renart de Jean-Marc Mathis et Thierry Martin, publié entre 2000 et 2009, est une bande dessinée qui adapte les aventures de Renart du Roman de Renart.
Les personnages rusés dans les comédies
Dans les comédies, les personnages les plus faibles de par leur rang social et de par leur statut économique cherchent bien souvent à se venger des plus forts et des plus puissants, les nobles. Ils utilisent la ruse pour résister, pour se venger des nobles, pour les duper.
Le personnage du rusé n'est pas incarné par un seul personnage dans le théâtre comique. Les personnages rusés peuvent être des bourgeois ou des valets, des hommes ou des femmes. Les rusés ne sont pas les plus forts ni physiquement ni financièrement : ils usent de la ruse pour se défendre, pour se venger, pour ne plus être battus, pour ne pas être marié(e) de force, etc.
Dans Le Médecin malgré lui joué pour la première fois en 1666, Molière met en scène plusieurs personnages rusés :
- Martine, la femme, ruse pour se venger de Sganarelle, le mari, qui la bat.
- Sganarelle ruse pour soutirer de l'argent à Géronte.
Souvent, les enfants des nobles rusent pour ne pas leur obéir.
Dans Le Médecin malgré lui, Lucinde ruse en restant muette pour échapper au mariage décidé par son père Géronte. Elle détourne ainsi l'attention de son père. Celui-ci cherche désespérément un remède à son étrange maladie pour ne pas compromettre ses projets de mariage avec Horace pendant qu'elle prépare avec Léandre leur fuite afin de se marier tous deux.
Molière est très largement influencé par le théâtre d'origine italienne, la commedia dell'arte.
Commedia dell'arte
La commedia dell'arte est un spectacle populaire qui est fait pour divertir. Le texte n'est pas écrit, le spectacle repose sur l'improvisation. Les personnages, facilement reconnaissables à leurs costumes et à leurs masques, sont souvent les mêmes : le vieillard trompé, le valet fourbe, la belle jeune fille, etc.
Le personnage de Sganarelle vient de la commedia dell'arte. C'est un personnage que l'on retrouve souvent dans les pièces de Molière.
- Sganarelle est un valet dans Le Médecin volant et dans Dom Juan.
- Sganarelle est un bourgeois parisien dans Sganarelle ou le Cocu imaginaire, L'École des maris, Le Mariage forcé.
- Sganarelle est un bûcheron qui dépense l'argent du foyer et qui bat sa femme dans Le Médecin malgré lui.
Le nom de Sganarelle vient de l'italien sgannare qui signifie « ouvrir les yeux ». C'est donc un personnage qui parvient à ouvrir les yeux aux spectateurs, particulièrement par la ruse. Sganarelle est un personnage rusé qui utilise son sens de la tromperie et son intelligence pour ne plus être battu, pour soutirer de l'argent aux nobles, pour se sortir d'une affaire délicate.
Sganarelle est devenu, malgré lui, médecin. Il a dû accepter pour éviter les coups de bâton et pour aider Lucinde et son amoureux à être réunis contre la volonté des pères. Sganarelle doit examiner Lucinde, faussement malade car elle refuse seulement de parler. Sganarelle use de la ruse pour se sortir d'affaire.
« LUCINDE.
Han, hi, hon.
SGANARELLE, la contrefaisant.
Han, hi, hon, han, ha : je ne vous entends point. Quel diable de langage est-ce là ?
GÉRONTE.
Monsieur, c'est là sa maladie : elle est devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause, et c'est un accident qui a fait reculer son mariage. [...] Enfin, Monsieur, nous vous prions d'employer tous vos soins pour la soulager de son mal. [...]
SGANARELLE, se tournant vers la malade.
Donnez-moi votre bras. Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette. [...] Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c'est l'empêchement de l'action de sa langue. [...] Et parce que lesdites vapeurs ont une certaine malignité [...] qui est causée par l'âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces vapeurs… Ossabandus, neuqueys, neuquer, potarinum, quipsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette. »
Molière
Le Malade imaginaire, acte II, scène 4
1673
Sganarelle est devenu médecin malgré lui. Personnage rusé, il fait en sorte de tourner cette situation à son avantage : éviter les coups de bâton de la part des jeunes gens, se moquer de Géronte et lui soutirer de l'argent. Ainsi, il trompe Géronte en se faisant passer pour médecin : il en imite les gestes lors de l'auscultation comme le suggère la didascalie. Et pour poser le diagnostic, Sganarelle tourne en ridicule Géronte en accumulant des mots savants et des mots latins dans des phrases qui n'ont aucun sens.
Les gens du peuple dans la farce et les fabliaux
Dans la farce et dans les fabliaux, les personnages rusés sont des gens du peuple. Socialement inférieurs aux gens riches, ils usent de la ruse pour se sortir de situations délicates et injustes.
Farce
La farce est apparue au Moyen Âge. C'est une pièce comique très courte fondée sur une intrigue simple. Cette pièce était jouée pour distraire le public lors des longues représentations des mystères, pièces religieuses. La farce était jouée à la pause, à l'entracte.
L'intrigue de la farce est simple. Les personnages sont le plus souvent empruntés à la vie quotidienne. La farce fait intervenir la ruse qui est utilisée par le plus faible comme une arme de défense face au plus fort, face à une injustice.
La Farce de Maître Pathelin est l'histoire d'un berger accusé d'avoir tué les moutons de son maître. Il a pour avocat Maître Pathelin. La ruse du berger consiste à se faire passer pour idiot en ne répondant aux questions que par « Bê ! » pour montrer qu'il ne sait pas parler.
Fabliau
Le fabliau est un court récit imaginaire écrit à l'origine en vers avant d'être traduit en prose. Au Moyen Âge, les poètes jongleurs les racontaient pendant les veillées et les fêtes.
L'intrigue des fabliaux est simple. Elle est centrée sur une anecdote. Le but de ces récits est de faire rire de la vie quotidienne, de donner une leçon de morale pour dénoncer les injustices sociales ou le manque de rigueur morale et religieuse.
Le fabliau met en scène un nombre restreint de personnages qui généralement s'opposent par leur milieu social et leur attitude morale. Les prêtres et les paysans y sont souvent représentés. Les personnages ont recours à la ruse pour se défendre, pour se sortir de situations compromettantes, pour obtenir de la nourriture, pour obtenir la grâce de Dieu.
Le Testament de l'âne est un fabliau de la deuxième moitié du XIIIe siècle, écrit par Rutebeuf. Il met en scène un prêtre riche qui économise beaucoup contrairement à un évêque qui dépense tout. À la mort de son âne, le prêtre décide de l'enterrer dans le cimetière. L'évêque le convoque et le menace de châtiment : c'est un lourd péché de donner une sépulture aux bêtes. Pour éviter la punition, le prêtre, plus rusé que son supérieur l'évêque, retourne la situation à son avantage en lui disant que l'âne a bien travaillé toute sa vie et a économisé de l'argent. Il explique que l'animal avait prévu une somme pour l'évêque. Celui-ci, en manque d'argent, accepte. Le prêtre se sort de cette impasse grâce à sa ruse.
Le fonctionnement des ruses au sein des œuvres littéraires
Pour que les ruses fonctionnent au sein des œuvres littéraires, il est nécessaire de réunir certains éléments : un maître du jeu, une intrigue simple et bien construite avec un rebondissement. Enfin, il faut provoquer le rire du lecteur ou du spectateur. Ces éléments permettent à l'histoire de bien fonctionner car la ruse, placée au cœur du récit, est un moteur de l'intrigue.
Un maître du jeu et une intrigue ficelée
Pour que la ruse fonctionne, le maître du jeu est toujours le personnage rusé. C'est lui qui, par ses tromperies, ses mensonges, son intelligence, fait avancer l'intrigue qui repose souvent sur le schéma narratif. Les rebondissements permettent de souligner la ruse du personnage et d'arriver à la situation finale, souvent une situation heureuse dans laquelle le personnage rusé parvient à ses fins.
Pour que la ruse réussisse, il faut un maître du jeu. Le personnage rusé maîtrise la situation, c'est lui qui l'oriente. Il conduit la conversation, se joue de son adversaire pour le ridiculiser, pour le manipuler.
Scapin soutient Léandre son maître qui ne souhaite pas se marier avec la femme choisie par son père Géronte. Pour l'aider, Scapin imagine une ruse qui consiste à faire croire au père que son fils a été enlevé et qu'une rançon est demandée.
« SCAPIN, feignant de ne pas voir Géronte.
Ô Ciel ! ô disgrâce imprévue ! ô misérable père ! Pauvre géronte, que feras-tu ?
GÉRONTE, à part.
Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ?
SCAPIN, même jeu.
N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur géronte ?
GÉRONTE.
Qu'y a-t-il, Scapin ?
SCAPIN, courant sur le théâtre, sans vouloir entendre ni voir Géronte.
Où pourrais-je le rencontrer pour lui dire cette infortune ? [...] Ah ! Monsieur, il n'y a pas moyen de vous rencontrer.
GÉRONTE.
Il y a une heure que je suis devant toi. Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a ?
SCAPIN.
Monsieur…
GÉRONTE.
Quoi ?
SCAPIN.
Monsieur votre fils [...] est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde. [...] Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer, et, se voyant éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif, et m'envoie vous dire que, si vous ne lui envoyez par moi tout à l'heure cinq cents écus, il va nous emmener votre fils en Alger.
GÉRONTE.
Comment ! diantre, cinq cents écus ! »
Molière
Les Fourberies de Scapin, acte II, scène 7
1671
La ruse de Scapin repose sur la maîtrise de la situation qu'il dramatise totalement. Les didascalies soulignent que Scapin met en scène sa recherche affolée et donc exagérée de Géronte. Les nombreuses questions de Géronte qui restent sans réponse montrent que Scapin refuse par stratégie délibérée de lui répondre. Enfin, la ruse de Scapin est explicitement dévoilée par l'invention de l'enlèvement de Léandre. Scapin maîtrise la situation du début jusqu'à la fin car Géronte croit à ce qui lui est dit et se décide finalement à donner l'argent de la rançon.
L'intrigue repose sur la ruse. Pour que la ruse soit efficace, l'histoire doit être rythmée par de nombreux rebondissements et suivre le schéma narratif.
On retrouve ce schéma narratif dans Le Roman de Renart.
Dans le récit « Renart et les anguilles », le cœur de l'histoire se constitue d'une ruse et suit le schéma narratif. Renart doit trouver un moyen de se nourrir. Les étapes de l'histoire sont les suivantes :
- La situation initiale : Renart cherche désespérément à manger et feint d'être mort au bord de la route.
- L'élément perturbateur : des marchands arrivent près de Renart avec une charrette chargée de harengs frais, d'anguilles, de lamproies et de poissons.
- Les péripéties : Renart se fait passer pour mort sur la route en se couchant à terre, pattes écartées, langue pendante. Les marchands tombent dans le piège. Ils récupèrent l'animal pour prendre sa fourrure. Ils le jettent à l'arrière de la charrette.
- Le dénouement : Renart mange une grande quantité de poissons frais, vole plusieurs colliers d'anguilles. Fier de lui, en sautant de la charrette, Renart lance des mots moqueurs aux marchands qui se sont faits berner.
On retrouve également le schéma narratif dans les comédies de Molière, chaque acte a une fonction précise :
- Le premier acte place le cadre, les personnages, l'intrigue : on parle d'acte d'exposition.
- Le deuxième acte concerne davantage l'action avec le déroulement de la ruse : on parle d'acte concentré sur l'action.
- Le troisième et dernier acte a pour but de résoudre l'action et les problèmes soulevés par la ruse : on parle d'acte de dénouement.
La structure des Fourberies de Scapin suit cette organisation :
- Exposition : les fils respectifs de Géronte et d'Argante, Léandre et Octave, ont épousé en cachette les jeunes filles qu'ils aiment alors que leurs pères les destinent à d'autres. Les fils appellent Scapin à l'aide.
- Action : Scapin met en place sa ruse qu'il destine aux deux pères. C'est Argante qui sera le premier trompé : Scapin lui explique que le frère de la femme d'Octave acceptera de rompre le mariage contre de l'argent. Pour finir de le convaincre, Scapin va jouer les spadassins violents, prêt à tuer Argante. Vient ensuite le tour de Géronte à qui l'on fera croire qu'il faut payer une dette pour libérer son fils, fait prisonnier sur une galère pour un repas.
- Dénouement : Scapin décide de se venger de Géronte car, à cause de lui, il a été obligé de révéler la vérité des trois vols à Léandre. Il fait donc croire au vieux père que le frère de Hyacinthe (c'est-à-dire Léandre) veut le tuer. C'est ainsi que Géronte se retrouve piégé/caché dans un sac afin de regagner sa maison sans risque. Scapin en profite pour se faire passer pour l'ennemi et frappe Géronte à deux reprises jusqu'à ce que ce dernier sorte la tête du sac et comprenne la supercherie. Les deux pères veulent se venger, d'autant plus que Géronte croit avoir perdu sa fille de Tarente. Heureusement le hasard fait bien les choses : Octave présente sa femme Hyacinthe qui est en fait la fille de Géronte, et Argante reconnaît sa fille Zerbinette grâce à un bracelet. Scapin obtient le pardon des deux vieillards en faisant croire qu'il est blessé.
Le retournement de situation final constitue un rebondissement important dans l'intrigue et dans la réussite de la ruse. Ce retournement de situation est un bouleversement inattendu dans l'intrigue.
« ARGANTE.
Venez, mon fils, venez vous réjouir avec nous de l'heureuse aventure de votre mariage. Le ciel…
OCTAVE, sans voir Hyacinthe.
Non, mon père, toutes vos propositions de mariage ne serviront de rien. Je dois lever le masque avec vous et l'on vous a dit mon engagement.
ARGANTE.
Oui ; mais tu ne sais pas….
OCTAVE.
Je sais tout ce qu'il faut savoir. [...] Non, vous dis-je, mon père, je mourrai plutôt que de quitter mon aimable Hyacinthe. (Traversant le théâtre pour aller à elle.) Oui, vous avez beau faire, la voilà celle à qui ma foi est engagée ; je l'aimerai toute ma vie, et je ne veux point d'autre femme…
ARGANTE.
Hé bien ! c'est elle qu'on te donne. Quel diable d'étourdi, qui suit toujours sa pointe ! »
Molière
Les Fourberies de Scapin, acte III, scène 10
1671
Le retournement de situation ici est un élément joyeux pour Octave : il va épouser celle qu'il souhaitait, à savoir Hyacinthe. Sa ruse a fonctionné mais plus encore, il se retrouve dans la légalité de ce mariage : son père lui donne son consentement. Les masques sont levés. Une fois les filles retrouvées, les pères peuvent offrir, comme convenu, leur main. Hyacinthe était bien destinée à Octave. Ce rebondissement permet en plus de proposer une fin heureuse à cette comédie de Molière.
L'importance du rire
Le rire est très important dans la mise en scène de la ruse, particulièrement au théâtre. La ruse est souvent utilisée pour se moquer des plus forts et les tourner en ridicule.
Pour susciter le rire chez le lecteur ou chez le spectateur et pour assurer la bonne réussite de la moquerie, les auteurs utilisent des techniques pour faire rire. Ces techniques correspondent à différents types de comique dans les textes.
On distingue :
- le comique de mots ;
- le comique de caractère ;
- le comique de gestes.
Comique de mots
Le comique de mots repose sur les mots : les jurons, les insultes, les jeux de mots.
Dans Les Fourberies de Scapin, la répétition de « diantre » ou de « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » par Géronte relève du comique de mots.
Comique de situation
Le comique de situation repose sur une situation qui suscite le rire.
Lorsque les autres personnages prennent Sganarelle pour un médecin dans Le Médecin malgré lui, les spectateurs rient.
Comique de caractère
Le comique de caractère correspond à une caricature de certains traits de caractère.
Harpagon est l'incarnation de l'avarice. Son trait de caractère devient d'ailleurs le titre de la pièce de Molière : L'Avare (1668). Harpagon reste jusqu'à la fin de la pièce, un avare incorrigible passionné par son argent et obsédé par la disparition de son coffre rempli de pièces d'or.
Comique de gestes
Le comique de gestes repose sur les gestes des personnages qui font rire.
Les coups de bâton que Sganarelle reçoit dans Les Fourberies de Scapin amusent le spectateur.
Les finalités de la ruse
La ruse est utilisée principalement pour plaire et divertir le lecteur ou le spectateur et pour délivrer une leçon de vie et de conduite. Elle permet aux écrivains et aux dramaturges de réfléchir à la vie humaine et aux rapports entre les hommes.
Plaire et divertir
Le Roman de Renart, les fables, les comédies, les farces, les fabliaux utilisent la ruse pour provoquer le rire chez le lecteur et le spectateur. Ils ont pour fonction de plaire et de divertir.
Les animaux comme personnages, les personnages stéréotypés comme les valets, les petits bourgeois, les prêtres, les époux trompés suscitent naturellement le rire. Ils garantissent au lecteur ou au spectateur des moments plaisants et divertissants.
Les histoires des fabliaux sont généralement courtes et se lisent rapidement. Le lecteur s'en amuse.
Le lecteur s'amuse du quiproquo dans le fabliau « Estula ». Estula est le nom du chien. Deux frères partis voler auprès de cette riche maison s'interpellent en disant « Es-tu là ? ». Les maîtres croient qu'il s'agit de leur chien qu'il découvre doué de la parole.
En écrivant ses fables, La Fontaine a repris le précepte du poète Horace : placere docere, « plaire et instruire ». En ce qui concerne le plaisir et le divertissement, chaque fable de La Fontaine offre un moment agréable à tous les lecteurs de tous les âges : les fables peuvent se lire et se relire tout au long d'une vie et se comprendre différemment d'un moment de la vie à l'autre.
Pour assurer le plaisir et le divertissement de ses lecteurs, La Fontaine utilise des animaux comme personnages en leur donnant des caractéristiques humaines (la parole, les gestes, les vêtements, les pensées). Il peut également proposer une double ruse dans une même fable pour montrer que le trompé devient trompeur et que le trompeur se trouve dupé.
« Compère le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner Commère la Cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galand, pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là, la Cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie."
À l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout : renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille. »
Jean de La Fontaine
« Le Renard et la Cigogne », Fables
1668
Le lecteur se réjouit de trouver deux ruses dans une même fable, de voir comment le Renard se moque et se joue de la Cigogne en lui donnant de la soupe à boire et comment la Cigogne se venge de l'affront de Renard en le dupant à son tour.
Une leçon de vie et de conduite
En utilisant des personnages rusés, les écrivains et les dramaturges cherchent à délivrer une leçon de vie et de conduite. Les textes où la ruse est centrale délivrent souvent une morale. Parfois, les personnages rusés sont punis. D'autres fois, les personnages rusés sont au contraire valorisés et se tirent de toutes les situations.
La leçon de morale invite à réfléchir sur la conduite et le comportement des personnages et au-delà, des hommes dans la société.
« Je me sers d'animaux pour instruire les hommes ».
Jean de La Fontaine
La morale se trouve fréquemment dans les fables et dans les fabliaux. Elle donne une leçon aux lecteurs. L'auteur utilise généralement le présent de vérité générale, des formules générales, des formes impersonnelles ou des proverbes. La morale peut se situer au début ou à la fin dans une fable et toujours à la fin dans les fabliaux.
« Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ? »
Jean de La Fontaine
« Le Renard et l'Écureuil », Fables
1668
La morale se situe à l'ouverture de cette fable. La Fontaine utilise la forme interrogative, la forme impersonnelle (« il ne se faut »), les mots qui vont donner l'idée générale de la leçon et du contenu de la fable (« moquer », « misérables », « heureux ») pour inviter le lecteur à se garder de la moquerie et à juger une situation malheureuse car le mauvais sort peut se retourner contre lui.
Si les récits de ruse permettent de voir que la ruse peut sauver les plus faibles dans leur résistance contre les plus forts, ils analysent également le comportement des rusés et donnent une leçon de conduite les concernant. Cela permet aux lecteurs de relever les défauts des hommes, de juger les attitudes à ne pas avoir, de constater parfois la cruauté de la vie. Parfois, la ruse se retourne contre le rusé, pris à son propre piège. L'auteur suggère que l'honnêteté, par opposition à la tromperie, demeure une valeur sûre et reconnue.
Dans La Farce du pâté et de la tarte datant du XVe siècle, le pâtissier Gautier se fait voler un pâté. Il punit le voleur en le battant et attend que son complice, un certain Baillevent, vienne se rendre. Baillevent veut user d'une ruse pour voler une tarte supplémentaire. Arrivé chez le pâtissier, il se fait passer pour un noble ayant commandé une tarte. Mais le pâtissier et son épouse, Marion, déjouent sa ruse en le reconnaissant et lui administre une correction qui est loin d'avoir la douceur d'une tarte sucrée.
Les rusés mal intentionnés s'en sortent parfois. Ils sont parvenus à duper plus faibles qu'eux. La leçon de vie est alors bien négative et pessimiste : les « mauvais » s'en sortent pendant que les « bons » subissent.
Dans le récit « Renart et les anguilles », Renart dupe les marchands de poissons en se faisant passer pour mort au bord de la route. Renart leur mange une grande quantité de poissons. Le rusé mal attentionné s'en sort pendant que les pauvres marchands perdent le fruit de leur travail.
Une réflexion sur les rapports humains
L'utilisation de la ruse en littérature incite le lecteur ou le spectateur à réfléchir sur les rapports humains. Cette réflexion aboutit généralement à une critique de la société et des rapports humains dans différents domaines : social, religieux, sentimental.
Souvent, les récits dans lesquels on trouve un personnage rusé sont une critique de l'injustice sociale. Le plus faible, souvent pauvre et démuni, peut être victime de la ruse d'un plus fort. Le lecteur constate alors les dysfonctionnements de la société basée sur des différences et des injustices.
Dans son fabliau intitulé Les Trois aveugles de Compiègne, datant du XIIIe siècle, Courtebarbe met en scène trois aveugles très pauvres qui sont victimes de la tromperie d'un clerc, riche, rusé et méchant. Ce dernier abuse de leur infirmité et de leur pauvreté en faisant croire qu'il donne à l'un d'entre eux une pièce d'or pour aller manger. Sa fausse générosité et sa malhonnêteté mettent les trois aveugles qui ne peuvent payer à l'aubergiste leur repas dans l'embarras.
L'auteur se moque de certains défauts comme l'hypocrisie, l'avarice ou l'égoïsme.
Dans Le Testament de l'âne, l'auteur Rutebeuf se moque des religieux. Les hommes d'Église répètent dans leurs sermons la nécessité du partage et de l'humilité : les hommes doivent savoir se contenter de peu et se nourrir de la parole de Dieu. En réalité, le prêtre et l'évêque sont tous deux très riches dans le fabliau. De plus, le prêtre est avare et l'évêque est très dépensier : aucun des deux ne pense à partager leur fortune.
Les récits de ruses révèlent l'injustice sentimentale au sein de la famille quand le père décide du mariage pour ses enfants. Cela était fréquent dans les familles au XVIIe siècle : le père choisissait l'époux ou l'épouse pour sa fille ou pour son fils sans tenir compte des sentiments de ses enfants.
« LÉANDRE.
Non : pour vous dire la chose en deux mots, je m'appelle Léandre, qui suis amoureux de Lucinde, que vous venez de visiter ; et comme, par la mauvaise humeur de son père toute sorte d'accès m'est fermé auprès d'elle, je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour, et de me donner lieu d'exécuter un stratagème que j'ai trouvé, pour lui pouvoir dire deux mots, d'où dépendent absolument mon bonheur et ma vie.
SGANARELLLE, paraissant en colère.
Pour qui me prenez-vous ? Comment oser vous adresser à moi pour vous servir dans votre amour, et vouloir ravaler la dignité de médecin à des emplois de cette nature ? »
Molière
Le Médecin malgré lui, acte II, scène 5
1666
Léandre est en train d'établir une ruse pour pouvoir voir Hyacinthe, pour sauver son amour voire son mariage avec elle. En s'opposant ainsi à la volonté de Géronte, le père de Hyacinthe, il ne respecte pas l'autorité paternelle et il est poussé à compromettre Sganarelle dans sa ruse. Molière critique ainsi le comportement autoritaire des pères qui décident de la vie sentimentale de leurs enfants.