Sommaire
IL'intitulé du parcours : « Mensonge et Comédie »ADéfinition des termes du parcours1Le mensonge2La comédieBLes enjeux du parcoursIIL'auteurAL'enfance de Pierre CorneilleBLes premiers succèsCLa querelle du CidDLa consécrationIIILe XVIIe siècle, l'âge d'or du théâtreIVL'œuvreAUne source espagnoleBLe titre, « le menteur »CLa structure de la pièceDUne œuvre à la croisée des courants littérairesELes personnages de la pièce1Dorante2Clarice3Lucrèce4Géronte5Alcippe6Philiste7ClitonFLes thèmes1Le mensonge2L'amour et la galanterieVTextes-clés de la pièceALa scène d'exposition (acte I - scène 3)BLe portrait du héros (acte IV – scène 3)CLe dénouement (acte V – scène 6)L'intitulé du parcours : « Mensonge et Comédie »
L'intitulé du parcours nous invite à nous demander dans quelle mesure le mensonge fait partie intégrante de la comédie.
Définition des termes du parcours
Les termes du parcours sont liés aux notions de « mensonge » et de « comédie ».
Le mensonge
Le terme « mensonge » revêt différents sens.
Le mensonge est un acte de parole. C'est l'action de déguiser, d'altérer la vérité, de dire quelque chose qui est faux dans le but de tromper quelqu'un ou d'obtenir un avantage. Un mensonge peut aussi être fait par omission. Un « mensonge par omission » consiste à éviter de dire quelque chose dans le but de ne pas blesser ou pour protéger.
Au sens figuré, le mensonge désigne une forme de vanité, d'illusion, « l'amour n'est que mensonge ».
En littérature, le mensonge est ce qui est illusoire ou trompeur. Ainsi, le mensonge peut être utilisé dans une volonté de tromper l'autre ou de cacher une vérité que l'on fait mieux de taire.
La comédie
Le mot « comédie » fait directement référence au théâtre.
La comédie est un sous-genre du théâtre apparu dans l'Antiquité et qui est atteint son apogée au XVIIe siècle. Il s'agit d'une pièce de théâtre destinée à provoquer le rire du spectateur, soit par la peinture satirique des mœurs d'une époque, soit par la mise en scène de situations drôles et plaisantes. Son issue est heureuse.
La comédie, au XVIIe siècle, est un genre considéré comme peu prestigieux. Elle met en scène des paysans ou des bourgeois, son intrigue est très simple et les procédés comiques sont souvent peu élaborés car issus de la farce (coups de bâton, mimiques, déguisements, etc.). Cependant, des dramaturges comme Molière et Racine vont redonner ses lettres de noblesse au genre en complexifiant les intrigues et en proposant une réflexion morale sur les mœurs de l'époque. De plus, certaines de leurs comédies sont écrites en vers et se déroulent en cinq actes comme les tragédies.
Au sens figuré, le terme de « comédie » désigne une manifestation hypocrite de sentiments que l'on n'éprouve pas, il s'agit alors d'une forme de dissimulation, comme en témoigne la formule « jouer la comédie ». On retrouve aussi le terme dans des expressions telles que « la comédie humaine », « la comédie sociale », « la comédie politique », etc. Cela désigne, dans ce cas-là, une attitude fausse et théâtrale.
Les enjeux du parcours
L'intitulé du parcours suggère, par l'emploi de la conjonction de coordination « et », que le mensonge et la comédie sont liés. Le parcours nous demande donc d'étudier la relation particulière qui lie « mensonge » et « comédie ».
Dans l'intitulé du parcours, le terme « mensonge » est employé au singulier. Cela nous invite donc à nous interroger sur le ressort dramatique qu'est le mensonge au théâtre et notamment dans la comédie.
Ressort dramatique
Le ressort dramatique est un mécanisme qui commande l'action, organise le sens de la pièce.
Le théâtre, depuis l'Antiquité, est l'art du mensonge. En effet, il crée une illusion en laquelle il tâche de nous faire croire. Ainsi, le temps de la représentation, le spectateur considère comme vrai tout ce qui est montré sur scène et croit au « mensonge » du dramaturge. Cela est particulièrement bien illustré dans la pièce L'Illusion comique de Corneille.
Dans le cadre de la comédie, le recours dramatique au mensonge peut avoir plusieurs buts. En effet, un personnage peut faire le choix de dissimuler la vérité dans son propre intérêt mais aussi pour tromper ou pour créer une forme de diversion. Le mensonge se révèle être un excellent ressort dramatique dans la comédie car il permet de générer le rire et de faire avancer l'action. Très souvent le mensonge, dans la comédie, permet de faire, finalement, éclater une vérité cachée.
Ce sont donc de multiples stratégies que la comédie met en place pour mettre à l'honneur le mensonge dans le but premier de faire rire le spectateur et de faire une satire sociale.
L'intitulé du parcours invite donc à se poser diverses questions :
- Quels rôles sont donnés au mensonge dans la comédie ?
- Pourquoi le dramaturge utilise-t-il tous les ressorts du mensonge dans ses comédies ?
- Le mensonge n'a-t-il que pour seule volonté la tromperie ?
- Le mensonge peut-il être perçu comme une qualité ?
- Dans les comédies, le mensonge est-il le seul moyen de faire éclater la vérité ?
- Dans quelle mesure la comédie met-elle en scène tous les enjeux du mensonge ?
L'auteur
Pierre Corneille naît en 1606 à Rouen et meurt en 1684 à Paris. Il est l'un des auteurs les plus emblématiques du XVIIe siècle. Il connaît rapidement le succès, ce qui lui vaut de recevoir une pension de la part du cardinal de Richelieu.
L'enfance de Pierre Corneille
Pierre Corneille est destiné à une grande carrière d'avocat, mais sa timidité l'empêche de plaider ses premières affaires.
Issu d'une famille de magistrats (son père est maître des Eaux et Forêts et sa mère est fille d'avocat), il fait ses études chez les jésuites puis suit des études de droit car il se destine à une carrière d'avocat. Il devient avocat et achète, en 1928, la charge « d'avocat du roi », c'est-à-dire qu'il se consacre à défendre uniquement les intérêts du roi.
Les premiers succès
À l'âge de 23 ans, Pierre Corneille se lance dans la rédaction de pièces de théâtre et propose sa première comédie, Mélite, qui connaît un grand succès à Paris lors de sa première représentation.
Fort du succès de sa première pièce, Mélite (1625), Corneille cesse d'exercer le droit sans pour autant abandonner sa charge immédiatement (il ne l'abandonnera qu'en 1648). Entre 1630 et 1636, il écrit de nouvelles comédies, ce qui lui vaut de réhabiliter ce genre considéré jusqu'alors comme mineur. Il lui redonne un nouvel essor, notamment parce qu'il propose une peinture des caractères et des mœurs. Ses quatre comédies suivantes, La Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante et La Place royale sont des succès. En 1635, il fait jouer sa première tragédie, Médée, à laquelle le public fait un très bon accueil. Il fait partie des cinq auteurs auxquels le cardinal de Richelieu commande des œuvres.
C'est alors que Corneille propose une nouvelle forme de comédie, la tragi-comédie, en 1637. Le Cid est présenté au Théâtre du Marais, la pièce connaît un succès phénoménal. Tout Paris s'intéresse au dilemme de Rodrigue, qui doit choisir entre l'honneur familial et son amour pour Chimène.
La querelle du Cid
Malgré son succès retentissant, Le Cid est au centre d'une querelle durant presque une année.
Après le succès rencontré dès la première représentation du Cid, Louis XIII anoblit Corneille. Le dramaturge connaît alors une grande renommée, mais il doit faire face à la jalousie de ses rivaux qui déclenche une véritable dispute autour de la pièce et que l'on nomme « la querelle du Cid ». On lui reproche d'avoir proposé une pâle copie d'une pièce espagnole et de n'avoir pas respecté les règles du théâtre classique.
Richelieu, qui protégeait Corneille jusqu'alors, donne son soutien à ses rivaux dans un premier temps. L'Académie française publie un texte contre la pièce de Corneille ; mais devant le succès durable du Cid, Richelieu décide d'apaiser les tensions. Lassé par cette querelle, Corneille met en pause sa création de pièces pendant trois ans. En 1940, il reprend la plume et décide de se lancer dans l'écriture de grandes tragédies qui mettent en scène des enjeux politiques et religieux.
La consécration
Corneille connaît le succès tant avec ses comédies qu'avec ses tragédies. Il se marie en 1641 avec Marie de Lampérière, avec laquelle il a sept enfants.
En 1640, il rencontre un premier grand succès avec sa tragédie Horace. En 1641, Corneille présente une nouvelle tragédie, Cinna, qui lui apporte la consécration. Le succès se poursuit avec Polyeucte et La Mort de Pompée. On le surnomme alors « le Grand Corneille » et « le Père de la Tragédie ». Il publie et joue une comédie, Le Menteur, en 1644. La pièce rencontre un énorme succès au point qu'il lui donne une suite en 1645, La Suite du Menteur. En 1647, il est admis à l'Académie française.
Durant la Fronde, les pièces de Corneille connaissent quelques échecs. Il est nommé procureur général des États de Normandie, ce qui est un poste très important. Mais Corneille n'a plus les faveurs du public qui lui préfère son grand rival, Jean Racine. Déçu de ses échecs, il se retire de nouveau de la vie théâtrale. Il se consacre alors à la publication de l'édition complète de ses œuvres théâtrales et il participe aux travaux de l'Académie française. Corneille meurt en 1684 à Paris.
La Fronde
La Fronde est une période de troubles en France de 1648 à 1653 au cours de laquelle les parlementaires, une partie de la noblesse et le peuple se révoltent. La guerre contre l'Espagne a lieu pendant la Fronde.
Le XVIIe siècle, l'âge d'or du théâtre
Le XVIIe siècle est le siècle d'or du théâtre. Le cardinal de Richelieu se montre très favorable au théâtre et crée l'Académie de France en 1635.
Grâce au cardinal de Richelieu, qui est le ministre principal de Louis XIII, le théâtre acquiert ses lettres de noblesse. Richelieu est un mécène qui soutient tous les arts mais plus particulièrement le théâtre. En effet, il souhaite asseoir sa grandeur par un mécénat artistique et culturel. Il fonde, en ce sens, l'Académie française en 1635 qui a pour but non seulement de fixer les règles grammaticales et le vocabulaire du français mais aussi de mettre en lumière les arts et les lettres. Il mène une véritable politique qui promeut le théâtre avec, notamment, la reconnaissance du statut de dramaturge et la réhabilitation du métier de comédien. Les pièces sont lues à voix haute dans son cabinet (son bureau) afin de les soumettre à son autorisation. Il prend part aux débats et querelles avec les dramaturges, leur donne des indications quant à la rédaction de leurs pièces et fait construire un théâtre en face du Louvre, c'est la salle du Palais-Royal qu'il confiera à Molière. Il souhaite ainsi se servir du théâtre pour mettre en avant sa grandeur mais également dans un but politique. En effet, les dramaturges qu'il protège et subventionne doivent, en retour, servir la politique de Richelieu.
Mécène
Un mécène est une personne riche et généreuse qui aide les artistes. En échange, les artistes doivent mettre leur talent au service de leur mécène.
Le théâtre classique est régi par de nombreuses règles. C'est Nicolas Boileau qui formule, en vers, les règles du théâtre classique. La première règle est nommée « règle des trois unités » : ainsi, une pièce de théâtre doit se dérouler sur une journée soit du lever au coucher du soleil (unité de temps), elle doit se dérouler en un lieu unique (unité de lieu) et ne doit comporter qu'une seule intrigue (unité d'action). À ces trois règles d'unité s'ajoutent deux autres règles : la règle de bienséance (il ne faut pas choquer le public) et la règle de vraisemblance (ce qui se passe sur scène doit être plausible).
C'est dans ce contexte qu'apparaît la tragi-comédie, genre particulièrement apprécié de Richelieu, qui mêle des éléments de la tragédie et de la comédie. Cependant le genre ne connaît pas un succès immédiat dans la mesure où il ne respecte pas les règles du théâtre classique. Le grand genre reste la tragédie, mais la comédie connaît aussi sa grandeur, puisqu'au-delà de divertir, elle propose une réflexion sur la société du XVIIe siècle. N'oublions pas que la devise de la comédie, devise inventée par le poète Jean de Santeul au XVIIe siècle, est « Castigat ridendo mores » ce qui signifie « elle corrige les mœurs par le rire ».
Théâtre classique
On appelle théâtre classique le théâtre de la seconde partie du XVIIe siècle car il respecte des règles plus ou moins strictes inspirées du théâtre de l'Antiquité (à cette époque, on nommait les auteurs de l'Antiquité les « classiques »). De nombreux dramaturges ont formulé ces règles, le premier étant l'abbé d'Aubignac. Mais c'est la formulation de ces règles par Boileau qui reste célèbre et que l'on retient.
« Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli »
Nicolas Boileau
L'Art poétique
1674
L'œuvre
Pour écrire Le Menteur, Corneille s'inspire de la pièce La Verdad sospechosa (La Vérité suspecte, 1624) de l'auteur espagnol Juan Ruiz de Alarcon.
Une source espagnole
Pierre Corneille ne cache pas sa source d'inspiration, qu'il mentionne dans son épître dédicatoire, en indiquant qu'il n'a fait qu'une copie d'un excellent original.
À l'époque où Corneille écrit Le Menteur, la France est en guerre contre l'Espagne. Le dramaturge s'excuse alors auprès de son public pour cet emprunt espagnol. Ainsi, dans le but d'éviter une nouvelle querelle comme celle du Cid, et pour ne pas être de nouveau accusé de plagiat, il adapte la pièce au public français : il francise les noms des personnages et des lieux, il change le contexte du conflit et il adopte les règles du théâtre classique. De ce fait, le personnage de Dorante, lorsqu'il apparaît dans la scène d'exposition, revient de Poitiers et non des Indes comme c'est le cas dans la pièce espagnole. Corneille évoque également la situation politique de la France dans plusieurs scènes et change le dénouement, qu'il trouvait trop violent dans la version originale.
Dans son épître dédicatoire, Corneille se trompe et attribue faussement La Verdad sospechosa à Felix Lope de Vega.
Le titre, « le menteur »
Le titre de la pièce nous permet de retrouver un personnage type de la comédie : le menteur. Dorante devient ainsi le modèle même de ce qu'est un menteur.
Le titre de la pièce nous renseigne d'emblée sur la psychologie et le caractère de Dorante. Mettre en avant ce type de personnage permet à Corneille de corriger les mœurs par le rire, comme le fait Molière à la même époque. Ainsi, il s'agit pour le dramaturge de dresser une critique du mensonge, mais également de le questionner. En effet, le spectateur peut, à travers le personnage de Dorante, se demander s'il existe des occasions où l'on a le droit de mentir et s'il y a différents degrés de mensonge. Certains seraient alors plus acceptables que d'autres.
La structure de la pièce
La pièce est composée de cinq actes et respecte plus ou moins la règle des trois unités alors en usage au XVIIe siècle.
Dans sa pièce, Corneille prend des libertés avec les règles du théâtre classique pour le besoin de l'action. En effet, l'action se déroule bien en vingt-quatre heures (mais à cheval sur deux jours : du milieu de journée du jour 1 au milieu de journée du jour 2), l'histoire se déroule à Paris (mais dans deux lieux différents, les Tuileries et la place Royale) et l'histoire tourne autour de l'intrigue de la quête amoureuse de Dorante.
Dans l'acte I, le nœud de l'intrigue se met en place. En effet, la pièce débute sur un quiproquo et avec les premiers mensonges de Dorante. Dorante rencontre Lucrèce et Clarice aux Tuileries. Il fait alors la cour à Clarice mais pense qu'elle s'appelle Lucrèce. Dorante fait croire qu'il a un glorieux passé militaire et prétend qu'il a donné une somptueuse fête en l'honneur de Clarice. Alcippe, qui aime Clarice, se met alors à jalouser son ami Dorante.
Les actes II, III et IV proposent de multiples péripéties et stratagèmes.
Dans l'acte II, Géronte, le père de Dorante, propose à Clarice d'épouser son fils. Celle-ci y réfléchit car elle trouve que son amant, Alcippe, tarde à se déclarer. Mais Dorante refuse car il confond toujours Clarice et Lucrèce. Pour excuse, il ment et dit à son père qu'il a une épouse, Orphise, à Poitiers. Clarice décide de rencontrer Dorante (en se faisant toujours passer pour Lucrèce) et Alcippe, fou de jalousie, provoque Dorante en duel.
Dans l'acte III, le duel est interrompu. Clarice, séduite par Dorante, ne sait plus si elle veut épouser, ou non, Alcippe. Elle rencontre Dorante qui lui avoue son mensonge au sujet de son mariage avec Orphise.
Dans l'acte IV, Dorante continue à mentir en faisant croire qu'il a laissé pour mort Alcippe lors de leur duel. Mais Alcippe arrive sur scène et annonce qu'il prépare son mariage avec Clarice. Géronte demande alors à rencontrer Orphise, sa « belle-fille ». Dorante ment en disant qu'elle ne peut quitter Poitiers car elle est enceinte. Clarice met en garde Lucrèce contre les sentiments qu'elle a pour Dorante. Mais celle-ci ment en disant qu'elle y est indifférente.
Dans l'acte V, qui est le dernier acte, le voile est finalement levé sur les mensonges de Dorante et sur le quiproquo au sujet du prénom des deux jeunes filles. En effet, Géronte, fou de colère, découvre tous les mensonges de son fils. Dorante, quant à lui, est pris d'un doute soudain et se demande s'il ne préfère pas finalement la vraie Lucrèce (qu'il prend toujours pour Clarice). Il apprend alors que depuis le début il confond les deux jeunes filles. Il ne peut s'empêcher de proférer un dernier mensonge en faisant croire que, dès le début, il avait compris qui était qui et qu'il n'avait jamais été dupe de la supercherie des deux jeunes femmes. Dorante avoue alors son amour à la vraie Lucrèce et exprime son désir de l'épouser, laissant ainsi la voie à Alcippe pour qu'il puisse épouser Clarice.
Une œuvre à la croisée des courants littéraires
Le Menteur est une comédie qui mêle les codes du baroque, de la préciosité et du classicisme.
Baroque, préciosité et classicisme sont trois courants littéraires que l'on retrouve au XVIIe siècle en France.
Tout d'abord, la pièce relève de l'esthétique baroque par son thème principal. En effet, le mensonge sous-tend les notions d'illusion et d'instabilité. Mais aussi parce que, du fait des mensonges, l'intrigue est complexe. On y trouve de nombreux rebondissements. Ainsi, il y a une forme de mouvement perpétuel dans cette pièce. De plus, en raison des mensonges omniprésents et du quiproquo initial, les personnages évoluent dans un monde de faux-semblants, d'apparences et d'illusions, les uns assistant, tels des spectateurs, aux duperies des autres.
Ensuite, à travers les échanges amoureux entre les personnages de la pièce et le langage délicat qu'ils emploient, on voit poindre les prémices de la préciosité.
Enfin, Corneille respecte, dans sa pièce, la règle des trois unités et la règle de vraisemblance chères aux classiques. Bien que le classicisme ne soit pas encore pleinement théorisé au moment de l'écriture du Menteur, les dramaturges de l'époque s'efforcent tout de même de suivre les préceptes de leur modèle, Aristote. Ce dernier a édicté les règles du théâtre (plus particulièrement celles de la tragédie) dans sa Poétique (335 av. J.-C.). Cependant, la fin de la pièce de Corneille ne répond pas aux critères du classicisme car elle n'est pas morale. En effet, non seulement Dorante n'est pas puni pour ses mensonges, mais en plus il peut épouser la femme qu'il aime et il est reconnu pour ses talents de menteur.
Baroque : En France, le baroque s'étend de la fin du XVIe siècle à la première moitié du XVIIe siècle. C'est un mouvement qui touche la littérature et tous les arts. Il se fait le reflet de l'instabilité du monde. La mort, le mouvement, les métamorphoses, les apparences, les illusions et l'instabilité en sont les thèmes principaux. Les œuvres baroques foisonnent de péripéties et font la part belle aux illusions.
Préciosité : C'est un courant littéraire très éphémère puisqu'il ne dure qu'une dizaine d'années, de 1650 à 1660. La préciosité s'exprime à travers un langage raffiné et délicat allant parfois jusqu'au ridicule. Cette tendance à l'élégance et au raffinement se retrouve dans le langage mais aussi dans les manières et le comportement.
Classicisme : Le mouvement du classicisme arrive en réaction contre les excès du baroque. Il s'étend sur la seconde moitié du XVIIe siècle. Il reflète un idéal esthétique et humain de rigueur et de maîtrise tant dans la littérature que dans les autres arts. Ses principes imposent principalement l'imitation des auteurs de l'Antiquité et le respect des règles (notamment au théâtre). L'écrivain se fait moraliste et désire plaire. L'idéal humain est alors celui de l'honnête homme, c'est-à-dire un homme qui possède une grande culture, de grandes vertus sociales et morales et qui sait s'exprimer avec clarté.
Les personnages de la pièce
Il y a onze personnages en tout dans cette pièce. Mais l'intrigue tourne autour des quatre personnages principaux : Dorante, Clarice, Lucrèce et Alcippe.
Dorante
Dorante est le personnage principal de la pièce. C'est un jeune homme noble. Il fait des études de droit à Poitiers. Il se distingue par le fait qu'il ment en permanence, et à tout le monde : son père (Géronte), son valet (Cliton), ses amis (Alcippe et Philiste) et aux deux jeunes femmes dont il s'éprend (Clarice et Lucrèce). Cependant, ses mensonges n'ont pas pour but de cacher une réalité terrible ou un crime. En effet, il ment pour enjoliver les choses, pour se valoriser ou bien encore pour arriver à ses fins. Il est un habile menteur qui élève quasiment le mensonge au rang d'art. En cela, il symbolise le dramaturge qui, par ses « mensonges », crée une pièce de théâtre, c'est-à-dire une histoire en laquelle les spectateurs croient. C'est LE personnage comique de cette pièce. Parfois pris au piège par ses propres mensonges, il s'en tire toujours… par un nouveau mensonge. Dorante est un personnage qui s'enorgueillit de sa facilité à mentir naturellement et avec efficacité. Cependant, la pièce fait de lui un personnage attachant que l'on admire presque pour son talent de fieffé menteur car cela demande de véritables qualités : de l'intelligence, de la stratégie, de la comédie et de la mémoire.
Dans son Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique (1660), Corneille explique au sujet du personnage de Dorante : « Il est hors de doute que c'est une habitude vicieuse que de mentir, mais il débite ses menteries avec une telle présence d'esprit et tant de vivacité que cette imperfection a bonne grâce en sa personne, et fait confesser aux spectateurs que le talent de mentir ainsi est un vice dont les sots ne sont point capables ».
Le prénom Dorante est un prénom couramment donné, dans la comédie, aux personnages de jeunes nobles de province. Ainsi on retrouve un Dorante dans L'Illusion comique de Corneille (1634), dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière (1670), dans Le Jeu de l'amour et du hasard (1730) et Les Fausses Confidences (1737) de Marivaux par exemple.
Clarice
Clarice est une belle jeune fille de bonne famille. Elle est la maîtresse d'Alcippe c'est-à-dire qu'elle l'aime et qu'elle est aimée de lui en retour. Cependant, ce dernier tardant à la demander en mariage, elle se laisse séduire par Dorante. Elle est ce que l'on appelle une « coquette », c'est-à-dire qu'elle cherche délibérément à plaire et à séduire. Bien qu'elle tâche de respecter les convenances et l'autorité paternelle, elle n'hésite pas à se rapprocher de Dorante et à mentir à son tour quand elle se rend compte que celui-ci l'a dupée.
Lucrèce
Lucrèce est un personnage plus effacé que Clarice. On le remarque notamment par son silence lorsqu'elles rencontrent Dorante pour la première fois aux Tuileries. Elle n'est promise à personne. Elle va être la complice de Clarice dans tous les stratagèmes qu'elles vont mettre toutes deux en place. Au fil de la pièce, elle va tomber amoureuse de Dorante.
Clarice et Lucrèce apportent une touche comique à la pièce par leurs stratagèmes et par leur jalousie quand il s'agit de savoir laquelle des deux aura les faveurs de Dorante.
Géronte
Géronte est le père de Dorante. C'est un personnage qui a des principes conformes à ceux de sa classe sociale, la noblesse. Il souhaite donc que son fils vive de manière vertueuse et qu'il épouse une jeune fille de son rang. C'est un personnage très crédule qui croit en tous les mensonges de son fils. Alors qu'il voulait lui imposer Clarice comme épouse, il se réjouit de savoir que Dorante s'est marié avec Orphise et que celle-ci est enceinte car il pense qu'elle est du même rang qu'eux. Il s'indigne des mensonges de son fils mais il lui pardonne tout de même facilement, voulant son bonheur avant tout. C'est pour cela qu'il accepte que Dorante épouse Lucrèce.
Géronte est un prénom très traditionnel dans la comédie. Il est traditionnellement donné aux pères âgés bourgeois. Ce prénom vient du grec ancien gerôn, gerontos, qui signifie « vieillard ». Souvent, ce sont des personnages un peu crédules, qui sont trompés par leur entourage et notamment leur fils ou leur fille.
Alcippe
Alcippe est l'amant de Clarice. Jeune noble, il fait de l'honneur une vertu essentielle. C'est pour cela qu'il s'emporte très vite quand il croit que Dorante veut épouser Clarice. Il le provoque d'ailleurs en duel, moyen pour les nobles de l'époque de réparer un honneur bafoué. Alcippe n'a pas toutes les qualités oratoires de Dorante. Il est jaloux, crédule et il se lamente au lieu de réellement agir. De ce fait Dorante paraît d'autant plus brillant aux yeux de Clarice.
Philiste
Philiste est certainement le personnage le plus sensé de la pièce. Il n'est pas dupe des mensonges de Dorante, c'est lui qui va interrompre le duel entre Dorante et il est celui qui révèle à Géronte les mensonges de son fils. Il ne prend pas part aux intrigues amoureuses entre Dorante, Clarice et Lucrèce. Il incarne la raison et la mesure.
Cliton
Cliton est le valet de Dorante. Il est naïf et il admire son maître. Il fait tout de même preuve de bon sens face à Dorante notamment au sujet de l'argent. Cependant, il n'a d'autre rôle que d'être le faire-valoir de son maître. Il fait rire par ses répliques et ses attitudes. C'est un valet typique de comédie : il sert son maître mais il s'oppose aussi à lui. C'est Cliton qui aura le dernier mot de la pièce : il fait alors l'éloge de son maître et de son habileté à mentir.
Les thèmes
Le thème principal de la pièce est annoncé dès le titre. Cependant, le spectateur se rend vite compte que l'amour est un autre thème qui domine la pièce.
Le mensonge
C'est le thème central de la pièce. Bon nombre de personnages mentent : Dorante, bien évidemment, mais aussi Clarice, Lucrèce et Cliton. Le spectateur assiste, amusé, à la valse des mensonges de Dorante : il est un héros de guerre, il est marié et sa femme est enceinte etc. Ce sont les mensonges qui font avancer la comédie : quiproquo, menteur pris à son propre piège, nouveau mensonge pour en cacher un autre, etc.
En ce sens, Le Menteur est une comédie de caractère qui devrait chercher à dénoncer le mensonge pour mieux le condamner. Mais il est surprenant de constater que, dans cette pièce, ce n'est pas le cas. En effet, Dorante, à la fin, n'est pas puni. Il est même récompensé puisque son mariage avec Lucrèce est annoncé et qu'il est admiré pour ses qualités de menteur. Corneille va jusqu'à inciter le spectateur à mentir : « Par un si rare exemple, apprenez à mentir » (acte V, scène 7).
Dorante est véritablement stimulé par le mensonge qui devient alors un réel art.
Le Menteur propose, au final, une réflexion sur l'art de la comédie (c'est-à-dire l'art du mensonge). Dorante, à l'image de Corneille, crée, par ses mensonges, tout un univers en lequel les autres personnages croient plus ou moins. De la même manière, Corneille, par son « mensonge » dramatique, dupe le spectateur, qui l'espace du temps de la représentation, croit en l'histoire inventée par le dramaturge. Enfin, cette pièce montre qu'il y a différents types de mensonges et que certains sont plus acceptables que d'autres.
L'amour et la galanterie
Dès le début, la pièce se place sous le signe de la galanterie et de l'amour. En effet, Dorante annonce s'être rendu à Paris pour séduire des femmes : « Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les Dames » (acte I, scène 1). Ainsi, Dorante est présenté comme un séducteur qui maîtrise parfaitement les codes de la séduction. En effet il parle de sa « flamme » (acte I, scène 2), de ses « vœux innocents » (acte I, scène 3) et des « beautés » (acte I, scène 6) d'une dame, termes qu'il emprunte au langage précieux.
De plus, au cœur de l'intrigue, il y a un « carré » amoureux avec les histoires d'amour de Dorante, Clarice, Lucrèce et Alcippe qui se croisent. Dorante et Clarice sont deux personnages qui prennent l'amour avec un peu plus de légèreté que les autres. Dorante s'amuse à séduire les jeunes femmes. Clarice, elle, joue le jeu de Dorante en se laissant séduire, déçue que son mariage avec Alcippe soit sans cesse repoussé. Lucrèce et Alcippe, quant à eux, prennent le sentiment amoureux plus au sérieux. Il éprouvent un amour sincère la première pour Dorante et le second pour Clarice.
Ainsi deux facettes de l'amour sont présentes dans cette pièce : l'amour léger, proche du badinage et du libertinage et l'amour profond qui permet de tisser de vrais liens. La fin de la pièce valorise ce dernier type d'amour car ce sont les sentiments véritables qui sont récompensés : Alcippe va épouser Clarice et Dorante va épouser Lucrèce.
Badinage amoureux
Le badinage amoureux est un jeu de séduction d'un personnage qui cherche à séduire par son esprit et son beau langage.
Libertinage
Au XVIIe puis au XVIIIe siècle, le libertinage est l'attitude de celui ou celle qui refuse les contraintes morales et les croyances établies. Le libertinage se traduit par une liberté de pensée et une liberté de conduite amoureuse.
Textes-clés de la pièce
La scène d'exposition (acte I - scène 3)
SCÈNE III.
DORANTE, CLARICE, LUCRÈCE, ISABELLE, CLITON.
DORANTE.
C'est l'effet du malheur qui partout m'accompagne.
Depuis que j'ai quitté les guerres d'Allemagne,
C'est-à-dire du moins depuis un an entier,
Je suis et jour et nuit dedans votre quartier ;
Je vous cherche en tous lieux, au bal, aux promenades ;
Vous n'avez que de moi reçu des sérénades ;
Et je n'ai pu trouver que cette occasion
À vous entretenir de mon affection.
CLARICE.
Quoi ! vous avez donc vu l'Allemagne et la guerre ?
DORANTE.
Je m'y suis fait quatre ans craindre comme un tonnerre.
CLITON.
Que lui va-t-il conter ?
DORANTE.
Et durant ces quatre ans
Il ne s'est fait combats, ni sièges importants,
Nos armes n'ont jamais remporté de victoire,
Où cette main n'ait eu bonne part à la gloire :
Et même la gazette a souvent divulgué ;
CLITON, le tirant par la basque.
Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ?
DORANTE.
Tais-toi.
CLITON.
Vous rêvez, dis-je, ou…
DORANTE.
Tais-toi, misérable.
CLITON.
Vous venez de Poitiers, ou je me donne au diable ;
Vous en revîntes hier.
DORANTE, à Cliton.
Te tairas-tu, maraud ?
Mon nom dans nos succès s'était mis assez haut
Pour faire quelque bruit sans beaucoup d'injustice ;
Et je suivrais encore un si noble exercice,
N'était que l'autre hiver, faisant ici ma cour,
Je vous vis, et je fus retenu par l'amour.
Attaqué par vos yeux, je leur rendis les armes ;
Je me fis prisonnier de tant d'aimables charmes ;
Je leur livrai mon âme ; et ce cœur généreux
Dès ce premier moment oublia tout pour eux.
Vaincre dans les combats, commander dans l'armée,
De mille exploits fameux enfler ma renommée,
Et tous ces nobles soins qui m'avoient su ravir,
Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir.
ISABELLE, à Clarice, tout bas.
Madame, Alcippe vient ; il aura de l'ombrage.
CLARICE.
Nous en saurons, Monsieur, quelque jour davantage.
Adieu.
DORANTE.
Quoi ? me priver sitôt de tout mon bien !
CLARICE.
Nous n'avons pas loisir d'un plus long entretien ;
Et, malgré la douceur de me voir cajolée,
Il faut que nous fassions seules deux tours d'allée.
DORANTE.
Cependant accordez à mes vœux innocents
La licence d'aimer des charmes si puissants.
CLARICE.
Un cœur qui veut aimer, et qui sait comme on aime,
N'en demande jamais licence qu'à soi-même.
Champ lexical de l'amour
Ton péremptoire (impératif)
Antithèse
Valorisation de Clarice
Métaphore militaire
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : Les mensonges de Dorante pour séduire Clarice
- Deuxième mouvement : La relation entre le maître et le valet
- Troisième mouvement : L'éloge amoureux
- Quatrième mouvement : Une jeune femme conquise
L'essentiel à retenir du texte :
- Les mensonges de Dorante : Dorante explique le but initial de son mensonge, il s'agit de se faire bien voir par la jeune femme dans le but de la séduire par la suite. C'est la raison pour laquelle il se fait passer pour un soldat valeureux et courageux, qui n'hésite pas à braver le danger.
- La relation entre le maître et le valet : Cliton voit clair dans le jeu de Dorante, il le perçoit d'emblée comme un menteur immoral. Il dénonce alors cette attitude de son maître, ce qui peut surprendre le spectateur, habitué à découvrir des valets sans scrupule. Il provoque, par sa tirade, la colère de Dorante, mais il permet au spectateur de comprendre les mensonges de ce dernier. Les interventions de Cliton ont ensuite un but comique.
- L'éloge amoureux : Dorante poursuit ses mensonges en expliquant que c'est Clarice qui l'a fait renoncer à retourner à la guerre initialement. Il fait ainsi une déclaration d'amour à la jeune femme en la plaçant sur un piédestal. En effet, il lui fait croire que son amour pour elle lui a fait renoncer à la gloire de servir le roi. Ainsi, Dorante se présente comme un amant dévoué, prêt à tout sacrifier pour celle qu'il aime. D'ailleurs, il emploie la métaphore filée de la guerre pour se donner l'image d'un vaillant chevalier dévoué à l'amour de sa dame, se conformant ainsi aux codes de la préciosité et de la galanterie en vogue à l'époque.
- Une jeune femme conquise : Isabelle, la suivante de Clarice, évoque l'arrivée d'Alcippe. Cela met fin à la conversation entre Clarice et Dorante. Cependant, la jeune femme entretient l'ambiguïté car bien qu'elle feigne de repousser Dorante, elle montre, par ses deux dernières répliques, qu'elle n'est pas insensible à la cour que celui-ci lui fait et l'enjoint, habilement, à la poursuivre.
Le portrait du héros (acte IV – scène 3)
DORANTE, CLITON.
CLITON.
Il est mort ! Quoi ? Monsieur, vous m'en donnez aussi,
À moi, de votre cœur l'unique secrétaire,
À moi, de vos secrets le grand dépositaire !
Avec ces qualités j'avais lieu d'espérer
Qu'assez malaisément je pourrais m'en parer.
DORANTE.
Quoi ! mon combat te semble un conte imaginaire ?
CLITON.
Je croirai tout, Monsieur, pour ne vous pas déplaire ;
Mais vous en contez tant, à toute heure, en tous lieux,
Qu'il faut bien de l'esprit, avec vous, et bons yeux.
Maure, juif ou chrétien, vous n'épargnez personne.
DORANTE.
Alcippe te surprend, sa guérison t'étonne !
L'état où je le mis était fort périlleux ;
Mais il est à présent des secrets merveilleux :
Ne t'a-t-on point parlé d'une source de vie
Que nomment nos guerriers poudre de sympathie ?
On en voit tous les jours des effets étonnants.
CLITON.
Encor ne sont-ils pas du tout si surprenants ;
Et je n'ai point appris qu'elle eût tant d'efficace,
Qu'un homme que pour mort on laisse sur la place,
Qu'on a de deux grands coups percé de part en part,
Soit dès le lendemain si frais et si gaillard.
DORANTE.
La poudre que tu dis n'est que de la commune,
On n'en fait plus de cas ; mais, Cliton, j'en sais une
Qui rappelle sitôt des portes du trépas,
Qu'en moins d'un tournemain on ne s'en souvient pas ;
Quiconque la sait faire a de grands avantages.
CLITON.
Donnez-m'en le secret, et je vous sers sans gages.
DORANTE.
Je te le donnerais, et tu serais heureux ;
Mais le secret consiste en quelques mots hébreux,
Qui tous à prononcer sont si fort difficiles,
Que ce seraient pour toi des trésors inutiles.
CLITON.
Vous savez donc l'hébreu ?
DORANTE.
L'hébreu ? parfaitement :
J'ai dix langues, Cliton, à mon commandement.
CLITON.
Vous auriez bien besoin de dix des mieux nourries,
Pour fournir tour à tour à tant de menteries ;
Vous les hachez menu comme chair à pâtés.
Vous avez tout le corps bien plein de vérités,
Il n'en sort jamais une.
DORANTE.
Ah ! cervelle ignorante !
Mais mon père survient.
Anaphore
Hyperbole
Phrase exclamative pour critiquer Dorante
Énumération des défauts de Dorante
Ironie
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : Cliton fait la critique de son maître
- Deuxième mouvement : Le nouveau mensonge de Dorante
- Troisième mouvement : L'importance du mensonge
L'essentiel à retenir du texte :
- La critique de Dorante : Cliton fait le blâme de Dorante, il le critique vivement, en reprenant de manière ironique les paroles de son maître. En effet, Cliton se sent trahi par Dorante, il se rend compte que son maître s'est également joué de lui et il ne le supporte pas. Il énumère de fait les défauts de Dorante, qui passe son temps à mentir à son entourage.
- Un personnage menteur avant tout : Dorante refuse d'écouter les reproches de son valet et s'en prend vivement à lui. Il fait alors un nouveau mensonge en évoquant un remède miraculeux, ce qui permet à Corneille de dresser une critique de la médecine de son temps. Cependant, Cliton n'est pas dupe, il ne croit pas à ce nouveau mensonge de Dorante et cherche à remettre en cause l'absurdité de son discours, ce qui ne fait que redoubler le mensonge de Dorante.
- Le mensonge au cœur de la scène : Dorante est poussé par Cliton à prononcer un nouveau mensonge, il se vante de connaître tous les secrets de ce remède parce qu'il parle dix langues. Cependant, ce nouveau mensonge, tout comme le précédent, ne fonctionne pas sur Cliton qui s'empresse de répondre à son maître de manière ironique pour lui signifier qu'il ne le croit pas.
Le dénouement (acte V – scène 6)
DORANTE.
Mais enfin vous savez le nœud de l'artifice,
Et que pour être à vous je fais ce que je puis.
CLARICE.
Je ne sais plus moi-même, à mon tour, où j'en suis.
Lucrèce, écoute un mot.
DORANTE, à Cliton.
Lucrèce ! que dit-elle ?
CLITON, à Dorante.
Vous en tenez, Monsieur : Lucrèce est la plus belle ;
Mais laquelle des deux ? J'en ai le mieux jugé,
Et vous auriez perdu si vous aviez gagé.
DORANTE, à Cliton.
Cette nuit à la voix j'ai cru la reconnaître.
CLITON, à Dorante.
Clarice sous son nom parlait à sa fenêtre ;
Sabine m'en a fait un secret entretien.
DORANTE, à Cliton.
Bonne bouche, j'en tiens ; mais l'autre la vaut bien ;
Et comme dès tantôt je la trouvais bien faite,
Mon cœur déjà penchait où mon erreur le jette.
Ne me découvre point ; et dans ce nouveau feu
Tu me vas voir, Cliton, jouer un nouveau jeu.
Sans changer de discours changeons de batterie.
LUCRÈCE, à Clarice.
Voyons le dernier point de son effronterie.
Quand tu lui diras tout, il sera bien surpris.
CLARICE, à Dorante.
Comme elle est mon amie, elle m'a tout appris :
Cette nuit vous l'aimiez, et m'avez méprisée.
Laquelle de nous deux avez-vous abusée ?
Vous lui parliez d'amour en termes assez doux.
DORANTE.
Moi ! depuis mon retour je n'ai parlé qu'à vous.
CLARICE.
Vous n'avez point parlé cette nuit à Lucrèce ?
DORANTE.
Vous n'avez point voulu me faire un tour d'adresse ?
Et je ne vous ai point reconnue à la voix ?
CLARICE.
Nous dirait-il bien vrai pour la première fois ?
DORANTE.
Pour me venger de vous j'eus assez de malice
Pour vous laisser jouir d'un si lourd artifice,
Et vous laissant passer pour ce que vous vouliez,
Je vous en donnai plus que vous ne m'en donniez.
Je vous embarrassai, n'en faites point la fine :
Choisissez un peu mieux vos dupes à la mine.
Vous pensiez me jouer ; et moi je vous jouais,
Mais par de faux mépris que je désavouais ;
Car enfin je vous aime, et je hais de ma vie
Les jours que j'ai vécus sans vous avoir servie.
CLARICE.
Pourquoi, si vous m'aimez, feindre un hymen en l'air,
Quand un père pour vous est venu me parler ?
Quel fruit de cette fourbe osez-vous vous promettre ?
LUCRÈCE, à Dorante.
Pourquoi, si vous l'aimez, m'écrire cette lettre ?
DORANTE, à Lucrèce.
J'aime de ce courroux les principes cachés :
Je ne vous déplais pas, puisque vous vous fâchez.
Mais j'ai moi-même enfin assez joué d'adresse :
Il faut vous dire vrai, je n'aime que Lucrèce.
CLARICE, à Lucrèce.
Est-il un plus grand fourbe ? et peux-tu l'écouter ?
DORANTE, à Lucrèce.
Quand vous m'aurez ouï, vous n'en pourrez douter.
Sous votre nom, Lucrèce, et par votre fenêtre,
Clarice m'a fait pièce, et je l'ai su connaître ;
Comme en y consentant vous m'avez affligé,
Je vous ai mise en peine, et je m'en suis vengé.
Phrases interrogatives pour confondre Dorante
Métaphore de l'amour
Parallélisme
Anaphore
Champ lexical du jeu de dupe
Mouvements du texte :
- Premier mouvement : La vérité révélée
- Deuxième mouvement : La réaction des jeunes femmes à la révélation de la tromperie
- Troisième mouvement : Un renversement de situation
L'essentiel à retenir du texte :
- La vérité révélée : Clarice met officiellement fin au quiproquo en nommant, pour la première fois, Lucrèce. Cliton confirme à son maître Dorante qu'il a bien été dupé sur l'identité des jeunes filles. Ce coup de théâtre fait de Dorante un trompeur trompé. Dorante annonce alors que son cœur penche finalement pour Lucrèce et il projette un nouveau mensonge. Clarice rappelle à Dorante la conversation qu'ils ont eue durant la nuit, alors que Dorante croyait s'adresser à Lucrèce. Elle fait mention du rejet de tout amour envers elle.
- La réaction des jeunes femmes à la révélation de la tromperie : Clarice et Lucrèce, en posant des questions à Dorante, le mettent face à ses contradictions. On remarque que les deux jeunes femmes sont en réalité rivales car chacune aimerait être choisie par Dorante, flattée par un tel amour.
- Un renversement de situation : Dorante, ne pouvant s'avouer vaincu et pris à son propre piège, crée un effet de surprise en faisant une déclaration d'amour inversée. En effet, il maintient une forme de confusion au sujet de la destinataire de son amour en employant le « vous ». Il parvient, par un habile mensonge, à se placer en victime de toutes ces supercheries. C'est un nouveau coup de théâtre.