Sommaire
IAvant le roman moderne : les récits de l'Antiquité au XVIe siècleALes récits antiquesBLe renouveau médiévalCAux XVe et XVIe siècles, un genre en gestationIILe roman aux XVIIe et XVIIIe siècles : un genre mineurAAu XVIIe siècle : d'un monde idéal au monde réelBAu XVIIIe siècle : le lieu d'une édification morale ?IIILe XIXe siècle, âge d'or du romanIVLe XXe et le XXIe siècles, vers une nouvelle définition du genreAvant le roman moderne : les récits de l'Antiquité au XVIe siècle
Les récits antiques
Le roman, tel qu'il se définit communément aujourd'hui, n'apparaît qu'au cours du XVIIe siècle. Mais, dès l'Antiquité, l'apparition de récits prépare sa naissance.
Ainsi, plusieurs auteurs se consacrent à la rédaction d'épopées. Ces récits mettent en scène des personnages mythiques, qui agissent héroïquement et vivent des aventures extraordinaires.
Au Ier siècle après Jésus-Christ, le poète Virgile compose l'Énéide, qui raconte comment le prince troyen Énée fuit sa ville mise à sac par les Grecs et erre sur la Méditerranée avant de fonder en Italie la ville d'Albe.
Ces récits ne sont pas encore composés en français. En effet, la langue française n'apparaît qu'au Moyen Âge. Toutefois, ces textes antiques sont bien connus des auteurs modernes, qui lisent parfois le latin, l'hébreu et le grec ou bénéficient d'un exemplaire traduit, le plus souvent en italien.
Le renouveau médiéval
À sa naissance au Xe siècle, la littérature en langue française propose très vite des récits de personnages illustres, les saints. Ces écrits sont en langue romane, une langue issue de déformations progressives de la langue latine. En effet, en Gaulle, on parle le latin depuis l'invasion par Jules César. Mais avec les années, cette langue a subi de nombreuses transformations.
Le roman tient son nom de la langue romane dans laquelle il est écrit.
Le Roman de Thèbes, écrit par un anonyme, est un récit en langue romane. C'est un roman écrit en vers. En effet, l'utilisation systématique de la prose pour écrire des romans n'arrive que bien plus tard.
Au XIIe siècle, un auteur anonyme écrit la Chanson de Roland, l'une des plus célèbres chansons de geste.
On nomme ce récit "chanson de geste", car il est en vers, psalmodié par les troubadours auprès des seigneurs qui leur payent leurs prestations. Ces récits relatent les hauts faits des héros, que l'on nomme gesta en latin et que l'on peut traduire par "geste".
La Chanson de Roland, célèbre chanson de geste du XIIe siècle, raconte, en vers, les exploits guerriers et la mort du chevalier Roland, neveu de Charlemagne.
Ensuite, on se met à traduire des textes latins. La littérature française commence donc par retranscrire des épopées en langue romane. Il s'agit de récits des hauts faits de personnages appartenant à la littérature gréco-latine.
Toutefois, certains personnages de roman commencent à montrer quelques faiblesses. Le roman se détache de l'épopée.
Dans Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, le chevalier éponyme porte assistance aux nécessiteux, en particulier des jeunes femmes. Mais son errance a été provoquée par un manquement à sa parole : il n'a pas respecté une promesse envers son épouse.
De ces romans médiévaux, le roman moderne conserve les caractéristiques imparfaites des personnages.
Aux XVe et XVIe siècles, un genre en gestation
Entre la fin du Moyen Âge et le XVIIe siècle, le roman est considéré comme un genre mineur, trop convenu. La mode des récits de chevaliers est passée, elle appartient à un autre temps.
À partir du XVe siècle, le roman se fait alors décalé, comique : il se moque des récits qui se prennent au sérieux.
Don Quichotte de Cervantès raconte l'histoire d'un homme qui prend ses lectures pour une réalité. Persuadé d'être un chevalier, il erre sur les routes afin de combattre des ennemis qui s'avèrent imaginaires, comme dans le célèbre épisode des moulins à vent.
En ce moment, ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu'il y a dans cette plaine, et, dès que Don Quichotte les vit, il dit à son écuyer : "La fortune conduit nos affaires mieux que ne pourrait y réussir notre désir même. Regarde, ami Sancho, voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant qu'ils sont."
Miguel de Cervantes
L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, (El ingenioso hidalgo don Quixote de la Mancha), trad. Aline Schulman, Paris, éd. Seuil, coll. Points (2001)
1605-1615
Cette citation permet de montrer le ridicule de Don Quichotte. Ce personnage sympathique, aux intentions héroïques, n'est qu'un homme qui a perdu la raison et qui prend des moulins pour des géants.
Au XVIe siècle, d'autres romanciers se servent du roman pour parodier la littérature et faire réfléchir sur la société de leur temps.
Gargantua de François Rabelais raconte les aventures d'un groupe de géants et de leurs vassaux. Mais derrière ces personnages grotesques se cache une critique de la société française de l’époque. On peut notamment y lire une proposition pour une autre société possible, dans les chapitres consacrés à l'abbaye de Thélème.
Le roman aux XVIIe et XVIIIe siècles : un genre mineur
Au XVIIe siècle : d'un monde idéal au monde réel
Au début du XVIIe siècle, le genre se fait d'abord mystérieux avec l'apparition du roman pastoral. Quelques auteurs baroques comme Honoré d'Urfé proposent des récits merveilleux dans lesquels des personnages appartenant à la mythologie vivent des successions de péripéties sans lien apparent. Ces romans-fleuves proposent aux initiés une réflexion spirituelle sur l'amour, la foi, la vie. Mais les lecteurs passionnés sont peu nombreux et le genre est rapidement critiqué.
Dans L'Astrée d'Honoré d'Urfé, au cœur d'une forêt magique, des bergers et des bergères se trouvent séparés les uns des autres dès le début du roman. Chacun cherche à retrouver la personne qui occupe ses pensées.
Les détracteurs du roman assurent que c'est un genre réservé au public féminin.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le roman revient sur le devant de la scène littéraire, grâce à la littérature baroque puis classique. Quelques auteurs se font remarquer pour la beauté de leur écriture et la force avec laquelle ils racontent le destin de leurs personnages.
L'héroïne de la La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette est un modèle de vertu. Bien qu'amoureuse du duc de Nemours qui l'aime en retour, elle résiste à son désir pour lui. Elle veut rester fidèle à son mari. À la mort de ce dernier, elle refuse toujours de céder au duc, car elle se sent coupable, mais aussi parce qu'elle veut garder leur amour pur.
Au XVIIIe siècle : le lieu d'une édification morale ?
Au XVIIIe siècle, le roman reste un genre mineur. Plusieurs auteurs continuent néanmoins à publier des romans. Ceux-ci ont souvent pour objectif l’édification morale par le contre-exemple de destins malheureux.
Dans Manon Lescaut de l'abbé Prévost, le narrateur raconte sa passion malheureuse pour une jeune libertine. C'est un roman moral qui condamne le libertinage et les femmes de petite vertu.
Mais certains auteurs se servent également de cette excuse pour mettre en scène des récits moralement discutables : la mode est au roman libertin.
Dans Les Égarements du cœur et de l'esprit de Crébillon fils, un jeune homme cherche à séduire la meilleure amie de sa mère et finit par arriver à ses fins. La morale est discutable : le narrateur en vient à affirmer que rien n'est impossible à un jeune homme entreprenant. En aucun cas ce roman ne dénonce ses actions.
Le temps est également aux explorations formelles. La mode est aux formes de récit qui s'éloignent de la forme de la prose traditionnelle. On publie :
- Des romans épistolaires comme Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos ou les Lettres persanes de Montesquieu
- Des journaux intimes fictifs, comme celui inséré dans le roman épistolaire des Lettres de Milady Juliette Catesby de Marie-Jeanne Riccoboni.
Mais ces formes restent marginales. Le récit long, monophonique et en prose reste dominant.
Le XIXe siècle, âge d'or du roman
C'est définitivement au XIXe siècle que se fixe la définition traditionnelle du roman.
Roman
Le roman est un genre littéraire qui désigne un récit fictif plus ou moins long rédigé en prose. Il présente comme réels des personnages fictifs et les fait vivre dans un cadre spatio-temporel précis. Il les décrit, montre leur psychologie et relate leurs aventures.
Le Rouge et le Noir est un roman de Stendhal.
À l'issue de la Révolution française, la société est bouleversée. Les auteurs se mettent à décrire la société contemporaine. L'idéalisation est reléguée à la poésie et au théâtre. Le roman se met au service du peuple, défend les plus démunis, condamne les injustices.
Dans Les Misérables, Victor Hugo dresse le portrait de différents personnages appartenant à toutes les couches sociales de la société : des miséreux comme les Thénardier, des nantis à l'image de l’évêque de Digne, des hommes de bien et des tristes sires.
Très vite, le romantisme cède la place au mouvement réaliste. Les romanciers se mettent à observer l'organisation sociale de plus près, pour en dénoncer les difficultés, les injustices.
Dans Le Père Goriot, Honoré de Balzac raconte les destins contraires de deux hommes qui vivent l'un et l'autre dans une même pension de famille. Tandis que le jeune et ambitieux Eugène de Rastignac évolue chaque jour un peu plus dans le grand monde, il assiste à la déchéance de son voisin, le vieux Père Goriot, qui se sacrifie pour fournir à ses deux filles tout le luxe qu'elles réclament.
Beaucoup de ces romans sont inspirés de faits divers.
Le Rouge et le Noir de Stendhal est inspiré d'un fait divers survenu dans la région de Grenoble : un jeune homme, éconduit par sa maîtresse, une femme mariée, la tue un dimanche à l’église. Il est condamné à mort.
À la fin du siècle, les romanciers deviennent convaincus que le roman peut non seulement décrire et critiquer des faits ayant existé, mais qu'il peut aussi se faire un terrain d'expérimentation. Pour Émile Zola et les auteurs naturalistes, il est possible de construire un roman de sorte de placer les personnages dans des situations qui permettront au lecteur d'observer leurs réactions, leurs choix. Par ailleurs, les naturalistes veulent montrer le bien-fondé des découvertes sociales et médicales de certains scientifiques de leur temps comme la génétique.
Dans son cycle des Rougon-Macquart, Émile Zola trace le destin d'une famille à double descendance. D'un côté, les Rougon, la partie bourgeoise de la famille, qui, malgré quelques épisodes difficiles, s'en sort financièrement et socialement, mais selon des principes qui peuvent être jugés immoraux. L'autre partie de la famille, les Macquart, de condition sociale plus humble et dont tous les membres sombrent plus ou moins dans l'alcoolisme, tombent les uns après les autres dans la déchéance.
Ces romans s'intéressent davantage à des destins individuels. Ils détaillent le quotidien, le trivial, afin de mieux dénoncer les injustices.
Dans Pot-Bouille, Émile Zola décrit avec beaucoup de détails toutes les étapes de l'accouchement d'Adèle.
C'étaient heureusement des couches superbes, une présentation franche du crâne. Par moments, la tête qui sortait, semblait vouloir rentrer, repoussée par l'élasticité des tissus, tendus à se rompre ; et des crampes atroces l'étreignaient à chaque reprise du travail, les grandes douleurs la bouclaient d'une ceinture de fer. Enfin, les os crièrent, tout lui parut se casser, elle eut la sensation épouvantée que son derrière et son devant éclataient, n'étaient plus qu'un trou par lequel coulait sa vie ; et l'enfant roula sur le lit, entre ses cuisses, au milieu d'une mare d'excréments et de glaires sanguinolentes.
Émile Zola
Pot-Bouille, Paris, éd. Charpentier
1882
Dans cet extrait, Zola n'hésite pas à décrire de manière très crue les réalités d'un accouchement. Il ne tait aucun détail, pas même les plus ragoûtants. Il s'agit de l'une des caractéristiques du mouvement naturaliste.
Le XXe et le XXIe siècles, vers une nouvelle définition du genre
Le roman de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle est donc centré autour du destin de différents personnages. Mais la Première Guerre mondiale et des découvertes scientifiques viennent renouveler cette conception du roman.
L'apparition de la psychanalyse et les recherches sur le cerveau viennent contredire les théories de l'eugénisme. On comprend que l'être humain n'est pas uniquement explicable par son patrimoine génétique. Sa culture et son passé influencent son être. On découvre également que l'esprit humain présente une part d'ombre, qu'il est parfois difficile à analyser.
Dans ce contexte, les romans se font plus sombres, plus mystérieux. Les personnages antipathiques se multiplient.
Dans Un amour de Swann, Marcel Proust raconte le dépit amoureux du héros, face à l'infidélité de sa fiancée Odette de Crécy.
Par ailleurs, l'actualité du début du XXe siècle est violente : entre les horreurs du front, les débordements du colonialisme et les crises financières qui réduisent des populations entières à la misère, les romans s'interrogent de plus en plus sur la société.
Dans Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, le narrateur décrit tour à tour le front, les colonies et les usines américaines. Les personnages évoqués semblent réduits à subir un monde qui les agresse.
L'univers romanesque va même jusqu'à se faire absurde.
Dans Le Procès de Franz Kafka, publié en 1925, le héros se voit intenter un procès dont il ne connaît pas le chef d'accusation. L'histoire se déroule dans une ville labyrinthique, incohérente.
La Seconde Guerre mondiale est un nouveau traumatisme qui achève de détruire la définition traditionnelle du roman. Le roman présente des consciences obscures, qui proposent un regard fragmenté sur le monde. Le nouveau roman supprime peu à peu la cohérence narrative :
- Le personnage disparaît, au profit d'êtres évoqués de manière floue, confuse, incomplète.
- Le cadre spatio-temporel est parfois dépourvu de références ou de cohérence.
- Les événements ne présentent plus tout à fait une chronologie organisée.
Dans Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet, le narrateur suit l'enquête menée par le personnage central, Wallas. Ce dernier recherche l'assassin d'un certain Daniel Dupont. Mais le cadre spatio-temporel est protéiforme : sa mémoire lui joue des tours, il ne reconnaît pas la ville où, enfant, il était venu voir son père. Le récit présente de nombreuses énigmes, par exemple la raison pour laquelle Wallas recherche une gomme bien spécifique. Aucune règle du roman traditionnel n'est respectée.
Le narrateur se fait plus fantaisiste, parfois plus poétique dans sa langue.
Dans Zazie dans le métro, publié en 1959, Raymond Queneau emploie une langue poétique, alliant un registre soutenu, pourvu de nombreuses images, et une langue plus prosaïque, à la fois populaire et amusante.
L'être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir tant fait l'homme qu'à la fin il disparaît. Un taxi l'emmène, un métro l'emporte, la tour n'y prend garde, ni le Panthéon. Paris n'est qu'un songe, Gabriel n'est qu'un rêve (charmant), Zazie le songe d'un rêve (ou d'un cauchemar) et toute cette histoire le songe d'un songe, le rêve d'un rêve, à peine plus qu'un délire tapé à la machine par un romancier idiot ( oh ! pardon)...
Raymond Queneau
Zazie dans le métro, Paris, éd. Gallimard
1959
Dans cet extrait où Gabriel rêve tout en haut de la tour Eiffel, le monologue intérieur de ce personnage vire à la prose poétique de par son rythme et ses allusions (La vie est un songe de Calderón, "La Laitière et le Pot au lait" de Jean de La Fontaine). Mais cette errance lyrique retombe finalement, lorsque le personnage traite son créateur d'idiot.
Ainsi, le roman s'est libéré peu à peu de toutes les contraintes formelles et emprunte de plus en plus à d'autres genres littéraires, voire artistiques. Le roman est devenu le terrain de toutes les expérimentations.