Sommaire
IParcours : réflexions sur l'intitulé du parcours « Personnages en marge, plaisirs romanesques »ALes termes du parcours1« Personnages en marge »2« Plaisirs romanesques »BManon Lescaut et le Chevalier Des Grieux, un couple de personnages en margeIIL'auteur : L'abbé Antoine François Prévost d'Exiles, dit l'abbé PrévostIIIPrésentation de l'œuvre AContexte de l'œuvre1Le contexte politique2Le contexte social3Le contexte littéraireBUn roman moderne1Un roman sentimental2Un roman d'aventures3Un roman de mœurs4Un roman du XVIIIe siècleCUn roman qui a fait scandaleDRésumé de l'œuvreELes personnages principaux1Manon Lescaut2Le Chevalier Des Grieux3Tiberge4Le frère de Manon5Le père de Des GrieuxFLes thèmes principaux1La passion amoureuse2L'argent, le luxe et les richesses3Le mensonge4Le rejetParcours : réflexions sur l'intitulé du parcours « Personnages en marge, plaisirs romanesques »
L'intitulé du parcours « Personnages en marge, plaisirs romanesques » nous invite à nous demander pourquoi les personnages marginaux suscitent un véritable plaisir et intérêt chez le lecteur.
Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse.
Montesquieu
Les termes du parcours
Les termes du parcours nous invitent à nous demander pourquoi les personnages marginaux suscitent l'intérêt chez le lecteur.
« Personnages en marge »
Le terme « marge » vient du latin margo qui désigne « le bord, la bordure ». « En marge » veut dire « en dehors de », « à l'écart de », « à côté de », « à la limite de ». Vivre « en marge » signifie donc vivre hors des limites de la société c'est-à-dire en dehors des normes morales et familiales mais aussi en dehors des conventions sociales. Le personnage « en marge » est un être fictif qui se retrouve à l'écart, volontairement ou non. Cette marge peut être physique, psychologique ou sociale. Les personnages en marge sont souvent complexes et suscitent, chez le lecteur, des sentiments ambivalents.
La littérature offre, depuis l'Antiquité, des personnages « en marge ». On rencontre des personnages types qui symbolisent, chacun à leur manière, une forme de marginalité. On peut trouver, par exemple :
- Le monstre. En raison de sa laideur physique, le personnage est moqué, rejeté, mis de côté. Exemple : Quasimodo dans Notre-Dame de Paris (1831) de Victor Hugo, la créature du Dr Frankenstein dans Frankenstein (1818) de Mary Shelley.
- Le fou. C'est un personnage psychologiquement inadapté. Traditionnellement, le fou est exclu ou enfermé dans un asile ce qui le met à l'écart de la société. Exemple : le personnage principal du Don Quichotte (1605) de Miguel Cervantes se bat contre des moulins à vent les prenant pour des géants.
- La prostituée, le brigand ou le voleur. Tous ces personnages sont socialement inadaptés. Ils transgressent tout à la fois l'ordre moral et l'ordre social par leurs comportements. Exemple : dans Boule de Suif (1879) de Guy de Maupassant, le personnage principal, Boule de suif, est une prostituée rejetée par tous ses compagnons de voyage à cause de sa « profession » alors qu'elle les a tous sauvés.
- L'anti-héros. Il ne présente pas les caractéristiques traditionnelles d'un héros de roman. Il peut être lâche, peureux, méchant, indifférent au monde etc. Exemple : Meursault dans l'Étranger (1942) d'Albert Camus. Il se désintéresse de tout et ne semble éprouver aucun sentiment. Insensible au sort de ses amis, comme au sien, il se met lui-même à l'écart par un comportement asocial.
- L'étranger. C'est un personnage « géographiquement » en marge. Exilé volontaire ou non, il est souvent incompris et mis à l'écart car il est différent par ses origines et sa culture. Exemple : Gocéné, dans Cannibale (1998) de Didier Daenninckx, est un Kanak (habitant de Nouvelle Calédonie) qui a vécu, de force, dans un zoo humain à Paris lors de l'exposition coloniale de 1931. Sa couleur de peau, ses coutumes et les préjugés l'ont mis à l'écart de la société et des Hommes.
Les personnages « en marge » sont donc souvent atypiques car ils s'écartent de la norme. Ils invitent le lecteur à réfléchir sur ses propres transgressions, limites et valeurs morales.
« Plaisirs romanesques »
Les termes « plaisirs romanesques » font écho au plaisir ressenti par le lecteur à la lecture du roman mais aussi à la recherche du plaisir par les personnages du roman.
Le « plaisir » est un état de bien être, de contentement. C'est une satisfaction que l'on ressent lorsqu'un de nos désirs ou un de nos besoins est comblé.
« Romanesque » signifie « ce qui est propre au roman ». Par extension, on qualifie de « romanesque » tout ce qui évoque le roman, tout ce qui semble tiré d'un roman : des aventures extraordinaires, des personnages hors du commun aux sentiments intenses, des situations incroyables. Les péripéties, les aventures mais aussi le spectacle de la marginalité des personnages, procurent un véritable plaisir littéraire au lecteur qui est entraîné dans un univers fictif stimulant. On ne doit pas oublier que le roman, à l'origine, a été créé pour le plaisir.
Le terme « plaisirs » est mis au pluriel dans l'intitulé du parcours. Cela évoque non seulement le plaisir que le lecteur ressent à la lecture du roman mais aussi le plaisir recherché par les personnages. En effet, les personnages sont souvent en quête de bonheur. Pour cela, ils cherchent à satisfaire leurs désirs, et parfois par des moyens qui les mettent en marge …
Manon Lescaut et le Chevalier Des Grieux, un couple de personnages en marge
Manon Lescaut et le Chevalier Des Grieux forment un couple marginal qui suscite l'intérêt chez le lecteur.
Manon Lescaut et le Chevalier Des Grieux, forment un couple romanesque marginal captivant qui procure un véritable plaisir à la lecture.
- Manon est une femme qui se prostitue pour vivre dans le luxe et l'opulence. Elle profite de la faiblesse des hommes et de l'amour qu'elle suscite chez eux.
- Le Chevalier Des Grieux est un noble qui s'éloigne de sa famille et de sa classe sociale pour vivre son amour avec Manon. Il est gouverné par ses passions et non pas par sa raison. Il suivra Manon jusqu'au bout du monde quitte à rompre avec sa famille. Ils recherchent tous les deux le plaisir de la satisfaction de leurs désirs (amoureux, financiers).
Le lecteur se délecte de leurs aventures et mésaventures, se demande jusqu'où ils vont aller dans la transgression, les admirant et les réprouvant tout à la fois.
L'intitulé du parcours invite à se poser diverses questions :
- Le personnage de roman doit-il nécessairement accomplir des actes de bravoure pour susciter intérêt et plaisir de la lecture ?
- En quoi la marginalité des personnages alimente-t-elle le romanesque ?
- Le plaisir du romanesque ne tient-il qu'aux personnages ?
- Dans quelle mesure l'esthétique de la laideur et le goût du scandale participent-ils du plaisir du romanesque ?
- Le personnage en marge peut-il être un individu d'exception ?
- Pourquoi la marginalité suscite-t-elle intérêt et plaisir ?
- Quelles sont les fonctions de la marginalité en littérature ?
L'auteur : L'abbé Antoine François Prévost d'Exiles, dit l'abbé Prévost
L'abbé Prévost est l'un des plus célèbres romanciers du XVIIIe siècle. Il a connu une vie agitée, marquée par de nombreuses révoltes, des errements en tous genres et un désir important de ne pas se plier à la norme.
1er avril 1697 : Naissance d'Antoine François Prévost à Hesdin en Artois dans une famille aisée.
1711 : Décès brutal de sa mère et de sa sœur. Il entame des études dans un collège jésuite.
1712 : Il quitte le collège où il fait ses études pour s'engager dans l'armée du roi alors que la guerre de succession d'Espagne fait rage.
1717-1726 : Il entame un noviciat chez les jésuites mais il s'enfuit pour rejoindre de nouveau l'armée qu'il déserte finalement. Il suit alors des études de théologie. C'est une période troublée pour Antoine-François Prévost qui rencontre des ennuis amoureux et judiciaires.
1726 : Il est ordonné prêtre.
1728 : Il quitte son monastère sans autorisation et critique, avec virulence, la vie monastique. Il fait publier, anonymement, les 4 premiers tomes des Mémoires et aventures d'un homme de qualité. Sous le coup d'un mandat d'arrêt pour avoir quitté son monastère, il fuit en Angleterre.
1729 : Précepteur de la fille de l'ancien maire de Londres, il est chassé pour avoir entretenu une liaison avec elle.
1731 : Il publie, en Hollande, les 3 derniers tomes des Mémoires et aventures d'un homme de qualité où figure l'Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (tome VII).
1733 : Il fuit de nouveau en Angleterre avec sa maîtresse Hélène Eckhardt. Endetté, il falsifie alors un document, fait des malversations et encourt la peine de mort. Manon Lescaut est interdit de publication pour immoralité.
1734-1736 : Il revient en France. Il obtient alors l'absolution du Pape et il devient aumônier du Prince de Conti qui le protège. Il réussit à vivre de sa plume.
1740 : Il s'exile à Francfort après des écrits satiriques.
1746 : Il mène une vie rangée. Il publie de nombreux ouvrages et traduit des œuvres.
1753 : Parution d'une nouvelle édition de Manon Lescaut corrigée et enrichie.
25 novembre 1763 : Il meurt, près de Chantilly, au cours d'une promenade, d'une rupture d'anévrisme.
En somme, l'abbé Prévost a une vie que l'on peut qualifier de romanesque car riche en aventures et rebondissements.
Le pseudonyme qu'il choisit, Prévost d'Éxiles, exprime cette vie d'errance et d'exil.
Présentation de l'œuvre
Manon Lescaut, est un roman-mémoires écrit par l'abbé Prévost. Il fait partie des Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde. C'est un des romans phares de la littérature du XVIIIe siècle. D'abord interdit en 1733 pour immoralité en raison de la débauche de ses personnages, il connait un véritable succès lors de sa nouvelle édition en 1753. Ce roman est plus complexe qu'il n'y paraît. Loin de n'être que l'expression de la dépravation des deux personnages principaux, c'est avant tout un roman original empreint d'une sensibilité nouvelle à travers lequel Prévost cherche à instruire et plaire.
Contexte de l'œuvre
Le roman se déroule à la fin du règne de Louis XIV, époque caractérisée par une grande rigueur morale. L'argent devient un moyen de s'élever socialement. Les lecteurs sont séduits par les personnages animés par leurs passions.
Le contexte politique
Manon Lescaut se déroule lors de la fin du règne du Roi Soleil, époque marquée par une grande rigueur morale.
Le roman se déroule entre 1712 et 1715, époque à laquelle Louis XIV, le Roi Soleil, règne et impose un climat d'austérité et de grande rigueur morale. Particulièrement pieux et dévot, il restreint les libertés religieuses en révoquant l'Édit de Nantes en 1685. La mort de Louis XIV, en 1715, ouvre une période de contestation politique et de prospérité économique sous la régence du Duc d'Orléans de 1715 à 1723. Le règne de Louis XV, qui prend le pouvoir en 1723, à sa majorité, marque un nouveau tournant. Le pouvoir de l'argent s'affirme et on observe un retour important à l'ordre moral. C'est d'ailleurs pour cela que Manon Lescaut est interdit en 1733.
L'Édit de Nantes, promulgué en 1598, garantissait la liberté religieuse. C'est cet édit qui a mis fin aux guerres de religion.
Le contexte social
La fin du règne du Roi Soleil est caractérisée par une grande pauvreté du peuple. L'argent devient alors un moyen de s'élever socialement.
À la fin du règne de Louis XIV, les famines ravagent le royaume. Alors que le peuple souffre d'une grande pauvreté, certains s'enrichissent et vivent dans l'opulence. L'argent devient un moyen de s'élever socialement et s'inscrit comme une véritable valeur sociale. Les inégalités se creusent alors d'autant plus. Le commerce avec les colonies se développe. C'est l'occasion d'envoyer les marginaux en Louisiane : assassins, voleurs, prostituées et brigands forment la première vague de peuplement de ce territoire éloigné et y servent de main d'œuvre gratuite.
Le contexte littéraire
Au XVIIIe siècle, le mouvement des Lumières se développe. Les lecteurs s'intéressent désormais aux personnages animés par leurs sentiments, leurs passions.
C'est à cette époque que se développe l'esprit des Lumières. Contestataire, il prône la raison, la quête de la liberté et celle du bonheur. Les personnages romanesques sont empreints de ce désir de liberté.
En ce siècle de la philosophie des Lumières et du triomphe de la raison, on demande au roman d'éveiller des sensations nouvelles, et de procurer des sensations fortes. De plus, depuis la parution de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, en 1678, le goût des lecteurs change. Se développe alors un intérêt certain pour la « sensibilité ». On aime les personnages animés par des sentiments passionnés et vertueux. L'Encyclopédie définit ce qu'est la « sensibilité » au XVIIIe siècle : « disposition tendre et délicate de l'âme, qui la rend facile à être émue, à être touchée ». Les lecteurs bourgeois du XVIIIe siècle ont donc un penchant particulier pour les troubles et les émois de personnages qui expriment leurs sentiments personnels. Le roman de Prévost est en cela précurseur des romans de la fin du XVIIIe siècle, centrés sur le conflit entre passions et impératifs sociaux et moraux. Ce goût pour la sensibilité est annonciateur, également, du romantisme au XIXe siècle.
Un roman moderne
La lecture de Manon Lescaut transporte le lecteur en lui offrant intensité des émotions, violence des passions, tension des actions et description détaillée des espaces imaginaires. Il propose aussi une véritable réflexion sur les mœurs du XVIIIe siècle. À la fois roman sentimental, roman d'aventures et roman de mœurs, Manon Lescaut interroge l'égarement auquel mènent les passions et questionne la notion de liberté.
Un roman sentimental
Le roman, qui relate les conflits des personnages entre passion et raison, invite à s'interroger sur la force des passions.
Le roman Manon Lescaut, se concentre tout d'abord sur les désirs et les sentiments de Manon et Des Grieux. Les personnages se questionnent sur la sincérité, l'honneur, la vertu, l'amour mais aussi sur la vérité. Le roman retrace les conflits intérieurs des personnages partagés entre passion et raison, entre désir et vertu. On suit, tout au long du récit, les déclarations d'amour des personnages mais aussi leurs nombreuses introspections et les conflits qui les opposent. Le roman amène alors à réfléchir sur la nature des sentiments amoureux et sur la force des passions.
Un roman d'aventures
Le roman relate les diverses péripéties que rencontrent Manon Lescaut et le Chevalier Des Grieux.
Manon Lescaut fait le récit des aventures de Manon et Des Grieux. Tout au long du roman, de très nombreuses péripéties et rebondissements s'enchaînent. Ils fuient, s'évadent, se cachent, s'exilent, se séparent, se retrouvent … Ces enchaînements d'actions sont tant le fait des autres personnages (ceux qui s'opposent au couple) que du fait de Manon et Des Grieux eux-mêmes. Leurs pérégrinations se terminent en Amérique, au terme d'un voyage tumultueux, dans un autre pays, étranger et hostile, à l'image de nombreux autres romans d'aventures.
Un roman de mœurs
Le roman cherche à la fois à plaire et instruire à travers le récit des diverses péripéties de Manon Lescaut et du Chevalier Des Grieux.
Un roman de mœurs est un roman dans lequel sont décrits la vie quotidienne des personnages et leurs comportements. L'abbé Prévost dresse un tableau réaliste de la société du XVIIIe siècle sous la Régence de Philippe d'Orléans. Il met en scène des personnages issus de milieux sociaux différents, il décrit des scènes du quotidien et il situe les faits dans des lieux réels. Ainsi, le romancier offre au lecteur une véritable réflexion sur les mœurs de son temps comme le ferait un moraliste. Mais c'est ici au lecteur d'aiguiser son esprit critique et de tirer sa propre morale.
À travers le récit des péripéties de Manon et Des Grieux, l'abbé Prévost cherche donc à plaire et à instruire.
« Plaire », c'est divertir le lecteur par le récit palpitant et romanesque des aventures et mésaventures de Manon Lescaut et Des Grieux. Comme l'explique Flaubert : « Ce qu'il y a de fort dans Manon Lescaut, c'est le souffle sentimental, la naïveté de la passion qui rend les deux héros si vrais si sympathiques, si honorables, quoiqu'ils soient fripons. »
« Instruire » c'est provoquer le jugement du lecteur par les émotions d'une lecture, qui se veut moralisante. Dans ce roman de mœurs, la passion, la débauche et l'amour aveugle mènent à tous les vices : triche, libertinage et vol, jusqu'à commettre l'irréparable. L'auteur fait donc de ce roman sentimental un traité de morale sur les dangers de la passion.
Un roman du XVIIIe siècle
Le libertinage, amoureux et de pensée, est au cœur du roman.
Le « Libertinage » au XVIIIe siècle est défini en ces termes par l'Encyclopédie (1751-1772) de Diderot et d'Alembert : « C'est l'habitude de céder à l'instinct qui nous porte aux plaisirs des sens, il ne respecte pas les mœurs, mais il ne s'affecte pas de les braver, il est sans délicatesse ». Les libertins sont à la recherche d'un bonheur individuel. Le plaisir sensuel est au cœur de leurs préoccupations. Ils revendiquent une liberté de mœurs (sexuelle) et une liberté de pensée. Ils s'affranchissent des règles morales de la religion et de la société. Les libertins ne reconnaissent aucune autorité supérieure à celle de leur propre conscience.
Dans Manon Lescaut, le libertinage est très présent. Manon représente le libertinage amoureux. Elle a un « penchant au plaisir » (première partie) et un goût prononcé pour l'argent ce qui la pousse à trahir Des Grieux en le trompant à plusieurs reprises. Des Grieux, quant à lui, représente le libertinage de pensée. Il se libère moralement et socialement et n'hésite pas à critiquer violemment la religion (première partie).
Remarque : Le récit libertin est propre au XVIIIe siècle. Le célèbre roman épistolaire Les Liaisons dangereuses (1782) de Pierre Choderlos de Laclos est aussi un récit libertin.
Un roman qui a fait scandale
En 1733, le roman est censuré pour cause d'immoralité. En 1753, l'abbé Prévost publie une édition revue et corrigée.
En 1733, Manon Lescaut est jugé scandaleux. Censuré pour cause d'immoralité, il est saisi et condamné à être brûlé. L'auteur publie en 1753 une édition revue et corrigée de son roman. Les qualités humaines du roman, la sincérité de l'amour et le message moralisateur qu'il transmet finissent par séduire le public et font sa célébrité. En effet, les deux libertins sont châtiés pour leurs mauvaises actions : Manon Lescaut meurt dans des circonstances humiliantes, le chevalier Des Grieux perd sa bien-aimée. De plus, à travers le récit de ses propres mésaventures, Des Grieux fait son procès et se repent, ce qui est au goût des lecteurs contemporains.
Résumé de l'œuvre
Manon Lescaut est un roman mémoires. Le Chevalier Des Grieux raconte son histoire d'amour avec Manon Lescaut entre 1712 et 1715.
Manon Lescaut est un roman-mémoires. Le récit est supporté par deux narrateurs qui s'expriment à la première personne. Renoncour est le narrateur du récit-cadre, celui des Mémoires d'un homme de qualité. Des Grieux est le narrateur du récit encadré : il raconte à Renoncour son histoire d'amour avec la belle Manon Lescaut. C'est ce récit qui est le plus important dans le roman.
1re partie : En 1715, Renoncour rencontre Des Grieux et Manon Lescaut dans une auberge à Pacy-sur-Eure. Manon est déportée en Louisiane et Des Grieux veut la suivre. Renoncour les aide financièrement. Presque deux ans plus tard, Renoncour rencontre Des Grieux par hasard. Il l'invite alors et le chevalier lui raconte toutes ses aventures avec Manon. Commence le récit de Des Grieux. En 1712, alors qu'il n'a que 17 ans, le chevalier Des Grieux tombe follement amoureux de Manon qui a un an de moins que lui. Tiberge, son ami, le met en garde contre cette passion. Mais, sourd aux avertissements de ce dernier, Des Grieux enlève Manon alors qu'elle doit rejoindre un couvent. Ils s'enfuient à Paris. Il la demande en mariage mais elle refuse. Leur romance est de courte durée car Manon trompe Des Grieux avec un riche fermier qui la couvre de cadeaux. Le chevalier tombe dans un profond chagrin. Il se retrouve alors enfermé chez son père pendant plus de 6 mois. Tiberge et Des Grieux suivent alors ensemble une formation religieuse. Mais il revoit Manon, quitte ses études et s'enfuit avec elle à Chaillot. Cependant, Manon s'ennuie et ils rejoignent Paris. Là, Lescaut, le frère de Manon, les rejoint et vit à leurs crochets. Malheureusement leur maison brûle et ils perdent tout. Sous l'influence du frère de Manon, Des Grieux joue et triche aux jeux d'argent. Il emprunte alors de l'argent à son ami Tiberge. En 1714, Lescaut convainc sa sœur d'abandonner Des Grieux pour profiter des faveurs du riche M. de G… M... . Des Grieux, pour ne pas perdre Manon accepte d'escroquer M. de G…M... Ils lui volent de l'argent et des bijoux mais ils se font arrêter et sont emprisonnés séparément. Des Grieux apprend que Manon est détenue à l'hôpital général où prisonniers, fous et lépreux sont mélangés. Des Grieux ne peut le supporter et s'évade grâce au frère de Manon qui lui procure une arme. Au cours de l'évasion Des Grieux tue le portier par accident et le frère de Manon meurt. Ils s'enfuient et s'installent dans une auberge à Chaillot.
À la fin de cette première partie, c'est Renoncour qui redevient le narrateur.
2nde partie : Manon et Des Grieux vivent heureux à Chaillot. Là, Manon reste un temps fidèle à Des Grieux bien qu'un Prince italien tente de la séduire. Mais le fils de M. de G…M... tombe amoureux d'elle et la couvre de cadeaux. Cela déclenche la jalousie de Des Grieux. Alors Manon propose de réitérer leur escroquerie sur le fils. Mais M. de G…M... les a devancés et ils sont de nouveau jetés en prison. Le père de Des Grieux fait libérer son fils et obtient la déportation de Manon en Louisiane. Le chevalier prend alors la décision de fuir sa famille. Il rejoint Manon dans le convoi de femmes qui va la mener en Louisiane. Il embarque avec elle. Après deux mois de traversée, ils arrivent à la Nouvelle Orléans. Ils vivent alors une vie simple et heureuse dans un cabane, protégés par le Gouverneur qui les croit mariés. Mais Synnelet, le neveu du Gouverneur, qui apprend que Manon n'est pas mariée, exige de son oncle qu'il la force à l'épouser. Des Grieux le provoque alors en duel. Pensant avoir tué son adversaire, Des Grieux, blessé au bras, s'enfuit avec Manon. La vie de fugitif est difficile et ne convient pas à Manon. Ils décident alors de traverser le désert pour rejoindre une colonie anglaise. Là, épuisée, Manon s'effondre et meurt. Accablé de chagrin, Des Grieux enterre Manon et se couche sur sa tombe pour attendre la mort. Le Gouverneur le retrouve et le ramène à la Nouvelle Orléans où il est disculpé du meurtre de Synnelet puisque ce dernier n'est pas mort. Toujours dévasté par la mort de Manon, Des Grieux erre dans la ville se reprochant tous les malheurs qui sont arrivés à Manon. C'est là que Tiberge le retrouve et le ramène en France. À son arrivée au Havre, il apprend que son père est mort de chagrin à la suite de son départ en Amérique. Des Grieux prend alors la décision de retourner dans sa famille et de mener une vie sage et rangée.
Roman-mémoires
Un roman-mémoires est un roman dans lequel un personnage relate sa propre destinée à la 1re personne du singulier donnant ainsi de la vraisemblance à ses propos et une illusion d'authenticité à son histoire bien que tout soit fictif.
Les personnages principaux
Les « personnages en marge », Manon Lescaut, le Chevalier Des Grieux et le frère de Manon, par leurs mauvais comportements, rompent avec le modèle vertueux des récits romanesques classiques. Tiberge, le père de Des Grieux ou Renoncour sont, quant à eux, des modèles de vertu. Tous ces personnages incarnent les différentes facettes, morales ou amorales, de notre âme et de notre personnalité.
Manon Lescaut
Issue d'un milieu modeste, Manon Lescaut incarne la luxure et l'envie. Elle enfreint les règles morales et sociales.
Manon est issue d'un milieu modeste. Destinée au couvent, car elle montre déjà un appétit pour les plaisirs, elle n'est heureuse que dans le luxe. Elle souhaite s'élever socialement et intégrer l'élite sociale. Malgré sa naissance modeste, elle présente des caractéristiques d'une certaine noblesse : elle a des traits fins et grâcieux, elle est cultivée et s'exprime très bien. Manon incarne, les péchés capitaux de la luxure (elle mène une vie de débauche et couche avec plusieurs hommes) et de l'envie (elle est vénale et prête à tout pour fréquenter le beau monde). Les actes de Manon sont souvent cruels : elle joue avec le cœur de Des Grieux qu'elle finit par aimer véritablement et sincèrement.
C'est un personnage en marge à plusieurs niveaux. Tout d'abord parce qu'elle est exclue par les autres personnages qui ne voient en elle qu'une fille facile. Ainsi ses parents veulent l'enfermer dans un couvent, ses amants la mènent en prison et le père de Des Grieux la fait déporter en Louisiane. C'est donc une marge imposée, subie.
Ensuite, parce qu'elle se met elle-même en marge par son comportement. Elle enfreint les règles sociales (elle vole, elle s'évade, elle escroque …), elle enfreint les règles morales (elle est manipulatrice, vénale et libertine, elle se prostitue …) et elle enfreint les règles religieuses en ayant des relations hors mariage. Enfin, parce qu'elle est en marge du récit en lui-même. Bien qu'elle soit l'héroïne qui donne son nom au roman ce n'est pas à travers sa voix que la narration se fait mais à travers celle de Des Grieux.
Manon, par sa marginalité, affirme, finalement, toute sa force et sa puissance. Soumise, par sa nature de femme à subir l'emprise des hommes, elle les domine malgré tout en profitant d'eux et en les manipulant.
Manon est, pour finir, une figure féminine tragique. Alors qu'elle apprend enfin à se contenter de peu, lors de sa vie à la Nouvelle Orléans, et qu'elle accède à une véritable reconnaissance sociale au sein de la colonie, elle meurt pitoyablement dans d'intenses souffrances après s'être repentie. Ici, elle semble être le jouet d'un destin implacable qui la punit pour les fautes qu'elle a commises.
Le Chevalier Des Grieux
Le Chevalier Des Grieux illustre la force des passions. Fou d'amour, il transgresse les règles et les bonnes mœurs.
Des Grieux a toutes les qualités de « l'honnête homme » : raffiné, élégant et cultivé il est, lorsqu'il rencontre Manon, convenable et de bonnes mœurs. Mais Manon le pousse à transgresser les règles et valeurs associées à son rang : il vole, il joue et s'endette, il escroque, il tue, il vit une relation hors mariage et il se coupe de sa famille. Il voue un amour véritable et inconditionnel à Manon. Il est l'exemple terrible de la force des passions. En effet, il est prêt à tous les sacrifices pour garder l'amour de Manon quitte à se retrouver au ban de la société. Profondément convaincu qu'il est incompris par ses amis et sa famille, il a une vision chevaleresque, romanesque et héroïque de l'amour. En témoigne son évasion de prison dans le but de libérer Manon. Le personnage comme privé de raison, fou d'amour provoque alors lui-même son destin, dirigé aussi bien par sa passion amoureuse que par sa colère et toute la violence qu'elle génère.
Des Grieux, par son comportement et ses choix, se met volontairement en marge de sa famille, de ses amis, de sa classe sociale et de la société. Cependant, jamais il ne se montre comme une victime d'un destin implacable. Jusqu'au bout il assume ses décisions et accompagne consciemment Manon dans sa descente aux enfers.
Son retour, à la fin, auprès de sa famille, son désir de se ranger et de mener une vie paisible montrent qu'il reprend le chemin de la raison. Il rentre de nouveau dans la norme.
On ne peut que constater les similitudes entre Des Grieux et Prévost ! D'origine noble, tous deux se caractérisent par une forme d'inconstance qui se cristallise tout particulièrement dans leur carrière religieuse. Tous deux sont également le jouet de l'amour.
Tiberge
Tiberge, ami d'enfance de Des Grieux, incarne la morale religieuse.
C'est l'ami d'enfance de Des Grieux. Il incarne la morale religieuse. C'est lui, tel un bon samaritain, qui vient au secours de Des Grieux en Louisiane. Il lui fait aussi l'aumône en lui prêtant de l'argent. Persuadé que son ami peut changer et revenir dans le droit chemin il lui fait la morale, l'avertit et tente de le raisonner. C'est un personnage guidé par la foi et la vertu.
Le frère de Manon
Lescaut, le frère de Manon, incarne la corruption et le vice.
Le frère de Manon, simplement nommé Lescaut, est un personnage qui incarne la corruption et le vice. Il transgresse en permanence la morale notamment en prostituant sa sœur pour gagner de l'or. C'est lui qui est à l'origine de l'escroquerie qui mènera Des Grieux et Manon en prison. Sans scrupule, vénal et profondément mauvais il meurt au milieu du récit.
Le père de Des Grieux
Le père de Des Grieux, à la morale inflexible, incarne les valeurs de la noblesse.
Il incarne les valeurs de la noblesse. Il est guidé par une morale inflexible à laquelle il ne déroge pas. Ainsi il dit préférer voir son fils mort que déshonoré (deuxième partie). Sous des aspects de froideur et d'intransigeance (il enferme son fils pendant 6 mois), il agit par affection pour son fils et lui vient régulièrement en aide.
Tiberge, Lescaut et le père de Des Grieux sont aussi le symbole d'un patriarcat tout puissant. C'est eux qui ont en main le destin du couple. En incarnant une forme de norme, ils mettent Des Grieux et Manon au ban de la société, de la famille ou de la morale. Ce sont eux qui les marginalisent.
Les thèmes principaux
Il y a quatre thèmes fondamentaux dans Manon Lescaut : la passion amoureuse, l'amour de la richesse, le mensonge et le rejet.
La passion amoureuse
L'amour est le moteur du roman. Le récit de Des Grieux, malgré sa fin tragique, montre qu'il ne regrette rien de cette passion.
La passion amoureuse qui unit Des Grieux à Manon est le moteur du récit. C'est l'amour qui déclenche et fait s'enchaîner les péripéties.
L'auteur en propose tout d'abord une vision négative. Aveuglé par ses sentiments, soumis à la passion, Des Grieux enchaîne les mauvais choix, comme privé de son libre-arbitre. La passion amoureuse est donc, de ce point, destructrice. En effet, Des Grieux, à la fin du roman, a tout perdu : sa bien-aimée, son honneur et sa famille. Seul Tiberge est encore là pour lui, symbole d'une amitié indéfectible. Il symbolise le pardon absolu. Soumis à une destinée chaotique, Des Grieux est le personnage qui incarne le caractère tragique de la passion amoureuse.
Mais l'auteur propose également une vision positive de la passion amoureuse. La passion de Des Grieux pour Manon va au-delà de tout. Elle se révèle plus forte que la vertu et que la raison, plus forte que les valeurs familiales, morales et sociales. Alors qu'il a tout perdu, seule la passion amoureuse du chevalier est inaltérée. Son récit rétrospectif montre qu'il ne regrette en rien cette passion qui a pourtant tout détruit autour de lui.
L'argent, le luxe et les richesses
Le manque d'argent est présent tout au long du roman. La cupidité de Manon la pousse à se prostituer et à commettre plusieurs escroqueries.
Le manque d'argent poursuit les personnages tout au long du roman. C'est d'ailleurs la cupidité de Manon et son amour du luxe et de la richesse qui la poussent à commettre des méfaits et à se prostituer. Tout le récit est placé sous le signe de l'argent qui devient, alors, une condition absolue au bonheur. Autant Des Grieux cherche son bonheur dans l'amour qu'il porte à Manon, autant Manon cherche son bonheur dans la richesse et la possession. Pour Manon, posséder de l'argent va au-delà du confort matériel qu'elle souhaite. C'est aussi pour elle un moyen d'être indépendante et libre. N'oublions pas que les femmes au XVIIIe siècle sont soumises financièrement aux hommes. Sans argent on ne peut être libre.
Cet amour du bien matériel montre, en filigrane, une véritable dégradation des valeurs morales et amoureuses des personnages. Cependant, la fin du roman apporte une nouvelle vision des choses. Manon et Des Grieux vivent heureux dans la simplicité et le dénuement. C'est le triomphe de l'amour sur la vénalité.
Le mensonge
Manon ment régulièrement pour séduire des hommes. À travers ce thème du mensonge, l'auteur dénonce l'importance accordée aux apparences.
Le mensonge est très présent tout au long du roman. Des Grieux est régulièrement trompé et dupé par Manon. Cette dernière, mentant sur ses sentiments, séduit les hommes pour en retirer du profit. Elle se donne, auprès d'eux, le rôle de l'amante naïve mais elle se joue finalement d'eux. Des Grieux est également, dans une moindre mesure, un menteur. Il se fait passer pour le frère de Manon pour mieux duper M. de G …, il trompe Tiberge en lui empruntant de l'argent, il intègre un groupe de tricheurs pour mieux gagner aux jeux.
Manon et Des Grieux mentent aussi au Gouverneur en faisant croire qu'ils sont mariés. Le roman tout entier est donc placé sous le signe de la duperie et du « jeu de rôles ».
La vérité et la sincérité se dégradent tout au long du roman. Alors qu'au début de leur rencontre Manon et Des Grieux sont honnêtes l'un envers l'autre, c'est le mensonge qui précipite leur perte. Cependant, la fin du roman remet l'authenticité au cœur du bonheur.
À travers ce thème du mensonge, Prévost dénonce l'importance accordée aux apparences et le jeu social.
Le rejet
Les personnages sont rejetés par leurs amis, leur famille mais aussi la société.
Le rejet est également un thème important du roman. Les personnages sont tour à tour rejetés par ceux qu'ils aiment : amis, famille mais aussi par la société. Les hommes ne voient finalement, en Manon, qu'une séductrice vénale et perfide. Elle finira déportée en Louisiane.
Des Grieux, se met à l'écart dès qu'il rencontre Manon. Il n'écoute pas les conseils et avertissements de Tiberge et il finit par rejeter les siens en décidant de suivre Manon jusqu'au bout du monde. Exclusion sociale, exclusion familiale sont donc le lot du couple.
Le couple semble également exclu par les lieux qu'ils fréquentent. Les lieux clos, comme les prisons ou la maison familiale pour Des Grieux, tiennent les amants éloignés l'un de l'autre. Les villes n'offrent qu'un refuge temporaire à Manon et Des Grieux qui sont régulièrement voués à la fuite et à l'exil. Aucun espace ne leur apporte calme, apaisement et réconfort. Seule la Nouvelle Orléans, ville neuve sur un continent neuf, leur donne l'espoir de la stabilité et du renouveau puisque c'est le seul endroit où Manon n'est pas rejetée et où ils peuvent vivre pleinement leur amour. Mais ce n'est que temporaire. Manon y devient la cible de la passion du neveu du Gouverneur ce qui la pousse à fuir de nouveau. Elle trouve alors la mort dans un désert éloigné de toute civilisation. Son exclusion est donc à son apogée. La mort de Manon peut être vue comme le seul moyen qui puisse mettre fin au rejet qu'elle a subi tout au long du roman.