Sommaire
IIntroduction : les origines du romanIILe XVIIIe siècle : l'exploration des formes romanesquesIIILe XIXe siècle : l'âge d'or du romanALe romantismeBLe réalismeCLe naturalismeIVLe roman au XXe siècle : du renouvellement à l'ère du soupçonALe roman de 1900 à 1950BLe nouveau roman (1950-1970)VLe roman depuis 1980Introduction : les origines du roman
Le roman évolue de l'Antiquité jusqu'au XVIIe siècle durant lequel il devient un genre littéraire à part entière.
L'épopée antique constitue l'origine principale du roman : prise en charge par un narrateur, elle relate les prouesses ou les aventures de personnages héroïques.
C'est au XIIe siècle qu'apparaît le mot « roman », qui désigne d'abord la langue romane (par opposition au latin), puis une adaptation en langue romane d'un récit antique, et plus tardivement un texte narratif en prose relatant les aventures d'un personnage.
Les récits de Chrétien de Troyes (Yvain ou Le Chevalier au lion, Perceval ou Le Conte du Graal) présentent certaines caractéristiques du genre romanesque à venir :
- récit centré sur un personnage principal ;
- présence d'un narrateur, qui utilise la 1re personne du singulier.
Jusqu'à la fin du Moyen Âge, les très nombreux romans chevaleresques et sentimentaux publiés passionnent les lecteurs.
Mais dès le XVe siècle et plus encore au XVIe siècle, le public se détourne de ces récits souvent invraisemblables et stéréotypés, qui sont tournés en dérision.
Dans Don Quichotte (1605-1615), Cervantès imagine un personnage qui, à force de lire des romans de chevalerie invraisemblables, devient fou et forme le projet de se faire à son tour chevalier, ce qui donne lieu à des péripéties comiques.
C'est au cours du XVIIe siècle que le genre du roman se constitue véritablement. Le roman prend de l'ampleur :
- son intrigue se complexifie, avec des récits enchâssés et des analepses ;
- ses personnages gagnent en profondeur psychologique et s'éloignent peu à peu des héros idéalisés ;
- ses procédés narratifs deviennent plus élaborés (utilisation de la focalisation interne).
La Princesse de Clèves (1678) de Madame de La Fayette fait date dans l'histoire du genre et est considéré comme le premier roman d'analyse. L'intérêt de l'intrigue réside moins dans l'action elle-même, assez minimaliste, que dans l'évolution psychologique du personnage principal.
Le XVIIIe siècle : l'exploration des formes romanesques
Au XVIIIe siècle, plusieurs formes romanesques sont expérimentées pour répondre aux critiques contre le roman. Toutefois, ce n'est pas le genre qui domine la littérature française.
Le XVIIIe siècle est connu comme le « siècle des Lumières » : des idées nouvelles se répandent, diffusées et promues par des philosophes tels que Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau. La France et l'Europe sortent progressivement de l'obscurantisme religieux, grâce aux « lumières » de la raison. La monarchie absolue est de plus en plus remise en cause, et certaines voix réclament déjà la tolérance religieuse, les libertés d'expression et de pensée, la remise en cause des privilèges, ce qui conduira à la Révolution française de 1789.
C'est au cours du XVIIIe siècle que la bourgeoisie accède peu à peu aux sphères des finances et de la justice. L'essor de la bourgeoisie s'accompagne d'un goût accru pour la littérature narrative critiquant l'ordre établi et analysant les réalités sociales, et en particulier pour le roman, qui offre une place privilégiée à l'individu.
Ce siècle est également le siècle du libertinage. Sous la Régence de Philippe d'Orléans, les mœurs se libèrent, le libertinage devient un jeu galant à la mode, et la séduction apparaît comme une arme, un moyen de réussir. Sous le règne de Louis XV, le libertinage est moralement condamné, mais les libertins conservent leur mode de vie.
Enfin, un retour à la sensibilité annonçant le romantisme se dessine dès le milieu du XVIIIe siècle. Le public s'émeut pour la littérature dite sensible et en particulier pour le genre du roman, qui donne la parole à des personnages animés par des sentiments passionnés et vertueux.
Depuis le XVIIe siècle, le roman subit de nombreuses critiques de la part des gens de lettres et des moralistes. Il est considéré comme un genre bas, vulgaire, destiné à un public peu cultivé et plutôt féminin. On lui adresse les reproches suivants :
- Immoralité : l'amour est souvent le sujet principal des romans et l'on craint que leur lecture ne puisse corrompre les mœurs des jeunes gens influençables.
- Invraisemblance : le roman, même lorsqu'il s'inscrit dans un cadre prétendument historique, demeure une fiction, et par là même il s'éloigne de la réalité ; de plus, il relate des péripéties jugées parfois invraisemblables.
Les romanciers du XVIIIe siècle s'efforcent de répondre à ces critiques :
- Ils donnent à leurs récits une visée édifiante : les mésaventures de leurs personnages sont supposées constituer une leçon pour le lecteur et le mettre en garde contre les conséquences de la malhonnêteté ou du manque de vertu.
- Ils explorent des formes nouvelles pour s'éloigner en apparence de la fiction et donner l'illusion de l'authenticité : le roman-mémoires, dans lequel un personnage relate sa propre destinée, supposée réelle (bien que fictive évidemment) ; le roman épistolaire, constitué d'un échange de lettres, présentées comme réelles, entre plusieurs personnages.
Ces formes romanesques permettent au personnage de s'exprimer à la 1re personne du singulier, ce qui produit une impression de spontanéité et donne plus de place à la subjectivité et à la sensibilité. Le personnage n'est plus un héros stéréotypé et idéalisé mais un individu dont la psychologie est de plus en plus individualisée et complexe.
Manon Lescaut (1731) de l'abbé Prévost se présente comme un roman-mémoires : le chevalier Des Grieux raconte sa vie romanesque et tragique. Le personnage-narrateur semble confier au lecteur ses malheurs, notamment sa passion tragique pour Manon, qui lui fait connaître la jalousie, la misère et l'exil.
« Il [le public] verra, dans la conduite de M. des Grieux, un exemple terrible de la force des passions. […] L'ouvrage entier est un traité de morale. »
L'abbé Prévost
« Avis de l'auteur », Manon Lescaut
1731
Les Liaisons dangereuses (1782) de Laclos sont un roman épistolaire dans lequel des libertins échangent des lettres, se racontant leurs conquêtes amoureuses. Le lecteur entre ainsi dans l'intimité de ces personnages machiavéliques et manipulateurs, ce qui crée une complicité ambiguë.
Le XIXe siècle : l'âge d'or du roman
Le XIXe siècle est troublé sur le plan politique : les régimes se succèdent, renversés par plusieurs mouvements révolutionnaires (1830, 1848) ; les idées républicaines et progressistes s'imposent peu à peu. On assiste à la naissance de la bourgeoisie et au développement de l'industrie. Ces thématiques se retrouvent dans la littérature et notamment dans les mouvements qui naissent : le romantisme, le réalisme et le naturalisme.
Le romantisme
Le XIXe siècle voit la naissance du romantisme, dont Victor Hugo est le chef de file au théâtre et en poésie. En littérature, Alfred de Musset ou encore Alexandre Dumas s'imposent.
Au cours de la période romantique se développe le « roman du moi » : écrit à la 1re personne, souvent inspiré du vécu de l'auteur donc en partie autobiographique, ce type de récit explore le cœur humain en exposant la vie sentimentale du personnage-narrateur.
Dans La Confession d'un enfant du siècle (1836), Musset transpose sa liaison amoureuse avec George Sand, mais le récit est fictionnel et les personnages sont inventés.
Inspirés par la vogue du roman populaire, de grands écrivains romantiques écrivent des romans d'aventures et des romans historiques qui connaissent un grand succès. L'intrigue, qui multiplie les péripéties, les analepses et les récits enchâssés, est menée par le narrateur avec un sens aigu du suspens et de la dramatisation de chapitre en chapitre.
Avec Les Trois Mousquetaires (1844), Alexandre Dumas écrit à la fois un roman d'aventures et un roman historique. L'action se passe au XVIIe siècle et met en scène des mousquetaires du roi Louis XIII. Le récit de leurs combats et aventures est mené tambour battant par un narrateur habile à produire des effets de dramatisation.
Le réalisme
Se détournant de l'idéalisme romantique, certains écrivains ambitionnent de donner au roman une visée réaliste. Ces romanciers s'inspirent souvent de faits divers réels relatés dans la presse, se documentent de manière scrupuleuse avant d'écrire pour donner à leur roman un caractère documentaire. Stendhal, Balzac et Flaubert font partie du mouvement réaliste.
Conçu dès lors comme une image fidèle de la réalité, le roman réaliste se présente comme une analyse de la société contemporaine. Le personnage, de plus en plus individualisé et souvent assez commun (socialement et moralement), incarne les aspirations et frustrations de la bourgeoisie montante.
Dans ses romans, Stendhal relate la vie de ses personnages à la manière d'une chronique, s'intéressant particulièrement aux « petits faits vrais », aux anecdotes qui donnent un caractère authentique au récit. Ses personnages, des jeunes hommes idéalistes et ambitieux, sont, malgré eux, tantôt lâches, tantôt médiocres.
Dans Le Rouge et le Noir (1830), Stendhal relate le parcours de Julien Sorel, jeune homme de condition sociale modeste qui parvient à gravir les échelons de la société, jusqu'à ce qu'un drame sentimental mette fin à son ascension.
« Un roman : c'est un miroir qu'on promène le long d'un chemin. »
Stendhal
Le Rouge et le Noir
1830
Balzac entreprend une œuvre monumentale, La Comédie humaine, à laquelle il consacre plus de vingt ans de sa vie (1829-1850). Composée de 95 romans, nouvelles et traités, cette œuvre offre un tableau global et une analyse de la « comédie » sociale de son époque.
Les romans de La Comédie humaine se caractérisent par :
- l'importance de la description (lieux, personnages, etc.) ;
- la construction de types humains ;
- le système de retour des personnages d'un roman à l'autre ;
- l'observation et l'analyse de la société.
« La société française allait être l'historien, je ne devais être que le secrétaire. »
Honoré de Balzac
avant-propos de La Comédie humaine
1842
Dans Le Père Goriot (1835), Eugène de Rastignac, un jeune homme récemment installé à Paris, rencontre divers personnages dans la pension où il séjourne, parmi lesquels le Père Goriot, abandonné par ses filles pour qui il a tout sacrifié et Vautrin, un ancien bagnard malhonnête et cynique. À leurs côtés, il découvre les dessous de la société.
L'œuvre de Gustave Flaubert s'inscrit dans le projet réaliste, mais, contrairement à ses prédécesseurs, il cherche à atteindre un réalisme objectif, qui implique l'impassibilité de l'auteur. Alors que dans les romans de Stendhal et Balzac le narrateur intervenait et manifestait sa subjectivité, dans ceux de Flaubert le narrateur demeure apparemment absent et neutre.
Dans Madame Bovary (1857), Flaubert relate la destinée d'Emma, une jeune femme sentimentale et idéaliste, qui épouse un médecin de village auprès duquel elle s'ennuie ferme. Avide de passion amoureuse, elle a des amants, en dépit de la morale de l'époque. Ses amours malheureuses la mèneront à une issue tragique. Le roman fait scandale et donne lieu à un célèbre procès pour « outrage à la morale » : c'est moins l'adultère en soi que l'absence de jugement désapprobateur du narrateur qui heurte la morale.
« L'auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l'Univers, présent partout, et visible nulle part. »
Gustave Flaubert
Correspondance
1852
Le naturalisme
Les naturalistes poursuivent l'ambition des réalistes et la dépassent en assignant au roman une vocation scientifique : le « roman expérimental », comme le décrit Zola, le chef de file du naturalisme, est supposé illustrer les théories scientifiques, en matière d'hérédité notamment, et en fournir une expérimentation. Les naturalistes choisissent certains de leurs personnages dans les couches les plus basses de la société : ouvriers, paysans et prostituées accèdent ainsi au rang de personnages littéraires. Maupassant est un auteur important de ce mouvement.
Émile Zola s'inspire du projet de Balzac avec la série des Rougon-Macquart, qui comporte une vingtaine de romans. Tous les personnages principaux appartiennent à une seule et même famille, issue d'une aïeule commune : la tante Dide, morte folle. La famille se divise en deux branches :
- les Rougon (issus du mariage de la tante Dide) qui pour la plupart s'élèvent dans la société ;
- les Macquart (issus de l'union de la tante Dide devenue veuve avec un braconnier malhonnête et alcoolique) qui tombent dans la débauche et le crime.
La folie de la tante Dide se transmet de génération en génération, sous des formes diverses, aggravée par l'alcoolisme (supposé héréditaire) de son second conjoint.
L'ensemble de cette famille permet à Zola de dresser un portrait global de la société de son temps, en représentant toutes les classes sociales et toutes les situations.
Le protagoniste de La Bête humaine (1890), Jacques Lantier, appartient à la branche des Macquart. La tare héréditaire familiale se manifeste chez lui par des pulsions meurtrières incontrôlables, qu'il tente d'oublier en se consacrant à son métier de cheminot. Mais le moindre contact avec une femme désirable fait ressurgir ces pulsions. Le roman constitue à la fois une peinture fidèle du milieu des ouvriers de chemin de fer et une analyse de la folie héréditaire.
L'œuvre romanesque de Maupassant est très influencée à la fois par la fréquentation de Flaubert, qui a été son mentor, et par les théories de Zola, dont il est le contemporain. L'influence des milieux, notamment, constitue l'une des lignes de force de ses intrigues.
Bel-Ami (1885) de Maupassant raconte la destinée de Georges Duroy, un jeune homme dévoré par l'ambition, issu du milieu paysan. Avec pour seuls atouts sa belle figure, son arrogance et son absence de scrupules, il parvient à s'élever dans la société, grâce à l'appui des femmes qu'il séduit et manipule.
« Les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes. »
Guy de Maupassant
« Le Roman » (préface de Pierre et Jean)
1887
Le roman au XXe siècle : du renouvellement à l'ère du soupçon
Depuis le XIXe siècle, le roman a conquis une suprématie littéraire qui n'a fait que se confirmer au XXe siècle. La production romanesque est extrêmement vaste et variée, s'adressant à un lectorat de plus en plus large et diversifié. L'époque n'est plus aux mouvements littéraires et aux groupes, mais plutôt à l'individualisme, si bien que les œuvres romanesques paraissent très distinctes les unes des autres, sans qu'aucune tendance nettement marquée ni aucune théorie commune (hormis celle du nouveau roman dans les années 1950-1960) ne vienne clairement unifier l'ensemble de cette production.
Le roman de 1900 à 1950
Indissociable du genre romanesque depuis le XIXe siècle, le réalisme est remis en question. La réalité n'est plus conçue comme extérieure à l'homme, mais comme perçue par l'homme, ce qui implique que le monde ne puisse être connu que de manière personnelle et subjective. Ainsi la démarche réaliste paraît-elle vaine.
Le personnage, jusqu'alors saisi comme un individu à l'identité stable, matérialisée par un « il » qui l'englobait, laisse place à un « je » instable et mouvant. L'objet du roman, pris en charge par une voix subjective, devient la trajectoire d'une conscience en construction, à l'intérieur de laquelle le lecteur est projeté.
« La littérature qui se contente de « décrire les choses », d'en donner seulement un misérable relevé de lignes et de surfaces, est celle qui, tout en s'appelant réaliste, est la plus éloignée de la réalité. »
Marcel Proust
Le Temps retrouvé
1927
Marcel Proust s'attache dans son œuvre romanesque, À la recherche du temps perdu (7 tomes, publiés de 1913 à 1927), à rendre compte de la vie intérieure de son narrateur-personnage, de son rapport au monde, au temps, à l'écriture. La structure circulaire de l'œuvre, les effets d'échos, de symétries et de contrastes, les nombreuses analepses et prolepses, renouvellent en profondeur le genre romanesque jusqu'alors caractérisé par la linéarité du récit.
Dans le premier tome d'À la recherche du temps perdu de Proust, Du côté de chez Swann (1913), le narrateur-personnage cherche à retrouver le temps passé, qu'il lui semble revivre un instant en goûtant une madeleine trempée dans du thé. Ressurgissent alors des souvenirs d'enfance restitués par une écriture poétique et sensorielle.
Dans l'œuvre romanesque de Louis-Ferdinand Céline, le monde est perçu à travers le prisme d'une conscience meurtrie par la guerre et la cruauté des hommes. Ses romans donnent à entendre la voix d'un narrateur-personnage, dans une oralité qui emprunte souvent à la langue populaire, tout en présentant une très grande musicalité.
Dans Voyage au bout de la nuit (1932) de Céline, le narrateur-personnage, Bardamu, raconte son expérience de la guerre des tranchées, ses voyages (en Afrique, en Amérique), puis sa vie de médecin des pauvres en banlieue parisienne. Ce parcours, qui l'amène à voir la misère mais aussi la noirceur intérieure des hommes, apparaît comme un long « voyage au bout de la nuit », à la fois comique, épique et tragique.
À partir des années 1930 et plus encore dans les années 1940, en raison de la montée du fascisme d'une part et de l'idéologie communiste d'autre part, puis de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation, le roman devient le support didactique d'une réflexion politique, idéologique voire philosophique. Les « romans à thèse » explorent les questions de la liberté, de l'engagement, de la conscience morale et de la responsabilité.
Dans La Condition humaine (1933) d'André Malraux, les protagonistes, des révolutionnaires communistes chinois, organisent une insurrection. Leur combat les amène à tuer, à envisager l'attentat-suicide, à débattre des moyens à employer pour défendre une cause qui leur paraît juste.
Toutefois, dans ce monde en perte de sens, la notion de héros se délite et se décompose. Loin d'être un surhomme, le personnage de roman devient un individu moyen voire médiocre, parfois même anonyme, et sa trajectoire n'a de sens ni pour lui-même ni pour le lecteur.
Dans L'Étranger (1942) d'Albert Camus, Meursault, le narrateur-personnage, est un homme sans qualités particulières, un individu moyen, dont l'identité ne paraît pas fixée. Cet être sans affect apparent n'est pas véritablement engagé dans sa vie et ne saisit ses propres actes que de l'extérieur, comme s'il n'en était pas maître. Il semble ainsi irrémédiablement « étranger » à lui-même, au monde, aux autres et par conséquent au lecteur.
Le nouveau roman (1950-1970)
Dans un monde qui a basculé, dans un contexte de crise du sujet, le roman se remet lui-même en question : c'est l'« ère du soupçon » (titre d'un essai de Nathalie Sarraute).
Les « nouveaux romanciers » (Robbe-Grillet, Butor, Sarraute) déconstruisent toutes les « notions périmées » sur lesquelles repose le roman selon eux. Ils contestent ainsi :
- l'omniscience du narrateur ;
- la linéarité chronologique ;
- le réalisme ;
- les notions de personnage et d'intrigue ;
- l'analyse psychologique.
« Il s'agit désormais d'autre chose. Raconter est devenu proprement impossible. »
Alain Robbe-Grillet
Pour un nouveau roman
© Éditions de Minuit, 1963
« Non seulement le romancier ne croit plus guère à ses personnages, mais le lecteur de son côté, n'arrive plus à y croire. Aussi voit-on le personnage de roman, privé de ce double soutien, la foi en lui du romancier et du lecteur, […] vaciller et se défaire. »
Nathalie Sarraute
L'Ère du soupçon
© Gallimard, coll. Les Essais, 1956
Marguerite Duras, proche du nouveau roman sans pour autant appartenir à ce groupe, publie Le Ravissement de Lol V. Stein (1964). Dans ce roman, le narrateur reconnaît volontiers le caractère lacunaire et le manque de fiabilité des informations dont il dispose sur Lol, personnage mystérieux et insaisissable. Le récit se construit sur une succession de scènes qui se font écho, dans un jeu de répétitions-variations.
Le roman depuis 1980
Après le nouveau roman qui a fait table rase de tous les fondements du genre, le roman se reconstruit difficilement. S'il est difficile de dégager les tendances de la littérature contemporaine, faute de recul, on voit toutefois se dessiner quelques lignes de force.
Certains romanciers (Modiano, Quignard, Echenoz), héritiers du nouveau roman, écrivent des romans dont l'intrigue est extrêmement minimaliste voire fragmentaire, et dont les personnages paraissent difficiles à saisir, tant leur identité est floue ou indéfinie. Le récit est miné par l'ironie permanente du narrateur ou ses réticences à raconter.
Jean Echenoz raconte dans Je m'en vais (1999) l'histoire d'un homme qui quitte tout pour se lancer dans l'aventure. Ses tribulations diverses le ramèneront au bout d'un an au point exact d'où il était parti. Dans ce roman aux allures de polar mais exempt de tension, le narrateur joue avec les attentes du lecteur et se distancie sans cesse de son personnage, qu'il semble observer de l'extérieur.
Au contraire, d'autres romanciers (Gaudé, Kerangal, Claudel) semblent renouer avec le plaisir de raconter, d'inventer des personnages et des intrigues romanesques, de ménager des effets d'attente et de tension dramatique, tout en adoptant des modalités narratives nouvelles, parfois inspirées par le cinéma.
Le roman de Laurent Gaudé intitulé La Mort du roi Tsongor (2002) situe son action dans une Afrique antique légendaire. L'intrigue se noue autour d'une guerre fratricide et réunit tous les ingrédients d'un romanesque efficace (tension dramatique, scènes de combat, passions tragiques), dans une écriture qui retrouve le souffle de l'épopée antique.
Enfin, le roman s'oriente également vers l'écriture de soi, dans des récits mêlant fiction et autobiographie, à des degrés divers, et à travers des formes très variées.
L'œuvre d'Annie Ernaux illustre cette mixité entre romanesque et écriture de soi. Dans La Femme gelée (1981), elle relate sa jeunesse et sa vie de femme mariée, dans un récit où anecdotes autobiographiques et transposition romanesque fusionnent sans qu'il soit clairement possible de les distinguer.