Sommaire
IL'intitulé du parcours : « théâtre et dispute »ADéfinition des termes du parcours1Théâtre2DisputeBLes enjeux du parcoursIIL'auteureAL'enfance de Nathalie SarrauteBLes années de formationCL'écrivaineDSarraute et le théâtreIIILe théâtre de l'absurdeIVL'œuvreALa création d'une pièce radiophoniqueBLe titre, Pour un oui ou pour un nonCLa structure de la pièceDLes personnages de la pièceELes thèmes de la pièce1La dispute2Langage, non-dits et silences3L'amitiéVTextes-clés de la pièceAL'expositionBLe procès avec des témoinsCLe dénouementL'intitulé du parcours : « théâtre et dispute »
L'intitulé du parcours nous invite à nous demander dans quelle mesure la dispute est un lieu commun inévitable au théâtre.
Définition des termes du parcours
Les termes du parcours sont liés aux notions de « théâtre » et de « dispute ».
Théâtre
Le terme « théâtre » doit être compris dans son sens étymologique premier, theatron en grec ancien, qui signifie « le lieu où l'on regarde ».
Le théâtre apparaît au Ve siècle avant Jésus-Christ dans la Grèce antique. Il s'affirme comme un lieu mimétique de la vie réelle : les comédiens jouent des pièces qui doivent paraître vraisemblables aux yeux des spectateurs (gestuelle, paroles, costumes). Il y a bien souvent une volonté de faire grandir le spectateur grâce aux pièces représentées.
Dispute
Le mot « dispute » semble relié à l'idée d'une division.
Le mot « dispute » vient du latin disputare qui signifie « examiner, discuter ». Le mot est d'abord employé au sens de « discuter, débattre » puis, à partir du XVIIe siècle, au sens de « rivaliser avec, (se) quereller ». La dispute suggère un échange verbal violent entre deux ou plusieurs personnes qui ne parviennent pas à trouver un terrain d'entente. Souvent, les personnes confrontent leurs arguments pour tenter de résoudre le conflit, il s'agit alors d'un débat d'idées (disputatio, en latin), mais celui-ci peut se transformer en réelle querelle dont chaque partie veut sortir victorieuse.
La notion de dispute est intrinsèquement liée aux notions de langage, de non-dits et de silence.
Les enjeux du parcours
L'intitulé du parcours suggère une corrélation entre le théâtre et la dispute. Cette dernière permettrait de révéler le véritable enjeu du théâtre : faire se questionner le spectateur ou lui apporter des réponses aux questions essentielles qu'il se pose.
Les deux termes « théâtre » et « dispute » sont associés par l'utilisation de la conjonction de coordination « et ». Il y a donc un rapprochement entre les deux mots, ce qui sous-entend que théâtre et dispute sont intimement liés. La formulation « théâtre et dispute » suggère que le théâtre serait le lieu privilégié pour mettre en scène une dispute, un débat d'idées, des arguments qui s'opposent, dans le but de tenter de trouver une réponse au conflit initial.
L'intitulé du parcours invite donc à se poser diverses questions :
- Quelle est la place de la dispute au théâtre ?
- Quels sont les enjeux de la dispute au théâtre ?
- Comment se manifeste la dispute sur scène ?
- La dispute nous permet-elle de nous questionner sur le langage ?
- Quelle place le langage tient-il dans la dispute ?
- Dans quelle mesure les dramaturges utilisent-ils la dispute pour faire passer un message au spectateur ?
- En quoi la pièce Pour un oui ou pour un non explore-t-elle le langage ?
- Comment langage et silence sont-ils exploités dans les disputes au théâtre ?
L'auteure
Nathalie Sarraute naît en 1900 et meurt en 1999. Femme de lettres d'origine russe, elle est l'une des figures emblématiques du nouveau roman, mouvement littéraire né dans les années 1950 qui rejette les conventions romanesques traditionnelles.
L'enfance de Nathalie Sarraute
Nathalie Sarraute a connu une enfance divisée entre ses deux parents, entre la France et la Russie. Elle relate les moments les plus marquants de son enfance dans son roman autobiographique Enfance.
Née le 18 juillet 1900 près de Moscou, Nathalie Sarraute grandit dans une famille bourgeoise cultivée. Lorsqu'elle est âgée de deux ans, ses parents divorcent et elle déménage avec sa mère en Suisse, puis à Paris pour finalement retourner en Russie. Elle voit peu son père contraint d'émigrer en France pour des raisons politiques. Sa mère l'abandonne finalement à son père lorsqu'elle a huit ans. Cet événement la marquera durablement.
Les années de formation
Grâce à l'éducation cosmopolite qu'elle reçoit, Nathalie Sarraute s'engage dans différents parcours avant de devenir romancière.
Elle fait le choix dans un premier temps d'étudier l'anglais et l'histoire à Oxford puis la sociologie et l'histoire à Berlin, avant de poursuivre des études de droit à Paris en 1922. Elle parvient à devenir avocate et rencontre Raymond Sarraute, qui a emprunté la même voie professionnelle qu'elle. Ensemble, ils auront trois enfants, Claude, Anne et Dominique.
Durant cette période de sa vie, plusieurs auteurs vont particulièrement la marquer : Marcel Proust, James Joyce, Fedor Dostoïevski, Franz Kafka et Virginia Woolf. La lecture de leurs ouvrages va considérablement modifier sa perception du roman et Nathalie Sarraute développe alors une nouvelle conception du roman et une réflexion sur le langage.
L'écrivaine
En 1932, elle publie Tropismes, sa première œuvre, dans laquelle elle s'intéresse, selon ses propres mots, aux « mouvements indéfinissables qui glissent très rapidement aux limites de la conscience » à l'origine des gestes, des paroles et des sentiments.
Radiée du barreau en 1940 à cause des lois anti-juives, Nathalie Sarraute s'éloigne du droit et s'oriente de plus en plus vers la littérature. Durant la Seconde Guerre mondiale, elle aide Samuel Beckett à se cacher et découvre par son biais le théâtre de l'absurde, ce qui l'engagera également à écrire des pièces. En 1941, elle divorce de son mari pour qu'il ne soit pas, à son tour, radié du barreau.
Sa véritable carrière littéraire débute avec la publication de Portrait d'un inconnu (1948) dont Jean-Paul Sartre rédige la préface, Martereau (1953) et L'Ère du soupçon (1953). À cette époque, le critique littéraire Émile Henriot donne une appellation péjorative aux œuvres de Sarraute et de Robbe-Grillet : le « nouveau roman ». Les écrivains du nouveau roman ne revendiquent aucun chef de file, aucun manifeste ; ils publient aux Éditions de Minuit et s'intéressent au roman non pas comme l'écriture d'une aventure mais comme l'aventure d'une écriture.
Nouveau roman
Le nouveau roman est un courant littéraire apparu en France dans les années 1950. Il se caractérise par une remise en question des conventions narratives traditionnelles : rejet de l'intrigue classique, personnages flous et sans psychologie, importance des objets et des descriptions, narration expérimentale, travail sur le langage et la structure du texte. Les nouveaux-romanciers les plus célèbres sont : Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Michel Butor, etc.
Sarraute et le théâtre
L'écriture dramatique de Nathalie Sarraute débute dans les années 1960. Même si elle n'écrit pas un grand nombre de pièces, elles seront toutes reconnues par la critique.
En recherche constante sur la littérature, Nathalie Sarraute s'intéresse au théâtre, notamment pour montrer que le langage n'est qu'un artifice et qu'il accentue l'inauthenticité de la vie sociale. Deux pièces vont véritablement marquer un tournant vers la scène dramatique : Le Silence (1964) et Le Mensonge (1966), toutes deux mises en scène par Jean-Louis Barrault au Petit-Odéon.
Sarraute s'intéresse particulièrement à une nouvelle forme de théâtre née après la Seconde Guerre mondiale, le théâtre de l'absurde. C'est ainsi qu'elle publie en 1982 sa pièce Pour un oui ou pour un non, initialement pensée pour la radio. Il s'agit de sa pièce la plus jouée.
En 1983, alors qu'elle se consacre quasiment exclusivement au théâtre depuis quelques années, Sarraute publie sa célèbre autobiographie Enfance.
Enfance est une autobiographie de Sarraute qui se distingue par plusieurs caractéristiques notables qui reflètent à la fois le style unique de l'auteure et ses préoccupations littéraires. Le livre est construit sous la forme d'un dialogue entre deux voix, l'une représentant Nathalie Sarraute elle-même et l'autre jouant le rôle d'un interlocuteur ou d'un alter ego. Cette structure permet une exploration introspective et une interrogation constante sur la validité des souvenirs et des impressions d'enfance. C'est une œuvre influencée par le nouveau roman.
Le théâtre de l'absurde
L'expression « théâtre de l'absurde » apparaît véritablement en 1961 dans un essai de Martin Esslin. Les principaux représentants de ce nouveau théâtre sont Eugène Ionesco (Rhinocéros, La Cantatrice chauve) et Samuel Beckett (La Cantatrice chauve, En attendant Godot).
Le théâtre de l'absurde a émergé dans un contexte post-Seconde Guerre mondiale, où beaucoup de gens et d'auteurs se sont sentis déconcertés par les horreurs de la guerre, la montée du totalitarisme, et la menace nucléaire. Ce courant théâtral traduit ainsi une vision du monde marquée par le désespoir et le sentiment que les structures rationnelles et les systèmes de valeurs traditionnels ne sont plus pertinents.
Dans Notes et contre-notes (1966), Ionesco donne une sorte de définition de ce nouveau théâtre. Il voit dans le théâtre autre chose que la parole, il s'agit d'une histoire qui se vit, qui recommence à chaque pas, comme si elle était en perpétuelle construction, une « architecture mouvante d'images scéniques » en somme. Les dramaturges cherchent à s'éloigner de toute forme de réalisme en ce qui concerne l'intrigue ou la psychologie des personnages.
On assiste aussi à une dislocation du langage, qui « doit presque exploser, ou se détruire ». C'est donc un théâtre qui trouve sa source dans l'absurdité des situations et dans la déstructuration complète du langage. Les dramaturges créent des pièces qui rejettent souvent les structures narratives conventionnelles, comme l'intrigue cohérente et les développements logiques. Les situations absurdes peuvent être à la fois drôles et profondément tragiques, mettant en lumière la dualité de la condition humaine. Les dialogues peuvent sembler incohérents, répétitifs ou circulaires, ce qui reflète l'incommunicabilité et le non-sens perçu de la vie. Ils mettent en scène des personnages qui sont souvent en quête de sens, perdus ou en proie à des situations inexplicables et absurdes. Ces personnages s'apparentent à des archétypes et sont dépourvus de psychologie. La mise en scène, quant à elle, devient presque caricaturale. Les pièces du théâtre de l'absurde explorent souvent des thèmes comme l'absurdité de l'existence, la solitude, la quête de sens, et l'aliénation.
L'œuvre
Publiée en 1982, la pièce de Nathalie Sarraute a connu plus de 600 représentations professionnelles depuis sa création et a été adaptée pour la télévision en 1988.
La création d'une pièce radiophonique
Pour un oui ou pour un non a été initialement imaginée pour la radio en 1981 et ce n'est qu'en 1986 que la pièce sera jouée pour la première fois au Théâtre du Rond-Point.
En 1981, Nathalie Sarraute propose une dispute à la radio, un drame qui advient à partir de quatre petits mots prononcés sur la mauvaise intonation : « C'est bien… ça… ». Cette phrase devient chargée de toutes les connotations possibles et se retrouve au centre de l'intrigue. En imaginant cette pièce pour la radio, Sarraute met l'accent sur le langage et la manière de le prononcer ou de l'entendre.
En 1986, Nathalie Sarraute s'exprime au sujet de sa pièce à l'occasion d'une interview : « J'entends bien mon texte, je peux dire si le texte est faux, s'il n'est pas dit avec l'intonation que j'aurais voulue, ça oui ! Je suis très sensible à la façon de dire le texte, mais je suis incapable d'imaginer d'avance tous ces mouvements sur scène ». C'est donc une pièce qu'il peut être difficile de mettre en scène. En effet, à partir du moment où le spectateur se focalise sur ce qu'il se passe sur scène, il est moins concentré sur les paroles prononcées ou sur la manière dont elles le sont.
Le titre, Pour un oui ou pour un non
Le titre de la pièce est construit sur une opposition entre deux adverbes, « oui » et « non ».
Les deux adverbes d'affirmation et de négation sont reliés par la conjonction de coordination « ou », ce qui les place d'emblée sur une parfaite égalité. Mais « pour un oui ou pour un non » fait également référence à une expression qui suggère une attitude négative, enfantine, capricieuse face à une situation. Par exemple, « s'énerver pour un oui ou pour un non » signifie « s'énerver pour pas grand-chose, sans véritable raison ». Dès lors, la pièce semble proposer une intrigue sans importance, une discussion insignifiante entre deux personnes. L'emploi de cette expression a un caractère négatif. Le titre sous-entend donc déjà l'idée de dispute et d'agacement mais aussi de vacuité du langage.
La structure de la pièce
La pièce ne propose ni acte ni scène, ce qui peut être déroutant au premier abord. Il s'agit seulement d'une longue conversation qui se déroule en cinq étapes scindées par des didascalies.
Le début de la pièce s'apparente à une scène d'exposition dans laquelle on perçoit déjà un éloignement entre les deux personnages. Ainsi, H.1 demande à H.2 ce qu'il a contre lui et les raisons qui font qu'il s'est éloigné. Ce dernier lui fait comprendre qu'il n'a pas apprécié une remarque qu'il juge condescendante.
Deux autres personnages sont amenés par H.2, il s'agit de H.3 et F. H.2 espère que ceux-ci se rangeront de son côté, mais il n'en est rien puisqu'ils ne comprennent pas les raisons pour lesquelles il est vexé et s'en vont.
À la suite de leur départ, la discussion reprend plus vivement entre H.1 et H.2 ; elle s'apparente à un débat au sujet d'un nouveau reproche formulé par H.2 à H.1. Selon H.2, H.1 prend trop de plaisir à exposer sans cesse son bonheur. H.1 lui rétorque qu'il est tout simplement jaloux de lui.
H.1 décide de partir, il se dirige vers la porte, regarde par la fenêtre, ce qui laisse le temps à H.2 de s'excuser et de lui réitérer son amitié. H.1 profite de ce discours pour formuler un reproche à son tour : selon lui, H.2 fait preuve de mépris envers lui, notamment à cause des paroles qu'il utilise. La dispute n'en est que plus violente, H.2 indique qu'aucune conciliation ne peut à présent être envisagée et qu'ils doivent se considérer l'un et l'autre comme des ennemis.
Les dernières didascalies, toutes identiques, annoncent le dénouement : « Un silence ». Ce silence traduit alors l'impossibilité de trancher ce débat, chacun restant campé sur ses positions, le langage conduisant à la destruction de leur amitié.
Les personnages de la pièce
Les personnages sont des êtres indifférenciés, identifiés simplement par une lettre (qui représente leur sexe) et un chiffre (qui représente leur ordre d'arrivée sur scène). Ils sont caractérisés par la manière dont ils s'expriment et communiquent.
- H1 ne semble pas spécialement sensible aux subtilités du langage. Il est celui qui, sans malice apparente, a prononcé les mots qui ont blessé H.2. H.1 est direct, parfois brusque, et ne voit pas immédiatement l'importance des nuances dans la communication. Il cherche à apaiser H.2 tout en trouvant ses reproches excessifs. H1 est ancré dans la réalité du quotidien, il semble plus sociable que H.2 et plus pragmatique.
- H2 est réfléchi et analytique. Il accorde une grande importance aux mots et à leurs sous-entendus. Il cherche à comprendre et à clarifier les raisons de sa blessure. De ce fait, H.2 est sensible et très introspectif. Il est plus effacé, plus « poétique » que H.1. Il semble également plus attaché aux notions de justice et d'injustice.
Les thèmes de la pièce
La dispute
Dans Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, le thème de la dispute est central et explore les profondeurs des interactions humaines et les complexités de la communication.
La dispute naît d'un malentendu lié à une remarque apparemment anodine de H.1, que H.2 interprète comme une forme de mépris ou de désintérêt. Ce point de départ illustre comment des tensions peuvent émerger de détails insignifiants, soulignant la fragilité des relations humaines. À travers la dispute, Sarraute explore la nature délicate de l'amitié. Ce conflit révèle les insécurités et les blessures cachées des personnages, montrant comment des incompréhensions peuvent mettre à mal des relations autrefois solides. Le thème de la dispute dans la pièce souligne la subjectivité des interprétations. Ce que H.1 considère comme un commentaire innocent, H.2 le perçoit comme une attaque personnelle. Cette divergence d'interprétation montre comment les individus projettent leurs propres attentes et questionnements sur les paroles des autres. La dispute expose aussi la difficulté de la réconciliation. Malgré les tentatives de dialogue et d'explication, les personnages peinent à surmonter leurs ressentiments et à retrouver une compréhension mutuelle.
Ainsi, chaque parole, mais aussi chaque silence, chaque intonation et chaque geste alimente la dispute.
Langage, non-dits et silences
Sarraute utilise la dispute pour réfléchir plus largement sur la communication humaine. Elle questionne la capacité des mots à véritablement exprimer les pensées et les sentiments, et montre comment des malentendus peuvent émerger même entre des personnes proches.
La pièce met en lumière comment une simple phrase, une intonation ou une expression peuvent être interprétées de manière différente et causer un profond malentendu entre deux amis proches. Elle explore donc la communication entre les êtres à travers le langage mais aussi tous les silences.
La pièce met donc en évidence l'importance des non-dits, des sous-entendus et des intonations dans la communication. Les personnages se querellent non seulement à cause de ce qui est dit, mais surtout à cause de ce qui est insinué ou perçu. Sarraute montre donc que les non-dits jouent un rôle aussi crucial, si ce n'est plus, que les mots eux-mêmes.
La pièce permet une véritable réflexion sur l'incommunicabilité. Les personnages se disputent, débattent sans pour autant arriver à s'écouter et s'entendre, chacun essayant d'avoir le dernier mot. D'ailleurs, la pièce se termine sur deux mots montrant que tout ce dialogue n'aura servi à rien : « oui » et « non ».
Le langage est donc quelque chose de complexe car les mots ont leur sens propre mais chaque interlocuteur y perçoit une intention, un sens caché, biaisant ainsi la communication.
L'amitié
Dans cette pièce, H.1 et H.2 examinent ce qui constitue leur amitié ou, plus précisément, ce qui la rend impossible.
En effet, la relation entre les deux hommes est mise à l'épreuve par l'incompréhension initiale de « C'est bien, ça. ». La pièce explore donc comment des mots peuvent affecter une amitié et révéler des tensions sous-jacentes. Bien que les deux personnages soient extrêmement proches (ils ont une enfance commune et semblent se considérer comme des frères), la dispute survient, sournoise et violente. La pièce montre que les liens les plus forts d'amitiés n'empêchent pas les disputes. Ainsi même si l'amitié est un thème central, il y a tout un questionnement qui se développe sur l'autre et sa différence et sur l'incapacité à se comprendre réellement.
Textes-clés de la pièce
L'exposition
H.1.
Écoute, je voulais te demander... C'est un peu pour ça que je suis venu... je voudrais savoir... que s'est-il passé ? Qu'est-ce que tu as contre moi ?
H.2.
Mais rien... Pourquoi ?
H.1.
Oh, je ne sais pas... Il me semble que tu t'éloignes... tu ne fais plus jamais signe... il faut toujours que ce soit moi...
H.2.
Tu sais bien : je prends rarement l'initiative, j'ai peur de déranger.
H. 1.
Mais pas avec moi ? Tu sais que je te le dirais... Nous n'en sommes tout de même pas là... Non, je sens qu'il y a quelque chose...
H.2.
Mais que veux-tu qu'il y ait ?
H.1.
C'est justement ce que je me demande. J'ai beau chercher... jamais... depuis tant d'années... il n'y a jamais rien eu entre nous... rien dont je me souvienne...
H.2.
Moi, par contre, il y a des choses que je n'oublie pas. Tu as toujours été très chic... il y a eu des circonstances...
H.1.
Oh qu'est-ce que c'est ? Toi aussi, tu as toujours été parfait... un ami sûr... Tu te souviens comme on attendrissait ta mère ?...
H.2.
Oui, pauvre maman... Elle t'aimait bien... elle me disait : « Ah lui, au moins, c'est un vrai copain, tu pourras toujours compter sur lui. » C'est ce que j'ai fait, d'ailleurs.
H.1.
Alors ?
H.2, hausse les épaules.
...Alors... que veux-tu que je te dise !
H.1.
Si, dis-moi... je te connais trop bien : il y a quelque chose de changé... Tu étais toujours à une certaine distance... de tout le monde, du reste... mais maintenant avec moi... encore l'autre jour, au téléphone ... tu étais à l'autre bout du monde... ça me fait de la peine, tu sais...
H.2, dans un élan.
Mais moi aussi, figure-toi...
H.1.
Ah tu vois, j'ai donc raison...
H.2.
Que veux-tu... je t'aime tout autant, tu sais... ne crois pas ça... mais c'est plus fort que moi...
H.1.
Qu'est-ce qui est plus fort ? Pourquoi ne veux-tu pas le dire ? Il y a donc eu quelque chose...
H.2.
Non... vraiment rien... Rien qu'on puisse dire...
H.1.
Essaie quand même...
H.2.
Oh non... je ne veux pas...
H.1.
Pourquoi ? Dis-moi pourquoi ?
H.2.
Non, ne me force pas...
H.1.
C'est donc si terrible ?
H.2.
Non, pas terrible... ce n'est pas ça...
H.1.
Mais qu'est-ce que c'est, alors ?
H.2.
C'est... c'est plutôt que ce n'est rien ... ce qui s'appelle rien... ce qu'on appelle ainsi... en parler seulement, évoquer ça... ça peut vous entraîner... de quoi on aurait l'air ? Personne, du reste... personne ne l'ose... on n'en entend jamais parler...
H.1.
Eh bien, je te demande au nom de tout ce que tu prétends que j'ai été pour toi... au nom de ta mère... de nos parents... je t'adjure solennellement, tu ne peux plus reculer... Qu'est-ce qu'il y a eu ? Dis-le... tu me dois ça...
Début in medias res
Champ lexical de l'éloignement
Aposiopèse
Phrases négatives
Raisons du conflit
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : La présentation des personnages
- Deuxième mouvement : La parole en question
- Troisième mouvement : L'impossibilité de communiquer
L'essentiel à retenir du texte :
- Un manque d'information : L'exposition au théâtre doit répondre à certaines questions que se pose le spectateur. Il doit notamment obtenir des informations sur les personnages et sur l'intrigue. Or, il est plongé directement dans la dispute entre H.1 et H.2, qui n'ont d'autre dénomination qu'une lettre, et il ne comprend pas l'origine de cette dispute.
-
La dispute entre H.1 et H.2 : On perçoit un malaise entre les deux personnages, chacun essaie de parler mais ne sait comment le faire ; de fait, de nombreuses phrases restent inachevées. Certes, ils évoquent leur amitié, mais les accusations de H.1 vont rapidement remettre en question cette amitié. Cependant, H.2 maintient le suspense puisqu'il refuse de répondre aux questions de son ami, malgré toutes ses tentatives pour le faire parler.
- L'incommunicabilité : H.1 supplie H.2 de lui expliquer les raisons de son éloignement, mais celui-ci refuse. C'est la raison pour laquelle il engage une forme de chantage affectif pour obliger son ami à parler. H.1 ne parvient pas à comprendre pourquoi H.2 lui en veut et pose de nombreuses questions qui restent sans réponse de la part de son interlocuteur. La communication semble donc rompue entre les deux amis.
Le procès avec des témoins
[H.2] Sort et revient avec un couple.
Voilà… je vous présente… Je vous en prie… cela ne vous prendra pas longtemps… il y a entre nous un différend.
EUX.
Oh, mais nous, vous savez, nous n'avons aucune compétence.
H.2.
Si, si, vous en avez… Plus qu'il n'en faut. Voilà de quoi il s'agit. Mon ami, là, un ami de toujours…
F.
C'est lui dont vous m'avez souvent parlé ? Je me rappelle… quand il a été souffrant… vous étiez si inquiet…
H.2.
Oui, c'est lui… Et c'est pour ça justement que ça me fait tant de peine.
F.
Ne me dites pas qu'entre vous… après tant d'amitié… vous m'avez toujours dit qu'il a été, à votre égard…
H.2.
Oui, parfait. Je lui en suis reconnaissant.
F.
Alors pourquoi ?
H.1.
Eh bien, je vais vous le dire : je lui ai, paraît-il, parlé sur un ton condescendant…
H.2.
Pourquoi le dis-tu comme ça ? Avec cette ironie ? Tu ne veux plus faire l'essai ?
H.1.
Mais si mais si… Je le dis sérieusement. Je l'ai vexé… il s'est senti diminué…alors, depuis, il m'évite…
EUX, silencieux… perplexes… hochant la tête…
F.
En effet… ça paraît… pour le moins excessif… juste un ton condescendant…
H.3.
Mais vous savez, la condescendance, parfois…
H.2.
Ah ? vous comprenez ?
H.3.
Enfin… je n'irais pas jusqu'à ne plus revoir, mais…
H.2.
Mais, mais, mais… oh, vous voyez, vous pouvez me comprendre.
H.3.
Je n'irais pas jusqu'à dire ça…
H.2.
Si, si, vous irez, vous verrez… permettez-moi de vous exposer… Voilà… Il faut vous dire d'abord que jamais, mais vraiment jamais je n'ai accepté d'aller chez lui…
F.
Vous n'allez jamais chez lui ?
H.1.
Mais si, voyons… qu'est-ce qu'il raconte ?
H.2.
Ce n'est pas de ça que je parle. J'allais le voir. Le voir, c'est vrai. Mais jamais, jamais je ne cherchais à m'installer sur ses domaines… dans ces régions qu'il habite… Je ne joue pas le jeu, vous comprenez.
H.1.
Ah, c'est ça que tu veux dire… Oui, c'est vrai, tu t'es toujours tenu en marge…
H.3.
Un marginal ?
H.1.
Oui, si on veut. Mais je dois dire qu'il a toujours gagné sa vie… il n'a jamais rien demandé à personne.
H.2.
Merci, tu es gentil… Mais où en étions-vous ? Ah oui, c'est ça, il vous l'a dit : je me tiens à l'écart. Il est chez lui. Moi, je suis chez moi.
F.
C'est bien normal. Chacun sa vie, n'est-ce pas ?
H.2.
Eh bien, figurez-vous qu'il ne le supporte pas. Il veut à toute force m'attirer… là-bas, chez lui… il faut que je sois avec lui, que je ne puisse pas en sortir… […]
Champ lexical de l'amitié
Répétition
Énumération
Emploi du connecteur concessif « mais »
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : La présentation des témoins
- Deuxième mouvement : Une accusation mise à mal
L'essentiel à retenir du texte :
- Le rôle des témoins : La didascalie nous indique que H.2 est sorti pour aller chercher des témoins capables de prendre position dans la dispute qu'il a déclenchée avec H.1. Il les informe alors qu'ils doivent être les juges de cette affaire. Les deux témoins n'ont pas de noms à proprement parler, ils sont également désignés par des lettres, « H.3 » et « F. » ; on comprend qu'il s'agit d'un homme et d'une femme. Ils posent alors des questions et font des commentaires pour comprendre tous les ressorts de cette dispute.
- Le procès en question : H.2 ne formule pas tout de suite les raisons de la dispute, il évoque simplement un « différend » entre eux. Grâce à F., on comprend que H.1 et H.2 sont amis de longue date et que H.1 semble très important aux yeux de H.2 (« Mon ami, là, un ami de toujours »). Ainsi, le différend qui les sépare semble dénué de sens, puisque rien ne devrait entacher une amitié si profonde. Cependant, on remarque que H.2 essaie d'amadouer H.3 et F. en se positionnant comme celui qui éprouve le plus de sentiments envers l'autre.
- Une accusation à charge : Les raisons du différend semblent absurdes pour F., elle utilise d'ailleurs l'adjectif « excessif » pour indiquer que H.1 s'est peut-être vexé un peu rapidement. Cependant, H.3 n'est pas du même avis, jugeant que la condescendance peut blesser, même s'il ne comprend pas pourquoi H.2 ne veut plus voir H.1. Finalement, H.2 est obligé d'être son propre avocat, exposant lui-même tous les faits qu'il reproche à son ami. On perçoit que la véritable accusation est qu'ils ont en réalité une personnalité bien différente l'un et l'autre.
Le dénouement
H.1.
[…] À quoi bon s'acharner ?
H.2.
Ce serait tellement plus sain…
H.1.
[…] Pour chacun de nous… plus salutaire…
H.2.
La meilleure solution…
H.1.
Mais tu sais bien comment nous sommes. Même toi, tu n'as pas osé le prendre sur toi.
H.2.
Non. J'ai besoin qu'on m'autorise…
H.1.
Et moi donc, tu me connais…
Un silence.
Qu'est-ce que tu crois… si on introduisait une demande… à nous deux, cette fois… on pourrait peut-être mieux expliquer… on aurait peut-être plus de chances…
H.2.
Non… à quoi bon ? Je peux tout te dire d'avance… Je vois leur air… « Eh bien, de quoi s'agit-il encore ? De quoi ? Qu'est-ce qu'ils racontent ? Quelles taupes ? Quelles pelouses ? Quels sables mouvants ? Quels camps ennemis ? Voyons un peu leur dossier… Rien… On a beau chercher… examiner les points d'ordinaire les plus chauds… rien d'autre nulle part que les signes d'une amitié parfaite… »
H.1.
C'est vrai.
H.2.
« Et ils demandent à rompre. Ils ne veulent plus se revoir de leur vie… quelle honte… »
H.1.
Oui, aucun doute possible, aucune hésitation : déboutés tous les deux…
H.2.
« Et même, qu'ils y prennent garde… qu'ils fassent très attention. On sait quelle peine encourent ceux qui ont l'outrecuidance de se permettre ainsi… sans raison… Ils seront signalés… on ne s'en approchera qu'avec prudence, avec la plus extrême méfiance… Chacune saura de quoi ils sont capables, de quoi ils peuvent se rendre coupables : ils peuvent rompre pour un oui ou pour un non. »
H.1.
Pour un oui… ou pour un non ?
Un silence.
H.2.
Oui ou non ?...
H.1.
Ce n'est pourtant pas la même chose…
H.2.
En effet : Oui. Ou non.
H.1.
Oui.
H.2.
Non !
Question rhétorique
Opposition irrémédiable
La séparation salutaire
Discours hypothétique
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : Une séparation mutuelle
- Deuxième mouvement : Un dénouement aux multiples interprétations
L'essentiel à retenir du texte :
- L'échec d'une réconciliation : H.1 et H.2 font le terrible constat que leurs vies ne peuvent plus être liées. Chacun a fait des choix reposant sur des valeurs qui sont opposées. Ils se montrent donc tous les deux résignés, mais il est possible que H.1 ait compris cela depuis déjà longtemps puisque c'est lui qui profère la question rhétorique « À quoi bon s'acharner ? ». Leur séparation définitive devient imminente, puisque ce serait la meilleure chose pour tous les deux.
- Une solution avortée : H.1 propose à son tour une nouvelle solution, semblable à la première qui s'était soldée par un échec : faire intervenir d'autres personnes pour trancher. Il pense que si cette proposition vient d'eux deux, l'issue pourrait être différente dans la mesure où chacun serait en mesure d'exposer clairement son point de vue. H.2 envisage ce qui se produirait s'ils faisaient encore une fois intervenir des témoins, ce serait un échec.
- Pour un oui, pour un non : À la fin de la pièce, les raisons initiales de leur dispute sont jugées dérisoires et absurdes. Mais alors que H.1 propose une formule adéquate à leur dispute, « Pour un oui ou pour un non », H.2 choisit de reprendre la formulation mais en la modifiant quelque peu puisqu'il supprime la préposition « pour ». Ainsi, il indique que leur vrai problème est de ne pas savoir quand dire « oui » ou « non » face aux conventions sociales, aux convenances ou aux traditions admises.