Sommaire
IParcours : réflexions sur « Alchimie poétique : la boue et l'or »IIL'auteur : Charles Baudelaire (1821-1867)IIIL'œuvre : Les Fleurs du Mal, 1857 (1re édition) ; 1861 (2e édition)IVTextes-clésA« L'Albatros », 1861B« Une charogne », 1857C« À une mendiante rousse », 1857Parcours : réflexions sur « Alchimie poétique : la boue et l'or »
L'alchimie est une science du Moyen Âge, tandis que l'expression « boue et or » est un extrait d'un poème de Baudelaire. Le parcours invite à réfléchir sur une idée importante pour Baudelaire et de nombreux poètes du XIXe siècle : comment créer de la beauté à partir de la laideur.
L'alchimie est une science ésotérique qui s'est développée au Moyen Âge. Le processus a pour but de percer les secrets de la matière pour transformer un métal vil en métal précieux. Dans une perspective métaphorique, l'alchimie permet au poète de déchiffrer les secrets de l'Univers grâce au pouvoir des mots et du langage.
La deuxième partie de l'intitulé du parcours « la boue et l'or » vient d'un vers de Baudelaire. En 1857, il écrit dans l'esquisse d'un poème : « J'ai pétri de la boue et j'en ai fait de l'or » (« Orgueil », Les Fleurs du Mal). Puis, dans un projet d'épilogue pour la deuxième édition du recueil Les Fleurs du Mal en 1861, le poète s'adresse ainsi à Paris : « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or ».
Transformer d'ignobles déchets en métal précieux, tel est l'ambition du poète : « Il m'a paru plaisant, et d'autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d'extraire la beauté du Mal. » (projet de préface pour la deuxième édition des Fleurs du Mal). Baudelaire s'intéresse au mal sous toutes ses formes :
- le mal moral car le vice et le sadisme hantent les hommes ;
- le mal physique car le corps et les nerfs du poète souffrent des douleurs insupportables ;
- le mal métaphysique car l'âme est angoissée par l'absence de Dieu mais elle est pourtant assaillie par le tourment du péché.
Pour métamorphoser cette boue en or, Baudelaire en fait un sujet de poésie. La sensibilité du poète et sa volonté créatrice l'amènent à porter un nouveau regard sur les objets les plus abjects.
L'intitulé du parcours invite à se poser diverses questions :
- Faire œuvre de création, est-ce porter un nouveau regard sur un sujet ?
- Comment la voix du poète invite-t-elle le lecteur à porter un nouveau regard sur un sujet ?
- Y a-t-il une beauté propre au mal ?
- Comment la métaphore de la boue et de l'or explique-t-elle le principe de création poétique ?
L'auteur : Charles Baudelaire (1821-1867)
Charles Baudelaire est né en 1821 et mort en 1867. C'est un poète à part, inclassable : il peut à la fois être associé au romantisme, au Parnasse ou au symbolisme. Son recueil Les Fleurs du Mal a eu un fort retentissement au moment de sa publication.
Après une jeunesse tumultueuse, marquée par la mort de son père et le remariage de sa mère avec un homme pour lequel Baudelaire n'a guère d'affection, le poète dilapide l'héritage familial en menant une vie de bohème à Paris. Il fréquente les cercles littéraires, lit beaucoup et devient disciple de Théophile Gautier. Sa famille décide de le mettre sous tutelle pour l'arracher à cette vie qu'elle juge scandaleuse. Baudelaire est donc condamné à une existence miséreuse. Il rencontre le peintre Manet et se consacre à la critique d'art. Il découvre également Edgar Allan Poe, écrivain américain alcoolique et indigent, et entreprend de traduire ses œuvres. Comme Poe, Baudelaire préfère rester en marge de la société. Il rejoint ainsi les nombreux artistes qui refusent d'adhérer aux valeurs d'une société bourgeoise et conformiste.
Sous le Second Empire (1851-1870), époque du règne de Napoléon III, le gouvernement impose un retour à l'ordre moral. Le recueil des Fleurs du Mal paraît en juin 1857. Les critiques à son propos sont élogieuses mais le procureur impérial intente un procès à Baudelaire. Ce procès contribue à la malédiction baudelairienne : le poète se sent humilié et incompris. Le procureur, M. Pinard, incrimine treize poèmes du recueil. Ces pièces sont accusées d'outrage aux bonnes mœurs, à la morale religieuse et à la morale publique. Pour les magistrats, parler du corps, de nudité, de volupté, de sexualité et d'homosexualité est condamnable. Les Fleurs du Mal sont considérées comme un livre dangereux. Le poète est condamné à payer une lourde amende et doit retirer six poèmes de son recueil s'il veut le faire paraître. Le texte est modifié et réédité en 1861. Il faut attendre 1949 pour que sa version intégrale soit enfin autorisée.
Dès 1855, Baudelaire commence à rédiger un nouveau recueil : Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris. Il prévoit d'écrire cent poèmes mais n'en rédige que cinquante. En effet, la fin de sa vie est marquée par la maladie. Atteint de syphilis, il meurt en 1867. Son dernier recueil est publié à titre posthume en 1869. En 1897 sont également publiées les notes, pensées et anecdotes de l'auteur sous le titre Mon cœur mis à nu.
L'œuvre : Les Fleurs du Mal, 1857 (1re édition) ; 1861 (2e édition)
Baudelaire voulait retracer la tragédie de l'être humain, cette alternance constante qui le pousse tantôt vers Dieu, tantôt vers Satan. On retrouve cette idée d'opposition dès le titre du recueil et dans la structure en six parties de l'œuvre.
« Dans ce livre atroce, j'ai mis toute ma pensée, tout mon cœur, toute ma religion (travestie), toute ma haine. »
Charles Baudelaire
Lettre à Maître Ancelle
1866
Le recueil s'appelle d'abord Les Lesbiennes en référence aux habitantes de Lesbos, île de la mer Égée, capitale de la poésie lyrique. Puis Baudelaire choisit Les Limbes, titre plus mystérieux. La perspective est plus mystique puisque les limbes sont une sorte d'espace intermédiaire, le lieu où séjournent les enfants morts sans baptême. Mais un autre poète utilise ce titre et Baudelaire doit l'abandonner.
Les Fleurs du Mal est le titre définitif choisi par Baudelaire, troublante alliance que l'on pourrait considérer comme une provocation, une envie de choquer les bien-pensants. En effet, fleur et mal sont deux substantifs que la tradition poétique oppose. En poésie, le terme fleur connote l'innocence, la pureté, et symbolise souvent la jeune fille désirée. Au mal sont associés l'obscurité et l'informe. Baudelaire semble pourtant affirmer qu'il existe une beauté propre au mal.
« Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu'on reconnaisse qu'il n'est pas un pur album mais qu'il a un commencement et une fin. »
Charles Baudelaire
Lettre à Alfred de Vigny
1861
Baudelaire considère que les textes de son recueil forment un tout cohérent. Chaque pièce n'a de signification que mise en regard par rapport aux autres.
Les critiques se sont acharnés à trouver un sens à la structure du recueil mais il est plus prudent de proposer des hypothèses : dans la seconde édition, 126 poèmes sont regroupés en six sections de longueurs très inégales. Ces sections peuvent être considérées comme les étapes d'un voyage explorant la misère de l'homme. Les deux premières sections posent un constat et les quatre suivantes proposent des solutions pour combattre le spleen.
Les six sections de l'édition de 1861 sont les suivantes :
1) « Spleen et Idéal » : 85 poèmes
Si l'être est envahi par l'angoisse, c'est parce qu'il aspire au bonheur mais que rien ici-bas ne peut le contenter. Le poète est donc partagé entre un sentiment de spleen, d'ennui, de mélancolie, et son aspiration à l'idéal.
2) « Tableaux parisiens » : 18 poèmes
C'est une section que Baudelaire a ajoutée entre la 1re et la 2de édition. Baudelaire y peint ses errances dans un Paris en pleine mutation. Il y croise des figures insolites et des êtres déchus. Ses flâneries lui font découvrir la modernité urbaine mais accentuent aussi son sentiment de solitude.
3) « Le Vin » : 5 poèmes
L'alcool est présenté comme une échappatoire sombre et dangereuse : il procure un oubli bienfaiteur qui n'est que temporaire.
4) « Fleurs du Mal » : 9 poèmes
La luxure et les amours interdites sont les thèmes majeurs de cette section. Baudelaire les présente comme une autre forme d'évasion. Cependant, cette démarche est vaine. Il s'abandonne à la débauche mais n'échappe pas à son existence misérable.
5) «Révolte » : 3 poèmes
Les tentations charnelles étant illusoires, le poète se révolte contre Dieu en se tournant vers Satan, prince des déchus.
6) « La Mort » : 6 poèmes
Les échappatoires ayant été des échecs, la mort reste le seul espoir de l'homme. Elle est une promesse de voyage qui peut soulager les maux.
Textes-clés
« L'Albatros », 1861
« Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents1 compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement2 leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule3 !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule4,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées5
Qui hante la tempête et se rit de l'archer6 ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. »
1 Indolents : insensibles, indifférents.
2 Piteusement : d'une manière qui inspire la pitié.
3 Veule : qui n'a aucune volonté ou aucune force.
4 Brûle-gueule : pipe de marin à tuyau très court.
5 Nuées : gros nuages.
6 Archer : soldat tirant avec un arc.
- Cruauté et sadisme des marins
- Valorisation de l'albatros : oiseau majestueux
- Vision pathétique de l'albatros
- Déchéance de l'oiseau
- Comparaison oiseau-poète
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, récit d'une anecdote, des marins torturent un albatros pour se divertir : de « Souvent, pour s'amuser » à « qui volait ! ».
- Second mouvement, la portée symbolique de l'anecdote : de « Le Poète est semblable » à la fin.
L'essentiel du texte à retenir :
- La valeur symbolique de l'albatros : « L'Albatros » n'est pas un sonnet mais sa composition y ressemble dans sa progression. Baudelaire raconte une anecdote et explique sa portée symbolique dans la dernière strophe. L'albatros est d'abord décrit comme un oiseau, puis il devient une allégorie. Il illustre l'idée que Baudelaire se fait du poète « maudit » : un être supérieur isolé des hommes à cause de son génie. Baudelaire développe ici un des thèmes chers aux romantiques.
- Un poète déchiré entre spleen et idéal : ce texte appartient au cycle des poèmes qui célèbrent la grandeur de l'art et du poète dans la section « Spleen et Idéal ». Le poète assoiffé d'idéal au milieu des autres hommes subit l'isolement de l'homme de génie. Pour évoquer ces êtres singuliers que sont les artistes, Baudelaire choisit ici un symbole douloureux : l'albatros représente la dualité de l'homme cloué au sol et aspirant à l'infini.
- « L'Albatros », une fleur du mal : c'est au-dessus du vide que l'oiseau peut déployer « ses ailes de géant ». La splendeur émane de la dysphorie (état de mal-être) comme le rappelle le titre du recueil. De façon paradoxale, l'angoisse et la tristesse se transforment positivement : l'albatros était « le roi de l'azur » et devient « le prince des nuées ». Il a gagné en jeunesse et en charme.
« Une charogne », 1857
« Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne1 infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique2,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique3
Son ventre plein d'exhalaisons4.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride5,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons6.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van7.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un œil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements8,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine9
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence10 divine
De mes amours décomposés ! »
1 Charogne : animal en décomposition.
2 Lubrique : qui manifeste une forte attirance pour les plaisirs charnels.
3 Cynique : insolente et immorale.
4 Exhalaisons : odeurs émanant de certains corps.
5 Putride : en état de décomposition.
6 Haillons : vieux vêtements en lambeau.
7 Van : instrument qui permet de séparer les grains de la paille.
8 Sacrements : rite sacré administré à un mourant.
9 Vermine : vers.
10 Essence : substance essentielle.
- Lexique de la nature, cadre de la promenade amoureuse
- Oxymores valorisant la charogne
- Apostrophes galantes
- Évocation d'une odeur atroce
- Analogie entre la femme et la charogne
- Périphrases pour désigner la charogne et rendre compte de son caractère malsain
- Détails répugnants
- Métaphore et champ lexical de l'art et de la création
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, une scène idyllique troublée par une vision abjecte : de « Rappelez-vous » à « vous évanouir ».
- Deuxième mouvement, description plus précise de la charogne : de « Les mouches » à « en se multipliant. ».
- Troisième mouvement, réflexion sur le processus de création et le pouvoir de la poésie : de « Et ce monde » à « seulement par le souvenir. ».
- Quatrième mouvement, détail macabre : de « Derrière les rochers » à « avait lâché. ».
- Cinquième mouvement, portée symboliques, une leçon cruelle adressée à la femme aimée : de « Et pourtant » à la fin.
L'essentiel à retenir du texte :
- Un poème macabre et ironique : dans ce poème, Baudelaire détourne avec ironie le topos romantique de la promenade amoureuse. En effet, il en appelle aux souvenirs de la femme aimée puisque la pièce s'ouvre sur un impératif : « Rappelez-vous ». Dans un cadre idyllique, le couple fait une atroce découverte. Avec une certaine complaisance et de très nombreuses précisions abjectes, le poète se remémore la vision repoussante d'une charogne. Aucun détail n'est épargné au lecteur et l'objet central du texte semble exercer une étrange fascination sur le poète.
- Un poème qui renouvelle le topos du memento mori : les poètes de la Pléiade développent au XVIe siècle le motif du carpe diem. Ils invitent la femme à profiter du jour présent, lui rappelant que sa beauté et sa jeunesse sont éphémères. Baudelaire reprend ce motif et rappelle à la femme qui l'accompagne dans cette promenade champêtre qu'elle va mourir (memento mori signifie en latin « Souviens-toi que tu vas mourir »). Mais il ne s'arrête pas à l'évocation de la mort comme ses prédécesseurs. Il décrit avec une étonnante précision le processus de décomposition du corps. La leçon à tirer de cette découverte, c'est que grâce à l'écriture, le poète peut reconstruire le réel détruit.
- Un manifeste poétique, extraire la beauté du mal : le poète choisit la charogne comme sujet central de cette œuvre, allant à l'encontre de toute une tradition poétique. S'il magnifie, non sans ironie, cet animal en décomposition, c'est que le plaisir du poète est dans l'écriture, dans le processus de création. La beauté est dans la subversion, dans le rejet des convenances, des normes sociales et de la bonne morale de son époque.
« À une mendiante rousse », 1857
« Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté,
Pour moi, poète chétif1,
Ton jeune corps maladif,
Plein de taches de rousseur,
À sa douceur.
Tu portes plus galamment
Qu'une reine de roman
Ses cothurnes2 de velours
Tes sabots lourds.
Au lieu d'un haillon3 trop court,
Qu'un superbe habit de cour
Traîne à plis bruyants et longs
Sur tes talons ;
En place de bas troués
Que pour les yeux des roués4
Sur ta jambe un poignard d'or
Reluise encor ;
Que des nœuds mal attachés
Dévoilent pour nos péchés
Tes deux beaux seins, radieux
Comme des yeux ;
Que pour te déshabiller
Tes bras se fassent prier
Et chassent à coups mutins5
Les doigts lutins6,
Perles de la plus belle eau,
Sonnets de maître Belleau7
Par tes galants8 mis aux fers
Sans cesse offerts,
Valetaille9 de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
Sous l'escalier,
Maint page10 épris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Épieraient pour le déduit11
Ton frais réduit12 !
Tu compterais dans tes lits
Plus de baisers que de lis13
Et rangerais sous tes lois
Plus d'un Valois14 !
— Cependant tu vas gueusant15
Quelque vieux débris gisant
Au seuil de quelque Véfour16
De carrefour ;
Tu vas lorgnant en dessous
Des bijoux de vingt-neuf sous
Dont je ne puis, oh ! Pardon !
Te faire don.
Va donc, sans autre ornement,
Parfum, perles, diamant,
Que ta maigre nudité,
Ô ma beauté ! »
1 Chétif : qui a peu de forces.
2 Cothurnes : chaussures montantes à semelles épaisses.
3 Haillon : vieux vêtement en lambeau.
4 Roués : personnes débauchées, de petite vertu.
5 Mutins : espiègles, malicieux.
6 Lutins : malicieux.
7 Belleau : poète français de la Pléiade.
8 Galants : hommes qui cherchent à plaire aux femmes.
9 Valetaille : terme péjoratif qui désigne l'ensemble des valets d'une maison.
10 Page : jeune homme au service d'un seigneur.
11 Déduit (ancien français) : divertissement, amusement amoureux.
12 Réduit : local exigu, généralement sombre et pauvre.
13 Lis : autre orthographe de « lys », fleur emblème de la monarchie française.
14 Valois : branche de la dynastie capétienne qui régna sur le royaume de France de 1328 à 1589. Elle succède aux Capétiens directs et précède les Bourbons.
15 Gueusant : mendiant.
16 Véfour : restaurant chic parisien.
- Connotations positives et sensuelles
- Lexique de la misère
- Description méliorative valorisant la sensualité de la femme
- Allusions au libertinage
- Antithèses
- Subjonctifs de souhait : comme une formule magique
- Références historiques à la Renaissance, notamment à la Pléiade
- Verbes de mouvement qui traduisent la liberté de la mendiante
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, portrait initial de la mendiante, une muse malade dont le poète entrevoit la beauté : de « Blanche fille » à « sabots lourds ».
- Deuxième mouvement, processus de métamorphoses et vision onirique d'une femme séduisante et mystérieuse : de « Au lieu » à « Les doigts lutins. ».
- Troisième mouvement, suite du processus de métamorphose, éloge paradoxal de la mendiante : de « Perles » à « Valois. ».
- Quatrième mouvement, retour à la réalité et nouveau regard du poète : de « Cependant » à la fin.
L'essentiel à retenir du texte :
- La mendiante, une muse pour le poète : le poème est dédié à un être déchu en marge de la société. Baudelaire en fait un portrait à la fois exact et ambigu. Il évoque de façon réaliste sa situation misérable et douloureuse. Cependant, il émane de cette femme du charme et de la sensualité. Elle exerce un attrait puissant sur le poète car elle est un être à part et mystérieux.
- L'alchimie poétique : Baudelaire invite le lecteur à voir au-delà des apparences. Il transforme peu à peu la mendiante en reine de roman. Il la débarrasse de ses haillons pour imaginer ses atours secrets sur un ton malicieux et lui prête de nombreux amants. Le ton du poème se fait incantatoire : le personnage réel devient un personnage fictif par la magie du verbe.
- Une nouvelle définition de la beauté : les trois premières strophes du poème et les trois dernières encadrent celles où Baudelaire fantasme la mendiante autrement qu'elle n'est en réalité. Cependant, la vision qu'il en propose à la fin du poème n'est pas identique à celle du début : la mendiante est une femme libre dont la nudité n'est plus honteuse et qui n'a pas besoin d'artifices pour être belle.