Sommaire
IL'intitulé du parcours : « Les jeux du cœur et de la parole »ADéfinition des termes du parcours1Les jeux2Cœur3ParoleBLes enjeux du parcoursIIL'auteurAL'enfance d'Alfred de MussetBUne vie de « dandy débauché »CLes échecs amoureuxDUne santé et un moral fragilesIIIProverbe ou drame romantique ?AUn proverbeBUn drame romantiqueIVL'œuvreALa création de la pièceBLe titre, On ne badine pas avec l'amourCLa structure de la pièceDLes personnages de la pièce1Perdican2Camille3Rosette4Le Baron5Maître Blazius et Maître Bridaine6Dame PlucheELes thèmes de l'œuvre1L'amour et ses désillusions2Innocence et corruptionFLa réception de l'œuvreVTextes-clés de la pièceALa scène d'exposition (acte I – scène 1)BL'éloge de l'amour (acte II – scène 5)CLe dénouement (acte III – scène 8)L'intitulé du parcours : « Les jeux du cœur et de la parole »
L'intitulé du parcours nous invite à nous demander dans quelle mesure ce drame romantique met en avant le rôle de l'amour et de la parole. Comment le théâtre, en représentant les jeux de l'amour, met-il en évidence le rôle que joue la parole ?
Définition des termes du parcours
Les termes du parcours sont liés aux notions de « jeux », de « cœur » et de « parole ».
Les jeux
Le mot « jeu » a un champ sémantique important. Il peut s'entendre au sens propre comme au sens figuré.
Le mot « jeu », dans son sens étymologique (du latin jocus) signifie « plaisanterie ». Il s'agirait alors d'une forme de divertissement léger, sans grave conséquence qui a pour but le plaisir que cela procure. On peut associer à la notion de jeu celles de gagnant et de perdant. Certains jeux nécessitent de respecter des règles, d'autres relèvent du hasard.
Le mot « jeu » désigne également la manière dont un comédien incarne son rôle.
Le mot « jeu » peut aussi s'entendre au sens figuré, mécanique, du terme. Il désigne alors, la séparation, l'écart qu'il y a entre deux éléments imparfaitement assemblés.
L'emploi du pluriel, dans l'intitulé du parcours, suggère qu'il existe différentes formes de jeu.
Champ sémantique
Un champ sémantique est l'ensemble des significations d'un mot (sens propres et sens figurés).
Cœur
Le mot « cœur » a deux sens : un sens propre et un sens figuré.
Au sens propre du terme, le mot « cœur » désigne l'organe vital humain qui nous permet de vivre. Mais ce n'est pas dans ce sens qu'il faut l'entendre dans ce parcours.
Traditionnellement, le cœur est considéré comme le siège du sentiment amoureux. Cette idée est née d'une vieille croyance qui localisait dans le cœur plusieurs sentiments dont l'amour, la générosité et le courage. Ainsi, par extension, le terme « cœur » peut avoir pour synonymes « attachement », « passion », « amour ». Il existe de nombreuses expressions avec ce terme : « avoir bon cœur », « mettre du cœur à l'ouvrage », « tenir à cœur », etc. Ainsi, au sens figuré, le cœur se retrouve ainsi opposé à la raison : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » écrit Pascal dans ses Pensées.
Le terme peut également désigner le centre de quelque chose : le cœur du problème, le cœur de la ville, etc.
Parole
La parole désigne avant tout l'acte de langage dont sont dotés tous les êtres humains.
La parole est ce qui permet à l'homme de s'exprimer, de dire ce qu'il pense, de communiquer avec autrui. Elle suggère un acte de communication défini entre un locuteur et un destinataire. La parole peut être chargée de diverses intentions : informer, convaincre, persuader, séduire, émouvoir, etc.
La parole est essentielle au théâtre. Elle a de nombreux enjeux. Elle peut être génératrice d'action et faire avancer l'intrigue mais elle peut aussi être narration et permettre de rapporter ce qu'il s'est passé hors-scène. La parole peut aussi donner l'occasion aux personnages de faire une véritable introspection et de faire affleurer une vérité plus ou moins cachée. La parole est une composante essentielle de la dramaturgie théâtrale avec la singularité de la double énonciation. Elle doit donc être décodée avec attention tant par les personnages que par les spectateurs.
Double énonciation
La double énonciation est un phénomène propre au théâtre. Lorsqu'un personnage s'adresse à un autre personnage sur scène, il s'adresse aussi au public qui est le destinataire indirect des paroles prononcées.
Les enjeux du parcours
L'intitulé du parcours suggère un lien fort entre le cœur, la parole et le jeu. Il suggère que jouer avec les mots c'est jouer avec le cœur du destinataire.
Les deux termes « cœur » et « parole » ne sont pas dissociés. Au contraire, ils sont étroitement rapprochés, associés, comme en témoigne l'utilisation de la conjonction de coordination « et ». La formulation « jeux du cœur » suggère que l'amour peut s'obtenir en respectant certaines règles ou par tricherie mais qu'il est aussi une forme d'amusement léger. La formulation « jeux de la parole », quant à elle, suppose une bonne maîtrise du langage qui peut servir à révéler ou à dissimuler, et ce toujours dans un esprit d'amusement léger.
Enfin, le mot « jeu », en mécanique, évoque l'espace qu'il y a entre deux pièces assemblées imparfaitement. La formulation générale du parcours « les jeux du cœur et de la parole » peut donc également suggérer un accord imparfait entre les deux, un écart qui fait que l'ensemble ne peut fonctionner.
L'intitulé du parcours invite donc à se poser diverses questions :
- Quel(s) lien(s) existent entre cœur et paroles ?
- Quels types de jeux sont présents dans la pièce ?
- Peut-on dissocier les jeux du cœur et les jeux de la parole ?
- La parole peut-elle être mise au service du cœur ?
- Le cœur a-t-il besoin de la parole pour se dévoiler ?
- Dans quelle mesure le drame romantique de Musset s'intéresse-t-il au rôle joué par la parole dans les jeux de l'amour ?
L'auteur
Alfred de Musset naît en 1810 et meurt en 1857. C'est l'un des auteurs emblématiques du mouvement romantique. Il est devenu particulièrement célèbre en raison de sa liaison passionnée et tumultueuse avec l'auteure George Sand.
L'enfance d'Alfred de Musset
Musset relate des épisodes de sa vie dans La Confession d'un enfant du siècle (1836), œuvre dans laquelle, sous le nom d'Octave, il exprime le Mal du Siècle, qui touche toute sa génération.
Né le 11 décembre 1810 à Paris, Alfred de Musset grandit dans une famille aristocratique très cultivée : son grand-père était poète et son père était spécialiste de Rousseau. Il étudie au collège Henri-IV, où il se distingue des autres élèves tant il est brillant.
Après l'obtention de son baccalauréat, il poursuit des études de médecine, de droit et de peinture, mais il abandonne rapidement ces parcours au profit de la littérature. Dès l'âge de 17 ans, il intègre le « Cénacle » ainsi que le salon de Charles Nodier et publie à l'âge de 19 ans les Contes d'Espagne et d'Italie, son premier recueil poétique.
Le Cénacle
Le Cénacle est un groupe de jeunes artistes et écrivains romantiques qui se sont réunis de 1823 à 1830 chez Charles Nodier et chez Victor Hugo. Ce groupe était composé notamment de Gautier, Vigny, Musset, Sainte-Beuve, Mérimée, Dumas, Balzac et Nerval. Ce Cénacle, aussi appelé le Cénacle romantique, joua un rôle crucial dans le développement et la promotion du mouvement romantique en France.
Une vie de « dandy débauché »
Rapidement, Alfred de Musset vit une vie de « dandy débauché », il s'engage dans différentes liaisons amoureuses, passant d'une femme à l'autre.
Dès 1830, à l'âge de 20 ans, Musset connaît une réputation de débauché dans le milieu des demi-mondains. Cette vie dissolue s'accompagne d'un premier échec au théâtre le 1er décembre 1830. Sa comédie, La Nuit vénitienne, est un cuisant échec qui conduit Musset à s'écarter de la scène théâtrale et à proposer un théâtre fait pour être lu.
En 1833, Musset fait la rencontre de George Sand, qui collabore comme lui à la Revue des Deux Mondes. Elle a six ans de plus que lui et une réputation scandaleuse mais le coup de foudre est immédiat. En décembre 1833, les deux amants partent à Venise. Leur séjour se passe mal. Alors que la jeune femme se retrouve clouée au lit, Musset ne se prive pas de profiter de la ville et de ses divertissements (notamment les femmes) avant de tomber malade à son tour. Sand prend soin de lui mais entretient secrètement une liaison avec son médecin, Pietro Pagello. Leur relation se consume, elle inspirera au poète son chef-d'œuvre Lorenzaccio.
Dandy
Un dandy est un homme se voulant extrêmement élégant et raffiné tant dans son habillement que dans ses manières et ses goûts.
Les échecs amoureux
Cette liaison passionnée et l'échec qu'elle connaît laissent Alfred de Musset dans un état dépressif, il sombre peu à peu dans l'alcool.
Bien que George Sand et Alfred de Musset se soient revus ponctuellement à Paris, leur rupture est définitive en mars 1835. Le jeune homme ne se remet pas de cet échec. Il décide alors d'exposer sa vision de l'amour dans sa pièce On ne badine pas avec l'amour, en particulier à l'occasion d'une discussion entre Camille et Perdican, dans laquelle il réutilise un passage d'une lettre écrite depuis Venise par George Sand le 12 mai 1834. En 1836, il publie son roman autobiographique La Confession d'un enfant du siècle.
Il ne parvient à entretenir aucune relation stable. Il connaît successivement Caroline Jaubert, qu'il abandonne au profit de la cousine de celle-ci, Aimée-Irène d'Alton, qu'il quitte pour Pauline Garcia. Mais celle-ci se refuse à lui. Aimée-Irène d'Alton finira par épouser le frère aîné de Musset, Paul. En 1839, il a une courte liaison avec la célèbre comédienne Rachel ; trois ans plus tard, il s'éprend de la princesse Christine de Belgiojoso mais elle l'éconduit. Il entretient ensuite une relation amoureuse pendant deux ans avec la comédienne Mademoiselle Despréaux.
Une santé et un moral fragiles
À la fin des années 1840, la santé de Musset se dégrade, en raison de son penchant pour l'alcool, de ses excès et de sa dépression.
Il est nommé chevalier de la Légion d'honneur en 1845. En 1847, la représentation de sa pièce Un caprice est un véritable succès. Parce qu'il est favorable à la monarchie de Juillet, Musset se voit retiré, en 1848, de ses fonctions de conservateur de la bibliothèque du ministère de l'Intérieur qu'il occupait depuis dix ans. Il est élu à l'Académie française en 1852. En 1853, il est nommé conservateur de la bibliothèque du ministère de l'Instruction publique.
Cependant, sa santé se dégrade, il fait des crises convulsives à répétition, lesquelles sont accompagnées de troubles neurologiques, ayant sans doute contracté la syphilis dans une maison close à l'âge de 15 ans. Se laissant de plus en plus aller à l'alcoolisme et à une vie de débauche générale, il meurt le 2 mai 1857 de la tuberculose.
Proverbe ou drame romantique ?
La pièce de Musset est principalement un drame romantique. Pour autant, elle présente certaines caractéristiques d'un genre, alors très en vogue : le « proverbe ».
Un proverbe
Le genre du proverbe apparaît à la fin du XVIIe siècle mais atteint son apogée au début du XIXe siècle. C'est surtout Musset qui exploite ce genre théâtral au XIXe siècle.
Le proverbe est une courte pièce à la fois ludique et éducative qui reflète, au public, ses propres défauts et ridicules. De structure narrative assez simple, le titre correspond, en général, à un proverbe inventé par l'auteur. On peut donc voir On ne badine pas avec l'amour comme une forme d'apologue dont la morale est donnée dès le début dans le titre. Cependant, bien que Musset reprenne certains codes du proverbe, il s'en écarte par sa manière de développer ses intrigues et dans sa manière d'écrire plus sophistiquée et poétique. L'intrigue d'On ne badine pas avec l'amour est très originale et ne suit pas la structure narrative simple des proverbes. De plus, les thèmes majeurs que la pièce aborde, notamment l'amour et la confiance, sont propres à Musset : déchirements, souffrances, hantise de la trahison, autant de motifs qui ne sont pas vraiment caractéristiques du genre du proverbe qui exploite plutôt des sujets légers.
Un drame romantique
Chef de file du mouvement romantique, Victor Hugo réunit autour de lui au début des années 1820, ce qu'il nomme « Le Cénacle », composé de jeunes artistes parmi lesquels on retrouve notamment Alfred de Musset, Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Gérard de Nerval, etc. Ensemble, ils vont faire émerger une nouvelle forme théâtrale, un nouveau drame : le drame romantique.
Fortement influencé par les traductions des pièces de Shakespeare, Stendhal expose les fondements du drame romantique dans son pamphlet Racine et Shakespeare (1823). Ces fondements sont développés de manière plus approfondie par Victor Hugo dans la Préface de Cromwell en 1827 : « il n'y a ni règles ni modèles ; le poète ne doit prendre conseil que de la nature, de la vérité et de l'inspiration ». Hugo se réfère explicitement à Shakespeare pour expliquer que le drame romantique se définit par le mélange des genres : « Shakespeare, c'est le Drame ; et le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie ». Les dramaturges refusent alors les règles classiques, qu'ils jugent trop strictes, ce qui donnera lieu à de grandes querelles, comme en témoigne la célèbre « bataille d'Hernani » en 1830.
Le drame romantique est un genre théâtral qui se distingue par plusieurs caractéristiques qui contrastent avec les règles classiques du théâtre, notamment celles établies par Aristote et les dramaturges du XVIIe siècle comme Corneille et Racine. Les caractéristiques principales du drame romantique sont : le mélange des genres (comédie et tragédie), la liberté formelle et des personnages complexes souvent déchirés en leurs aspirations et la réalité. Les thèmes des drames romantiques sont ceux prisés par le romantisme : l'amour passionné, le destin, la rébellion contre les conventions sociales, la nature et l'individu en quête de liberté et d'identité. De plus, le drame romantique accorde une grande importance aux aspects visuels et spectaculaires de la mise en scène, avec des décors élaborés et des situations dramatiques frappantes. Bien que la langue utilisée soit plus naturelle et moins formelle que celle du théâtre classique, elle reste souvent riche et poétique, visant à émouvoir et à impressionner le public. Enfin, le drame romantique a souvent un arrière-plan historique et les personnages sont souvent héroïques.
On ne badine pas avec l'amour est un drame romantique sous bien des aspects. Tout d'abord parce que la pièce ne respecte pas les règles du théâtre classique : elle se déroule sur plus de vingt-quatre heures, en plusieurs lieux et il y a plusieurs intrigues. De plus, la pièce mélange comédie et tragédie, grotesque et sublime, sérieux et cocasse. Ainsi, scènes comiques et scènes tragiques s'entrecroisent et se suivent tout au long de la pièce. Enfin, on y retrouve des personnages complexes, déchirés entre leurs idéaux et la réalité du monde qui les entoure.
Cependant, la pièce n'est pas un drame romantique parfait. Tout d'abord, on peut constater qu'il n'y a pas de fond historique et qu'aucun personnage n'est réellement héroïque ou exceptionnel. Enfin, on n'y retrouve pas de décors spectaculaires.
L'œuvre
Alfred de Musset n'a que 24 ans en 1834 lorsqu'il écrit On ne badine pas avec l'amour, pièce en trois actes qu'il fait tout d'abord publier dans la Revue des Deux Mondes. Elle est représentée pour la première fois le 18 novembre 1861 à la Comédie-Française.
La création de la pièce
Après l'échec de La Nuit vénitienne et des Noces de Laurette en 1830 au Théâtre de l'Odéon, Musset décide d'écrire des pièces de théâtre destinées non à être jouées mais à être lues, ce qui lui permet d'échapper aux contraintes de la mise en scène.
En 1832, Musset publie son recueil Un spectacle dans un fauteuil, qui rassemble une dédicace, un poème et deux pièces : une comédie et une tragédie qui sont destinées à être lues et non jouées. En 1834, le directeur de La Revue des Deux Mondes lui commande une pièce que Musset s'attèle à rédiger en deux mois à peine : On ne badine pas avec l'amour. Il trouve son inspiration dans son drame personnel, celui de l'échec de sa relation avec George Sand, qui l'avait abandonné à Venise pour le médecin Pagello. Malgré la rupture, les anciens amants entretiennent une relation épistolaire dans laquelle Musset l'informe qu'il a pour projet d'écrire leur histoire. Bien qu'il eut pour objectif d'en faire initialement un roman, la commande du directeur l'oblige à revoir ses ambitions. Ainsi, sa pièce est largement nourrie de la liaison passionnée des deux amants, en particulier dans la scène 5 de l'acte II, dans laquelle il reprend mot pour mot des passages des lettres de George Sand.
Le titre, On ne badine pas avec l'amour
Le titre de la pièce de Musset s'apparente à une forme de proverbe.
Dans son drame romantique, Musset livre une réflexion autour de l'amour. On ne badine pas avec l'amour est une pièce appartenant au genre du « proverbe ». « Badiner » signifie « plaisanter avec enjouement » (Le Robert). Formulé au présent de vérité générale, le titre prend la forme d'un proverbe qui avertit le lecteur : l'amour n'est pas une plaisanterie. En effet, si l'on se joue de l'amour, il peut y avoir de graves conséquences. Et c'est ainsi que la pièce, aux allures frivoles par le titre, devient un véritable drame romantique.
La structure de la pièce
La pièce est composée de trois actes, dont les deux premiers comportent cinq scènes, tandis que le dernier en comporte huit.
L'acte I tourne autour du projet de mariage formulé par le Baron : il souhaite unir son fils, Perdican, à Camille, la cousine de ce dernier. Camille et Perdican se retrouvent tous deux sur les lieux de leur enfance, le château du Baron, après s'être perdus de vue pendant des années. Camille sort du couvent alors que Perdican a terminé ses études et obtenu un doctorat. Cependant, leurs retrouvailles sont froides car l'éducation austère qu'a reçue la jeune fille au couvent l'empêche de céder aux avances de son cousin. Ce dernier, désemparé, décide de dîner avec une jeune paysanne, Rosette, sœur de lait de Camille.
Dans l'acte II, Camille exprime son désir de partir prochainement du château. Elle envoie Dame Pluche, sa gouvernante, donner un billet à Perdican pour une ultime rencontre. Le jeune homme qui continue son jeu de séduction avec Rosette, il décide malgré tout de se rendre au rendez-vous. S'ensuit une tirade de Camille au sujet de l'amour inconstant et égoïste des hommes, ce qui l'a engagée à renoncer au monde. À son tour, Perdican se livre à un discours dans lequel il remet en cause l'éducation des couvents et exalte la passion qui se trouve chez tous les êtres.
L'acte III révèle l'ambition de Musset de créer un drame romantique. Perdican découvre, en interceptant une lettre de Camille pour une religieuse, qu'elle est satisfaite de l'avoir désespéré. Apprenant cela, Perdican, blessé dans son amour propre, décide de la rendre jalouse en faisant à Rosette une déclaration d'amour que Camille entend. Camille le fait alors venir, cache Rosette derrière un rideau, qui entend la véritable déclaration d'amour de Perdican à Camille. Cependant, Camille accable le jeune homme de reproches, et il se décide à épouser Rosette. Prise à son propre jeu, Camille avoue ses sentiments à Perdican, ils se laissent aller à leur passion sans savoir que Rosette les observe. Ils la retrouvent morte, tuée par l'émotion, ce qui les pousse à se séparer pour toujours.
Les personnages de la pièce
Les interactions entre Perdican, Camille et Rosette sont au cœur de l'intrigue de la pièce. Les jeux de pouvoir et les manipulations émotionnelles entre Perdican et Camille, et l'utilisation de Rosette comme instrument de jalousie, créent une tension dramatique intense.
Les personnages d'On ne badine pas avec l'amour peuvent être classés en deux catégories : les héros tragiques (Camille, Perdican et Rosette) et les personnages grotesques (Le Baron, Maître Blazius, Maître Bridaine et Dame Pluche).
Perdican
Perdican est le protagoniste masculin dont les actions et décisions sont centrales à l'évolution de l'histoire. Sa relation avec Camille et son interaction avec Rosette créent le conflit dramatique principal.
Perdican est un jeune homme de vingt-et-un ans. C'est le fils du Baron. Il est de retour au château de son enfance après ses études au cours desquelles il a obtenu le titre de docteur. Il est intelligent, passionné et doté d'un caractère à la fois romantique et cynique. C'est un épicurien qui aime profiter de la vie. Il incarne une forme de libertinage bien qu'il soit profondément attiré par la pureté du véritable amour. Perdican est véritablement amoureux de Camille, mais il est aussi désabusé par l'idée de l'amour parfait. Il est déchiré entre son idéal de l'amour et la réalité. Il oscille donc entre des sentiments sincères pour Camille et un désir de se venger de ce qu'il perçoit comme son indifférence. Ses expériences et déceptions l'ont rendu méfiant et sarcastique, surtout lorsqu'il se sent rejeté.
Camille
Camille est la protagoniste féminine dont l'attitude froide et distante envers Perdican crée une tension qui anime la pièce. Son évolution et ses interactions avec Perdican sont cruciales pour le développement de l'histoire.
Camille est la cousine de Perdican. Elle a dix-huit ans. Elle a été élevée dans un couvent comme c'est souvent le cas pour les jeunes filles de bonne famille de l'époque. Elle revient dans le domaine familial avec des idéaux stricts et réservés sur l'amour. Elle est initialement déterminée à retourner au couvent et à consacrer sa vie à la religion. Camille est prudente et distante, ayant adopté une attitude de méfiance envers l'amour. Sa fierté la pousse à refuser de montrer ses véritables sentiments pour Perdican, sentiments qu'elle ne reconnaîtra qu'à la fin de la pièce.
Perdican et Camille incarnent les héros romantiques par excellence. Ils sont toujours dans la quête d'un idéal, d'un absolu, sans pour autant y parvenir. Sensibles, fragiles et pétris d'idéalisme, ils seront incapables de voir le bonheur là où il est et de l'atteindre.
Rosette
Rosette est utilisée par Perdican pour susciter la jalousie de Camille. Sa simplicité et sa vulnérabilité ajoutent une dimension tragique à l'histoire.
Rosette est une jeune paysanne, sœur de lait de Camille, innocente et simple. Elle est naïve et sincère. Elle ne comprend pas toujours les jeux amoureux des autres. Elle incarne la simplicité et la pureté, contrastant avec la complexité des sentiments de Camille et Perdican. Rosette est manipulée par Perdican et Camille, ce qui la rend vulnérable à leurs machinations. Elle est la victime tragique du badinage amoureux de Camille et Perdican puisqu'elle meurt d'amour à la fin de la pièce.
Le Baron
Le Baron représente la voix de la raison et de l'autorité familiale. Pour autant, il n'a qu'une autorité de façade qui montre sa difficulté à s'adapter à son temps.
Le Baron est le père de Perdican. C'est un homme bienveillant en apparence. Il souhaite le bonheur de son fils et de sa nièce. Mais il voit dans leur mariage son propre intérêt, car, selon lui, il apporterait stabilité, honneur et harmonie dans la famille. Il est obsédé par sa descendance, l'argent et les convenances.
Maître Blazius et Maître Bridaine
Ils fournissent des conseils et des observations qui ajoutent une dimension humoristique et critique à la pièce.
Blazius est un religieux précepteur de Perdican et Bridaine est le curé du village. Ils aiment tous les deux la bonne chère. Ils ne comprennent pas grand-chose au jeu amoureux qui se passe sous leurs yeux. Ils cherchent avant tout leur avantage personnel et les honneurs. Ils se font concurrence cherchant à être celui qui recevra les faveurs du Baron. Leur jalousie réciproque les rend malveillants.
Dame Pluche
Elle symbolise l'opposition entre le monde religieux et la vie séculière (c'est-à-dire laïque).
Dame Pluche est la gouvernante de Camille. Souvent de mauvaise humeur, elle est stricte et très dévote. Elle incarne les valeurs religieuses et surveille Camille avec diligence. Dame Pluche cherche à protéger Camille des tentations mondaines. Elle essaie d'influencer les décisions et actions de Camille.
Les thèmes de l'œuvre
On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset aborde plusieurs thèmes centraux qui explorent la complexité des émotions humaines et les conflits internes des personnages.
L'amour et ses désillusions
Le titre même de la pièce indique que l'amour est un sujet sérieux qui ne doit pas être pris à la légère. Musset explore les différentes facettes de l'amour à travers les relations entre Perdican, Camille et Rosette. Perdican représente l'amour humain passionné et intense mais aussi volatile et susceptible de tourner à la désillusion. Camille représente l'idéal de l'amour divin, mais elle est confrontée à la réalité de ses sentiments et de ses peurs. Tous deux sont aveugles sur leurs vrais sentiments et leurs vrais désirs. Les personnages sont constamment tiraillés entre leurs émotions et leur raison. Camille tente de réprimer ses sentiments pour Perdican par une attitude rationnelle et réservée, influencée par son éducation au couvent. Perdican, en revanche, laisse ses émotions dominer ses actions, ce qui conduit à des décisions irrationnelles. Rosette, par son amour pur et naïf, devient victime des jeux cruels de Perdican et Camille.
Aucun personnage, dans la pièce, ne montre une image positive de l'amour. Camille et Perdican symbolisent l'amour impossible. Les autres personnages symbolisent la solitude (le Baron, Blazius, Bridaine et Dame Pluche) ou bien les ravages de l'amour (Rosette).
Innocence et corruption
Le contraste entre l'innocence et la corruption est un thème récurrent dans la pièce. Rosette, symbole de l'innocence, représente la pureté et la simplicité, en contraste avec les machinations des autres personnages. Perdican et Camille, par leurs actions, montrent comment l'innocence peut être corrompue par des intentions égoïstes et des désirs de revanche. Blazius et Bridaine sont corrompus par leur ambition. Quant à Dame Pluche, son rigorisme religieux la rend acariâtre et de mauvais conseil.
Les modèles sociaux même de Camille et Perdican sont corrompus. Camille est attachée à un modèle religieux qui ne fonctionne pas puisqu'il ne lui permet pas d'accéder à la pureté qu'elle souhaite tant. Son éducation est donc, à ce niveau-là, un échec. Perdican, attaché aux valeurs de son milieu, s'en détache pourtant et semble trouver refuge dans la contemplation de la nature. Les adultes sont corrompus, aux prises avec la réalité de leur époque, incapables de changer. Blazius et Bridaine sont des religieux mais ils corrompent leur foi par une ambition terrestre et les plaisirs de la bonne chaire. Dame Pluche qui devrait être épanouie par sa foi est, en fait revêche et aigrie, incapable de vraiment comprendre Camille. Enfin, le Baron incarne un Pater familias déchu, qui a perdu son autorité et qui est intéressé uniquement par l'argent.
En somme, On ne badine pas avec l'amour utilise des thèmes profonds et universels pour créer une œuvre dramatique complexe et émouvante. L'amour, la jalousie, le conflit entre raison et sentiment, l'innocence et la corruption, ainsi que le destin et la fatalité sont explorés à travers les interactions et les dilemmes des personnages principaux. Ces thèmes révèlent les tensions et les contradictions inhérentes à la nature humaine, faisant de la pièce une réflexion poignante sur les réalités de l'amour et des relations humaines.
La réception de l'œuvre
On ne badine pas avec l'amour a connu une réception variée au fil du temps. À l'origine, la pièce a été reçue avec une certaine réserve. Certains critiques de l'époque ont apprécié la profondeur et la qualité poétique de l'œuvre, tandis que d'autres ont été plus critiques de son ton mélancolique et de ses thèmes sombres. Avec le temps, On ne badine pas avec l'amour a gagné en reconnaissance. Elle est aujourd'hui considérée comme l'une des œuvres majeures de Musset et un exemple brillant du théâtre romantique français. Les spectateurs ont progressivement été conquis par la complexité des personnages, la beauté de la langue et les thèmes universels qui y sont abordés.
Textes-clés de la pièce
La scène d'exposition (acte I – scène 1)
(Une place devant le château.)
LE CHŒUR.
Doucement bercé sur sa mule fringante, messer Blazius s'avance dans les bleuets fleuris, vêtu de neuf, l'écritoire au côté. Comme un poupon sur l'oreiller, il se ballotte sur son ventre rebondi, et, les yeux à demi fermés, il marmotte un Pater noster dans son triple menton. Salut, maître Blazius ; vous arrivez au temps de la vendange, pareil à une amphore antique.
MAÎTRE BLAZIUS.
Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d'importance m'apportent ici premièrement un verre de vin frais.
LE CHŒUR.
Voilà notre plus grande écuelle ; buvez, maître Blazius ; le vin est bon, vous parlerez après.
MAÎTRE BLAZIUS.
Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d'atteindre à sa majorité, et qu'il est reçu docteur à Paris. Il revient aujourd'hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries, qu'on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse personne est un livre d'or ; il ne voit pas un brin d'herbe à terre, qu'il ne vous dise comment cela s'appelle en latin ; et quand il fait du vent ou qu'il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. Vous ouvrirez des yeux grands comme la porte que voilà, de le voir dérouler un des parchemins qu'il a coloriés d'encres de toutes couleurs, de ses propres mains et sans en rien dire à personne. Enfin c'est un diamant fin des pieds à la tête, et voilà ce que je viens annoncer à M. le baron. Vous sentez que cela me fait quelque honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l'âge de quatre ans ; ainsi donc, mes bons amis, apportez une chaise, que je descende un peu de cette mule-ci sans me casser le cou ; la bête est tant soit peu rétive, et je ne serais pas fâché de boire encore une gorgée avant d'entrer.
LE CHŒUR.
Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit Perdican, et il n'était pas besoin, du moment qu'il arrive, de nous en dire si long. Puissions-nous retrouver l'enfant dans le cœur de l'homme !
MAÎTRE BLAZIUS.
Ma foi, l'écuelle est vide, je ne croyais pas avoir tout bu. Adieu ; j'ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont à monseigneur ; je vais tirer la cloche. (Il sort.)
LE CHŒUR.
Durement cahotée sur son âne essoufflé, Dame Pluche gravit la colline ; son écuyer transi gourdine à tour de bras le pauvre animal, qui hoche la tête, un chardon entre les dents. Ses longues jambes maigres trépignent de colère, tandis que de ses mains osseuses elle égratigne son chapelet. Bonjour donc, dame Pluche ; vous arrivez comme la fièvre, avec le vent qui fait jaunir les bois.
DAME PLUCHE.
Un verre d'eau, canaille que vous êtes ! un verre d'eau et un peu de vinaigre !
LE CHŒUR.
D'où venez-vous, Pluche, ma mie ? Vos faux cheveux sont couverts de poussière ; voilà un toupet de gâté, et votre chaste robe est retroussée jusqu'à vos vénérables jarretières.
DAME PLUCHE.
Sachez, manants, que la belle Camille, la nièce de votre maître, arrive aujourd'hui au château. Elle a quitté le couvent sur l'ordre exprès de monseigneur, pour venir en son temps et lieu recueillir, comme faire se doit, le bon bien qu'elle a de sa mère. Son éducation, Dieu merci, est terminée, et ceux qui la verront auront la joie de respirer une glorieuse fleur de sagesse et de dévotion. Jamais il n'y a rien eu de si pur, de si ange, de si agneau et de si colombe que cette chère nonnain ; que le seigneur Dieu du ciel la conduise ! Ainsi soit-il ! Rangez-vous, canaille ; il me semble que j'ai les jambes enflées.
LE CHŒUR.
Défripez-vous, honnête Pluche, et quand vous prierez Dieu, demandez de la pluie ; nos blés sont secs comme vos tibias.
DAME PLUCHE.
Vous m'avez apporté de l'eau dans une écuelle qui sent la cuisine ; donnez-moi la main pour descendre ; vous êtes des butors et des malappris.
(Elle sort.)
LE CHŒUR.
Mettons nos habits du dimanche, et attendons que le baron nous fasse appeler. Ou je me trompe fort, ou quelque joyeuse bombance est dans l'air d'aujourd'hui.
(Ils sortent.)
Le cadre spatio-temporel
Le portrait de Blazius
Le portrait de Perdican
L'éloge de Camille
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : Le portrait de Maître Blazius et de Perdican
- Deuxième mouvement : Le portrait de Dame Pluche et de Camille
L'essentiel à retenir du texte :
- L'importance du chœur : L'insertion du chœur dans cette pièce n'est pas sans rappeler le chœur dans les tragédies antiques. Dans cette scène, le chœur fait le portrait comique de Maître Blazius et de Dame Pluche.
- Deux portraits grotesques : Dès le début de la scène, Maître Blazius est présenté par le chœur comme un personnage comique, comparé à un bébé (« comme un poupon sur son oreiller »). Son portrait physique est alors raillé, de même que son portrait moral puisqu'il a un goût prononcé pour l'alcool. De la même manière, le portrait de Dame Pluche n'est pas plus élogieux, puisqu'elle est décrite comme une femme agressive, grossière et méprisante.
- Deux portraits sublimes : Le jeune Perdican et la jeune Camille sont présentés comme des êtres parfaits, comme l'indiquent les nombreuses hyperboles et les superlatifs employés par Maître Blazius et Dame Pluche pour en faire la description. Tous deux sont beaux, d'un statut social élevé et ils ont été éduqués. Ils maîtrisent par ailleurs l'art du langage.
L'éloge de l'amour (acte II – scène 5)
PERDICAN.
Sais-tu ce que c'est que des nonnes, malheureuse fille ? Elles qui te représentent l'amour des hommes comme un mensonge, savent-elles qu'il y a pis encore, le mensonge de l'amour divin ? Savent-elles que c'est un crime qu'elles font, de venir chuchoter à une vierge des paroles de femme ? Ah ! comme elles t'ont fait la leçon ! Comme j'avais prévu tout cela quand tu t'es arrêtée devant le portrait de notre vieille tante ! Tu voulais partir sans me serrer la main ; tu ne voulais revoir ni ce bois, ni cette pauvre petite fontaine qui nous regarde tout en larmes ; tu reniais les jours de ton enfance ; et le masque de plâtre que les nonnes t'ont plaqué sur les joues me refusait un baiser de frère ; mais ton cœur a battu ; il a oublié sa leçon, lui qui ne sait pas lire, et tu es revenue t'asseoir sur l'herbe où nous voilà. Eh bien ! Camille, ces femmes ont bien parlé ; elles t'ont mise dans le vrai chemin ; il pourra m'en coûter le bonheur de ma vie ; mais dis-leur cela de ma part : le ciel n'est pas pour elles.
CAMILLE.
Ni pour moi, n'est-ce pas ?
PERDICAN.
Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : « J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
(Il sort.)
La dénonciation de la religion
Une leçon de morale
Questions rhétoriques
L'éloge de l'amour
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : Un réquisitoire contre la religion et l'éducation des couvents
- Deuxième mouvement : Un plaidoyer en faveur de l'amour
L'essentiel à retenir du texte :
- La dénonciation de la religion : La réplique de Perdican permet de dresser un réquisitoire contre la religion. En effet, il répète à deux reprises le terme « mensonge » pour montrer que les couvents éduquent les jeunes filles dans la négation de l'amour humain et dans la dévotion pour l'amour du Christ. Il emploie également des questions rhétoriques et une phrase ironique pour indiquer que Camille vit dans l'ignorance.
- Une négation de l'amour en apparence : Au début de sa deuxième réplique, Perdican reprend les mots que George Sand avait adressés à Musset dans l'une de ses lettres après leur séparation. Son discours apparaît dans un premier temps comme un discours pessimiste au sujet du comportement des hommes en amour : ce sont tous des menteurs, des manipulateurs, des hypocrites, des orgueilleux, des dépravés.
- L'éloge de l'amour : La seconde partie de la réplique de Perdican fait un véritable éloge de l'amour et de ce qu'il apporte aux êtres. Pour cela, Perdican utilise un vocabulaire mélioratif (« sainte et sublime ») pour montrer qu'il n'y a rien de plus important sur terre que l'amour entre deux personnes. Bien qu'il puisse être synonyme de souffrance, l'amour est néanmoins, selon Perdican, ce qui donne sens à la vie.
Le dénouement (acte III – scène 8)
PERDICAN.
Insensés que nous sommes ! nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu tromper l'autre ? Hélas ! cette vie est elle-même un si pénible rêve : pourquoi encore y mêler les nôtres ? ô mon Dieu ! le bonheur est une perle si rare dans cet océan d'ici-bas ! Tu nous l'avais donné, pêcheur céleste, tu l'avais tiré pour nous des profondeurs de l'abîme, cet inestimable joyau ; et nous, comme des enfants gâtés que nous sommes, nous en avons fait un jouet. Le vert sentier qui nous amenait l'un vers l'autre avait une pente si douce, il était entouré de buissons si fleuris, il se perdait dans un si tranquille horizon ! Il a bien fallu que la vanité, le bavardage et la colère vinssent jeter leurs rochers informes sur cette route céleste, qui nous aurait conduits à toi dans un baiser ! Il a bien fallu que nous nous fissions du mal, car nous sommes des hommes. Ô insensés ! nous nous aimons.
Il la prend dans ses bras.
CAMILLE.
Oui, nous nous aimons, Perdican ; laisse-moi le sentir sur ton cœur. Ce Dieu qui nous regarde ne s'en offensera pas ; il veut bien que je t'aime ; il y a quinze ans qu'il le sait.
PERDICAN.
Chère créature, tu es à moi ! Il l'embrasse ; on entend un grand cri derrière l'autel.
CAMILLE.
C'est la voix de ma sœur de lait.
PERDICAN.
Comment est-elle ici ? Je l'avais laissée dans l'escalier, lorsque tu m'as fait rappeler. Il faut donc qu'elle m'ait suivi sans que je m'en sois aperçu.
CAMILLE.
Entrons dans cette galerie ; c'est là qu'on a crié.
PERDICAN.
Je ne sais ce que j'éprouve ; il me semblé que mes mains sont couvertes de sang.
CAMILLE.
La pauvre enfant nous a sans doute épiés ; elle s'est encore évanouie ; viens, portons-lui secours ; hélas tout cela est cruel.
PERDICAN.
Non, en vérité, je n'entrerai pas ; je sens un froid mortel qui me paralyse. Vas-y, Camille, et tâche de la ramener. (Camille sort.) Je vous en supplie, mon Dieu ! ne faites pas de moi un meurtrier ! Vous voyez ce qui se passe ; nous sommes deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la mort ; mais notre cœur est pur ; ne tuez pas Rosette, Dieu juste ! Je lui trouverai un mari, je réparerai ma faute ; elle est jeune, elle sera riche, elle sera heureuse ; ne faites pas cela, à Dieu ! vous pouvez bénir encore quatre de vos enfants. Eh bien ! Camille, qu'y a-t-il ?
Camille rentre.
CAMILLE.
Elle est morte. Adieu, Perdican !
Champ lexical de la folie
Phrases exclamatives
Des personnages passionnés
Métaphore de l'amour
Vocabulaire du jeu et de la parole
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : L'aveu d'un amour mutuel
- Deuxième mouvement : Un dénouement tragique
L'essentiel à retenir du texte :
- Un aveu d'amour : Camille et Perdican se lancent tous deux dans des tirades lyriques et montrent ainsi l'intensité de leur amour qu'ils avaient tenté de retenir. Les nombreuses phrases exclamatives et les didascalies témoignent de leur amour passionné l'un pour l'autre. Jusqu'alors, leurs différentes conceptions de l'amour les avaient séparés, à présent chacun reconnaît ses erreurs. Camille avoue son amour à Perdican et comprend que son amour pour lui n'est pas incompatible avec son amour pour Dieu.
- L'amour lié à la folie : Dans cette scène, on perçoit une image particulière de l'amour, liée à la folie, caractéristique romantique. Mais on voit également tout l'enjeu du parcours puisque les deux protagonistes comprennent qu'ils ont trop « joué » avec leurs sentiments et leurs paroles, ils ont trop badiné avec l'amour, ce qui sera lourd de conséquences.
- Un dénouement malheureux : On perçoit un renversement de situation à partir du moment où Camille et Perdican acceptent leur amour mutuel, comme le montre la didascalie « Il l'embrasse ; on entend un grand cri derrière l'autel ». Leur amour devient impossible puisqu'il est lié à la mort de Rosette.