Sommaire
IParcours : réflexions sur « Mémoires d'une âme »IIL'œuvre au programmeIIIL'œuvre : Les Contemplations, livres I à IV, 1856IVTextes-clésA« Aurore »B« Les Luttes et les Rêves »C« Pauca meae »Parcours : réflexions sur « Mémoires d'une âme »
L'intitulé du parcours « Mémoires d'une âme » est une expression empruntée à la préface des Contemplations de Victor Hugo. Hugo propose une définition de la poésie comme miroir de la vie humaine, porteuse d'une mémoire personnelle qui tend à l'universel.
« Qu'est-ce que Les Contemplations ? C'est ce qu'on pourrait appeler, si le mot n'avait quelque prétention, les Mémoires d'une âme. Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs, toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon, soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre. C'est l'existence humaine sortant de l'énigme du berceau et aboutissant à l'énigme du cercueil ; c'est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant derrière lui la jeunesse, l'amour, l'illusion, le combat, le désespoir, et qui s'arrête éperdu « au bord de l'infini ». Cela commence par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du clairon de l'abîme. Une destinée est écrite là jour à jour. »
Victor Hugo
Les Contemplations, préface
1856
« Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. »
Victor Hugo
Les Contemplations, préface
1856
L'intitulé du parcours invite à se poser les questions suivantes :
- De quelle mémoire personnelle la poésie est-elle porteuse ?
- Quels souvenirs, quels moment heureux et malheureux le poète évoque-t-il ?
- La poésie peut-elle être le reflet de l'âme ?
- Quand il nous parle de lui, le poète nous parle-t-il de nous ?
- Le poète peut-il rendre compte de sa destinée dans sa poésie ?
L'œuvre au programme
Victor Hugo, né en 1802 et mort en 1885, est l'un des plus importants écrivains du XIXe siècle. Romancier, poète et dramaturge, il est le chef de file du mouvement romantique. Engagé politiquement, il défend de nombreuses causes et s'oppose au pouvoir autoritaire de Napoléon III, ce qui le mène à vivre en exil de nombreuses années. À sa mort, il est l'une des personnalités les plus connues et les plus appréciées du peuple français.
Victor-Marie Hugo naît en 1802. Il est fils d'un général de l'Empire qui participe aux campagnes militaires napoléoniennes. Très jeune, il ambitionne de devenir écrivain et dit à 14 ans : « Je veux être Chateaubriand ou rien. »
Il devient l'ami de l'écrivain romantique Charles Nodier et intègre son cercle d'écrivains et d'artistes : « le Cénacle ». C'est au cours de ces réunions qu'il lit ses premiers poèmes, publiés plus tard dans les recueils Odes et ballades (1826), Les Orientales (1829) et Les Feuilles d'automne (1832).
Mais c'est surtout grâce au théâtre qu'il se fait connaître, en particulier à l'occasion de la fameuse « bataille d'Hernani » en 1830. Le drame romantique Hernani occasionne en effet une véritable « bataille » dès ses premières représentations, tant pour la liberté du vers que s'autorise l'auteur que pour le mélange des genres et registres. Il est également vivement controversé pour l'image qu'il donne de la figure royale.
Théoricien du drame romantique (Préface de Cromwell en 1827), Hugo écrit beaucoup pour le théâtre (Lucrèce Borgia en 1833, Ruy Blas en 1838) et devient rapidement le chef de file de la nouvelle génération romantique. Il est élu à l'Académie française en 1841.
Il écrit également des romans, inspirés par le roman historique et le roman d'aventures. Les plus célèbres sont Notre-Dame de Paris (1831) et Les Misérables (1862), dans lesquels il décrit et dénonce la misère sociale. Pour autant, il ne s'éloigne jamais de la poésie, publiant des recueils tels que Les Rayons et les ombres (1840) et Les Contemplations (1856).
Hugo est un auteur engagé dans les débats sociaux et politiques de son temps : il combat la peine de mort, la misère ou encore le travail des enfants. Il s'implique même en politique et est élu député sous la IIe République (1848-1851). Lors du coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, qui s'autoproclame empereur en 1852, Hugo quitte Paris. En exil sur les îles de Jersey et Guernesey, il écrit le recueil Les Châtiments (1852), véritable pamphlet politique contre celui qu'il surnomme « Napoléon le Petit ». Il lui reproche d'avoir violé la République et de singer son oncle Napoléon Ier. Après la chute du Second Empire (1870), il rentre en France et devient sénateur. Il meurt en 1885. Près de deux millions de personnes viennent à son enterrement.
L'œuvre : Les Contemplations, livres I à IV, 1856
Le recueil poétique Les Contemplations est écrit par Victor Hugo en exil et publié en avril 1856. Organisé en deux parties, le recueil traite surtout du deuil. En effet, en 1843, Victor Hugo perd sa fille Léopoldine. Dans ce recueil, il aborde avec lyrisme la mort et le chagrin.
Le recueil est organisé en deux parties : « Autrefois (1830-1843) » et « Aujourd'hui (1843-1855) ». Cette organisation met en évidence un point de rupture autour duquel le poète conçoit sa destinée. Ce point de rupture, l'année 1843, coïncide avec la mort de Léopoldine, une des filles de Victor Hugo. Fille chérie de Hugo, elle est morte noyée dans la Seine avec son fiancé Charles Vacquerie, à l'âge de 19 ans. Hugo a été profondément affecté par ce drame, dont il a appris la nouvelle par hasard en lisant le journal, avant de recevoir la lettre de son épouse l'en informant. La destinée de Hugo a basculé ce jour-là, comme le suggère l'organisation du recueil : à propos des deux parties du recueil, Hugo écrit « un abîme les sépare, le tombeau » (préface des Contemplations).
L'organisation générale du recueil suit le schéma suivant :
1re partie « Autrefois (1830-1843) » :
- livre I « Aurore »
- livre II « L'Âme en fleur »
- livre III « Les Luttes et les Rêves »
2e partie « Aujourd'hui (1843-1855) » :
- livre IV « Pauca meae »
- livre V « En marche »
- livre VI « Au bord de l'infini »
Le programme se limite aux livres I à IV du recueil :
- Le livre I, « Aurore », évoque les années de jeunesse, d'innocence et d'apprentissage (amoureux et littéraire).
- Le livre II, « L'Âme en fleur », est principalement inspiré par la passion de Hugo pour la comédienne Juliette Drouet.
- Le livre III, « Les Luttes et les Rêves », rend compte des combats de Hugo, en particulier contre la misère et les fléaux de la guerre et de la tyrannie.
- Le livre IV, « Pauca meae » (titre emprunté au poète latin Virgile et pouvant être traduit par : « Quelques vers pour ma fille »), est un livre de deuil, inspiré par la mort de Léopoldine.
Si le recueil est principalement de tonalité lyrique, le poète exprimant tantôt son chagrin, tantôt sa joie passée, il comporte également des poèmes polémiques et épiques. Il rend bien compte de la diversité de l'œuvre hugolienne.
Textes-clés
« Aurore »
« Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs1 penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t'en venir dans les champs ?
Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?
Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre2 alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !
Comme l'eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée3 et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
Mont-L'Am.4, juin 183.. »
1 Joncs : plantes à longue tige poussant près des points d'eau.
2 Folâtre : joyeuse.
3 Effarée : étonnée.
4 Il s'agit de Montfort-L'Amaury, où Hugo a séjourné en 1825, à l'âge de 23 ans.
- Liberté, gaité et sensualité de la jeune fille
- Décor naturel idyllique
- Rencontre et invitation amoureuses
- Désignation élogieuse de la jeune fille
- Personnification de la nature
- Apparence d'anecdote autobiographique (Montfort-L'Amaury où a habité Hugo)
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, une apparition miraculeuse : de « Elle était déchaussée » à « arbres profonds ? ».
- Second mouvement, le bonheur amoureux : de « Elle essuya » à la fin.
L'essentiel du texte à retenir :
- Le récit d'une anecdote vécue ? La mention d'un lieu et d'une date à la fin du poème donne l'impression d'une anecdote réellement vécue par l'auteur, de même que l'emploi de la 1re personne. Le poème est narratif et relate avec lyrisme une rencontre amoureuse.
- Une apparition miraculeuse dans un cadre bucolique : la jeune femme est rencontrée par hasard et de manière inattendue. Elle ressemble à « une fée », ce qui fait d'elle un être merveilleux, et son aspect sauvage et libre l'apparente aux nymphes, divinités des eaux. De plus, elle semble fusionner avec le cadre naturel dans lequel elle apparaît. Ce décor peut être qualifié de bucolique, il renvoie à l'image d'une nature idéale, agréable et paisible.
- Une rencontre amoureuse : dans le premier quatrain, le poète évoque un coup de foudre amoureux, inattendu et soudain. Le jeune homme formule alors une invitation amoureuse, qu'il réitère dans le quatrain suivant. La réponse de la jeune fille n'est pas formulée mais suggérée poétiquement par les personnifications de la nature.
« Les Luttes et les Rêves »
Ce poème évoque le travail des enfants, qui peuvent être employés dès l'âge de huit ans d'après la loi de l'époque.
« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain1, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme2 ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait — c'est là son fruit le plus certain —
D'Apollon3 un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre4,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
[…] »
1 Airain : alliage de métaux.
2 Rachitisme : maladie causée par des carences alimentaires.
3 Apollon : dieu grec de la beauté.
4 Serre : griffe de rapace.
- Tristesse et misère
- Expression de la pitié
- Vocabulaire négatif
- Jeunesse et innocence des enfants
- Discours direct des enfants
- ! Exclamations traduisant l'indignation
- Métaphores péjoratives
- Déshumanisation par le travail
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, évocation pathétique : de « Où vont » à « Petits comme nous sommes, ».
- Second mouvement, dénonciation polémique : de « Ô servitude infâme » à la fin.
L'essentiel à retenir du texte :
- Des enfants soumis à des traitements terribles : le poète s'appuie sur la réalité pour dénoncer le travail des enfants. L'âge des enfants, la durée de leur journée de travail, l'évocation des conditions de travail dans les usines ou mines de charbon renvoient à des faits bien réels à l'époque. Il emploie des métaphores très péjoratives (la prison, le monstre, le rapace) pour montrer combien le travail est destructeur pour les enfants.
- La compassion du poète (le pathétique) : le poète insiste sur la jeunesse et l'innocence des enfants pour mettre en valeur l'injustice qu'ils subissent. Il leur donne la parole, exprime sa pitié, insiste sur leur tristesse et leur misère. Il vise ainsi à provoquer la compassion du lecteur par une tonalité pathétique.
- La dénonciation : dans le deuxième mouvement de l'extrait, le ton devient polémique et le poète exprime son indignation, avec véhémence et colère. Il ironise sur le supposé progrès, suggère que le travail dans ces conditions est destructeur plus que fécond et tend même à déshumaniser les hommes. Hugo se bat ici pour une cause dans laquelle il s'est impliqué tout au long de sa vie.
« Pauca meae »
Ce poème est inspiré par la mort accidentelle de Léopoldine, la fille de Victor Hugo.
« Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,
Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.
Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,
Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,
Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ?
Je voulais me briser le front sur le pavé ;
Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,
Je fixais mes regards sur cette chose horrible,
Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non !
– Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom
Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? –
Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve,
Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,
Que je l'entendais rire en la chambre à côté,
Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,
Et que j'allais la voir entrer par cette porte !
Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !
Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !
Attendez ! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute !
Car elle est quelque part dans la maison sans doute !
Jersey, Marine-Terrace, 4 septembre 1852. »
- Expression de la douleur
- Adresse au lecteur
- Illusion que sa fille est vivante
- Expression de l'incrédulité et de l'impossibilité
- Périphrases pour désigner la mort sans la nommer
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, la douleur du deuil : de « Oh ! je fus » à « cette chose horrible, ».
- Second mouvement, incrédulité face au drame : de « Et je n'y croyais pas » à la fin.
L'essentiel à retenir du texte :
- Un poème de deuil : le poème, comme de nombreux autres du livre « Pauca meae », est inspiré par la mort tragique de Léopoldine. Le poète parle en son nom lorsqu'il emploie la 1re personne du singulier. Il évoque sa première réaction à l'annonce de la nouvelle, les jours qui ont suivi, puis la longue période de deuil et la difficulté à admettre la mort de sa fille.
- La souffrance à son paroxysme : de tonalité élégiaque et pathétique, ce poème exprime la souffrance insurmontable d'un père face à la mort de son enfant. Hugo fait allusion à la mort sans pouvoir la nommer, car elle fait partie précisément de « ces malheurs sans nom ». Il dit sa douleur avec insistance et sans pudeur, montrant qu'elle atteint un paroxysme insupportable. Il s'adresse aux lecteurs, en particulier aux pères et mères qui ont également perdu un enfant, pour les inviter à comprendre et partager sa souffrance.
- L'incrédulité : la mort de l'enfant est vécue comme un événement inconcevable, impossible, et Hugo exprime son incrédulité face au drame, son déni sans doute également. Il en vient à imaginer la présence de sa fille dans la maison, croit l'entendre et la voir, tant son absence est insupportable. La dernière strophe rend même compte d'hallucinations qui révèlent un état d'effarement et presque de folie.