Sommaire
IParcours : réflexions sur les notions de spectacle et de comédieIIMolière, l'auteur du Malade imaginaireIIIPrésentation de l'œuvreALe résumé de la pièce1L'acte I2L'acte II3L'acte IIIBLes personnages principaux1Argan2Béline3Toinette4AngéliqueCLes thèmes principaux de la pièce1Le comique2L'hypocondrie et la médecine3La déraison et la raisonIVTextes-clésAActe II, scène 2BActe II, scène 5CActe III, scène 10Parcours : réflexions sur les notions de spectacle et de comédie
L'intitulé du parcours étudié relie spectacle et comédie. D'après les définitions de ces deux notions, s'il peut y avoir spectacle sans comédie, il ne peut pas y avoir de comédie sans spectacle.
Une comédie est une pièce divertissante, qui se donne à voir au cours d'un spectacle, suscitant des émotions plaisantes et mettant en scène des personnages dont la condition est généralement modeste. Son dénouement est le plus souvent heureux. Dans une même comédie, on peut relever plusieurs « sous-genres » : comédie de caractère, comédie de mœurs, comédie classique, etc.
La comédie naît durant l'Antiquité grecque, mais elle n'est pas considérée avant les premières pièces de Molière. Le grand genre est alors la tragédie. C'est Molière qui donne à la comédie ses lettres de noblesse.
Un spectacle est d'abord ce qui se donne à voir, un spectacle attire les regards et provoque des réactions. C'est effectivement le cas d'une comédie, qui doit provoquer le rire. Ces réactions sont suscitées par des représentations théâtrales, dansantes, cinématographiques, etc.
Le choix du genre comique est fondamental dans la construction de la pièce. Le caractère des personnages et l'intrigue doivent être en adéquation avec les caractéristiques de ce genre. La pièce doit également pouvoir être transformée en spectacle, il est donc important pour l'auteur de penser à la mise en scène lors de la phase d'écriture.
Le but premier de la comédie est certes de faire rire le spectateur/lecteur en recourant à un registre humoristique, mais elle peut aussi être le moyen de dénoncer et de critiquer.
L'intitulé du parcours invite à se poser diverses questions :
- Quelles sont les caractéristiques d'une comédie ?
- Quelles sont les caractéristiques d'un personnage comique ?
- Qu'est-ce qu'un spectacle ?
- La comédie est-elle nécessairement uniquement drôle ?
- Comment le spectacle et la comédie permettent-ils de dénoncer et critiquer ?
Molière, l'auteur du Malade imaginaire
Molière, de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, est un comédien et dramaturge du XVIIe siècle. Il est connu pour la diversité des registres dans lesquels il écrit : farces, comédies-ballets, comédies de mœurs. Si ses pièces ont du succès, elles ne sont pourtant pas appréciées de tous. Elles choquent notamment les plus croyants de la société de l'époque, en dénonçant certaines dérives comme l'hypocrisie religieuse. Malgré plusieurs scandales, ses pièces rencontrent le succès et Molière reste protégé par le roi Louis XIV. Aujourd'hui, Molière est considéré comme un auteur classique majeur.
Molière est le pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin, né en 1622 et décédé en 1673. Il est le fils du tapissier du roi. Il perd sa mère à 10 ans.
Jean-Baptiste Poquelin fait ses études au collège de Clermont à Paris et part ensuite à Orléans, où il obtient une licence en droit. Il exerce le métier d'avocat durant 5 mois avant de s'orienter vers le théâtre contre la volonté de son père. Son grand-père, amateur de la Comédie-Italienne et des troupes italiennes itinérantes pratiquant un théâtre fondé sur l'improvisation et le jeu des masques (la commedia dell'arte), l'initie au monde du théâtre.
En 1643, Jean-Baptiste Poquelin débute sa carrière en fondant la troupe de l'Illustre Théâtre avec Madeleine Béjart. C'est une comédienne déjà connue du public. L'année suivante, en 1644, il prend le pseudonyme de Molière.
Cependant, le succès n'est pas au rendez-vous pour la troupe, et très vite, elle s'endette. Molière est alors incarcéré pour dettes. Après avoir purgé sa peine, il part jouer en province avec Madeleine Béjart qui devient également sa compagne. Ils parcourent la France pendant quinze ans. Durant ces années, le comédien se forge une solide expérience d'acteur, de directeur de troupe mais aussi de metteur en scène. C'est également durant cette période qu'il écrit ses premiers textes (La Jalousie du barbouillé, Le Dépit amoureux).
Quinze ans plus tard, en 1658, Molière retourne à Paris. Il est protégé par le duc d'Orléans. Sa troupe et lui jouent devant le roi Louis XIV. En 1659, Les Précieuses ridicules connaissent un triomphe. La troupe parvient à s'installer au Palais-Royal. À partir de ce moment, Molière multiplie les créations théâtrales dans des registres chaque fois très différents : farce, comédie-ballet (Le Malade imaginaire), comédie de mœurs (L'École des femmes, L'École des maris).
Les pièces de Molière choquent une partie de la société. La pièce Tartuffe, jouée à Versailles en 1664, dénonce l'hypocrisie religieuse : elle provoque le scandale. Elle est interdite jusqu'en 1669. Dom Juan est créé en 1665 et connaît le même sort que Tartuffe. Deux autres pièces suivent, Le Misanthrope en 1666 et L'Avare en 1668.
Pour calmer les esprits, Molière s'oriente vers un théâtre plus divertissant : la comédie-ballet. Il écrit successivement Le Bourgeois gentilhomme, Les Fourberies de Scapin, L'Avare, Les Femmes savantes, et enfin Le Malade imaginaire en 1673.
Molière est emporté par une hémoptysie le 17 février 1673. Il meurt juste après une représentation du Malade imaginaire, pièce dans laquelle il joue le rôle d'Argan.
Présentation de l'œuvre
Le résumé de la pièce
La pièce se déroule dans une maison bourgeoise. Elle met en scène Argan qui pousse sa fille Angélique à épouser un médecin. Mais celle-ci, déjà amoureuse de Cléante, refuse. Pendant toute la pièce, Argan est persuadé d'être très malade et que sa fin est proche. Le dénouement est heureux, Argan comprend que son épouse Béline ne l'aime pas et tente de lui prendre ses richesses, et il accorde à sa fille le droit d'épouser Cléante. Cette pièce se déroule en trois actes.
L'acte I
Dans le premier acte, les personnages et la situation sont introduits : Argan, se croyant gravement malade, cherche à marier sa fille à un médecin.
Argan pense qu'il est gravement malade. Il est entouré de médecins et croit souffrir de plusieurs maladies. Il évoque son souhait de marier Angélique, sa fille aînée, à Thomas Diafoirus, un médecin. Mais secrètement, Angélique est déjà amoureuse de Cléante, un jeune premier de comédie. Elle avoue cet amour à sa servante Toinette.
Béline, la nouvelle épouse d'Argan, souhaite qu'Angélique et Louison, la fille cadette d'Argan, se retirent dans un couvent afin qu'elle puisse hériter de toute la fortune de son époux. Elle fait venir un notaire avec qui elle est complice pour rédiger le testament de son mari. Toinette comprend les intrigues de Béline. Dévouée à son maître et aux filles de celui-ci, elle décide de déjouer ses plans.
Dès la première scène, Molière déstabilise le spectateur. En effet, habituellement, la scène d'exposition d'une pièce de théâtre confronte toujours deux personnages. Mais dans le Malade imaginaire, Argan est seul en train de vérifier la facture de l'apothicaire. Cette facture permet déjà d'entrevoir l'obsession d'Argan pour la maladie et la médecine. On découvre ensuite le conflit entre un maître ridiculement déraisonnable et sa servante moqueuse, Toinette.
Dans ce premier acte, Molière présente un père tyrannique qui souhaite forcer sa fille à épouser le mari qu'il a choisi. On découvre une Toinette complice d'Angélique, qui conteste l'autorité de son maître et qui n'hésite pas à le ridiculiser pour défendre sa protégée. Par son attitude, elle montre au public l'aveuglement d'Argan.
L'acte II
Le deuxième acte est marqué par l'entrée de Cléante, dont Angélique est amoureuse, qui s'introduit dans la maison d'Argan en se faisant passer pour un maître de musique.
Cléante s'introduit dans la maison d'Argan et se fait passer pour le remplaçant du professeur de musique. Pensant avoir devant lui un véritable professeur de musique, Argan demande à Cléante de chanter. Il souhaite qu'Angélique l'accompagne. Les Diafoirus, père et fils, assistent à la scène.
Les deux amants se prêtent au jeu et entonnent un air d'opéra, dont ils se servent pour se déclarer leur amour. Mais le leurre des deux jeunes ne fonctionne pas. Argan découvre l'imposture et chasse Cléante de chez lui. Furieux, il menace sa fille de la faire entrer au couvent si elle persiste à aimer Cléante et à ne pas épouser Thomas Diafoirus.
Cléante s'est réfugié dans les appartements d'Angélique. Béline découvre son intrusion. Elle rapporte à son époux qu'il y a un homme chez Angélique. Argan interroge Louison, afin d'obtenir plus d'informations sur cette affaire. Sa fille cadette n'étant pas très douée pour les secrets, il devine que le garçon présent est Cléante. Se considérant comme le plus malheureux des hommes, il se lamente sur sa situation. Béralde, le frère d'Argan, arrive et lui propose un divertissement dansant.
Le personnage de Thomas Diafoirus apparaît comme un être niais et stupide. De plus, il est dans l'incapacité de comprendre Angélique et de communiquer avec elle.
L'acte III
Dans le troisième acte, l'intrigue se résout. Argan démasque la cupidité de sa femme, qu'il chasse, et autorise les deux amoureux à se marier.
Béralde cherche à éclairer son frère sur ses maladies imaginaires. Il lui conseille de se méfier des médecins. Il défend également les intérêts de sa nièce. Afin d'essayer de dégoûter son maître de la médecine, Toinette se déguise en médecin. Argan, qui commence à réfléchir, se fait passer pour mort. Il découvre ainsi la cupidité de sa femme, heureuse de son décès, et décide de la chasser. Parallèlement, il se rend compte de la bonté de sa fille et de Cléante. Il accepte finalement le mariage. Sur les conseils de Béralde et de Toinette, Argan devient docteur.
Avec le numéro d'indignation de M. Purgon, médecin d'Argan, la satire de la médecine est exacerbée. La raison gagne son combat contre la déraison avec l'arrivée de Béralde le « raisonneur ».
Les personnages principaux
Quatre personnages tirent les ficelles de l'histoire : Argan, Béline, Toinette et Angélique.
Argan
Argan est un riche bourgeois dont la maladie imaginaire, point de départ de l'intrigue, représente sa difficulté à s'intégrer à la société. Il fait preuve d'une démesure qui fait rire le spectateur, mais qui inquiète sa famille.
Molière a l'habitude de présenter de grands bourgeois à l'attitude ridicule dans ses pièces de théâtre. Argan est inadapté à la société dans laquelle il vit, il est asocial. C'est un homme incapable de mener une vie en harmonie avec les autres et de vivre dans la vie réelle. Son existence est déséquilibrée, il se réfugie derrière la maladie afin de cacher cette inadaptation et ce déséquilibre. Au fur et à mesure des scènes, il se comporte tantôt comme un tyran, tantôt comme un enfant blessé ou gâté. Ces changements d'attitude traduisent sa démesure, c'est un hypocondriaque qui trouve un sens à sa vie dans la maladie.
Sa folie fait rire le spectateur, mais elle inquiète son entourage. L'indifférence qu'il porte aux autres et l'égoïsme dont il fait preuve sont présents tout au long de la pièce. Afin d'améliorer son confort médical, il souhaite utiliser sa fille comme une marchandise. Et quand celle-ci s'oppose à ses projets et va à l'encontre de sa volonté, il prétend la déshériter.
Même si ses plans sont finalement stoppés par Béralde et Toinette, Argan reste incurable. À la fin de la pièce, sa folie n'est plus dangereuse pour ses proches mais il reste inadapté à la vie en société.
Béline
Béline, représentant l'épouse hypocrite et intéressée, n'apparaît sur scène que pour semer la discorde.
Béline est une intrigante qui incarne la figure de l'épouse hypocrite et intéressée. Elle est peu présente sur scène, elle n'apparaît d'ailleurs que dans 5 scènes. Cependant, lorsqu'elle est présente, elle sème la discorde avec efficacité. C'est une femme rusée et perspicace, elle a cerné l'esprit de son mari. Elle s'emploie donc à nourrir sa folie, à le conforter dans ses obsessions et dans son identité de malade gravement atteint. De plus, elle l'infantilise excessivement en s'assurant que l'affection maternelle qu'elle lui donne sera récompensée financièrement. C'est la confiance qu'elle place en Toinette qui la perdra car Toinette, fidèle à ses maîtres, l'exploitera très habilement.
Toinette
Toinette, la servante d'Argan, est une femme critique qui tente d'éclairer Argan, ainsi que le spectateur, sur la part de ridicule de chacun des personnages.
Toinette est une femme facétieuse, impertinente et sarcastique. Elle se moque constamment de son maître Argan et le ridiculise en toute occasion. Elle cherche à éclairer Argan et à le rendre plus clairvoyant, elle n'hésite pas à bafouer son autorité pour cela. Son caractère est différent avec Angélique, elle se montre tendre, prévenante voire maternelle.
Les interventions de Toinette dans la pièce sont toujours pertinentes. On peut dire qu'elle éclaire le spectateur sur la part de ridicule de chacun des personnages. D'une certaine façon, elle incarne l'œil critique de la pièce.
Angélique
Angélique est la fille d'Argan. Elle illustre l'idéal de la transparence morale. Son évolution au cours de l'histoire est la plus remarquable.
Angélique découvre l'amour et se rebelle face à l'autorité. Elle passe de la jeune innocente qui tombe amoureuse pour la première fois à une femme de caractère qui remet Béline à sa place. C'est l'évolution du langage qu'elle utilise tout au long de la pièce qui montre l'affirmation de son caractère. Ses premières répliques expriment l'émoi amoureux. Puis, plus on avance dans la pièce, plus ces répliques deviennent agressives, perfides, sèches, notamment quand elle s'adresse à Béline.
Angélique incarne l'idéal de la transparence morale. Qu'elle défende son amour ou qu'elle y renonce, elle utilise la même énergie et la même combativité.
Les thèmes principaux de la pièce
Les trois thèmes principaux de la pièce permettent à Molière de faire rire le spectateur, tout en abordant des sujets importants pour l'époque. Ainsi, on note la présence du comique, de l'hypocondrie et de la médecine, de la déraison et de la raison.
Le comique
La comédie-ballet est créée par Molière. Dans Le Malade imaginaire, plusieurs types de comique sont utilisés pour faire rire le spectateur ou le lecteur : le comique de geste, le comique de mots, le comique de situation et le comique de caractère. Ce dernier type de comique est surtout utilisé par Argan.
La particularité du Malade imaginaire est d'être une comédie-ballet. C'est Molière qui crée ce genre théâtral afin de divertir la cour de Louis XIV. La comédie-ballet mélange théâtre, musique et danse. Molière demande au musicien Marc-Antoine Charpentier de composer la musique de cette pièce. Le Malade imaginaire rentre dans la catégorie des comédies. Les situations comiques, les moqueries et l'exagération sont les caractéristiques de la comédie.
Au XVIIe siècle, toutes les pièces qui se terminent bien sont considérées comme des comédies.
Dans Le Malade imaginaire, le registre comique est présent. Molière ne cesse d'utiliser des procédés comiques pour divertir au mieux le spectateur.
Le comique de geste est utilisé dans Le Malade imaginaire. Dans l'acte I, à la scène 5, Toinette et Argan se confrontent. Cette scène rappelle fortement celle qui oppose Dorine, la servante, à son maître Orgon dans Tartuffe. Comme Argan, Orgon veut lui aussi marier sa fille contre son gré. Les similitudes entre Toinette et Dorine sont notables. Les deux servantes ont la même impertinence et la même audace.
Dans Le Malade imaginaire, Argan est impuissant face à sa servante qui le fait tourner en bourrique, cela accentue la bouffonnerie de la scène. Il est excédé par Toinette qui se joue de lui en donnant des ordres à sa place. Il cherche à prendre le dessus, en s'armant d'un bâton et en la poursuivant autour d'une table. C'est une action vaine qui est finalement plus pénible pour lui que pour sa servante.
Dans la scène 6 de l'acte I, Toinette ensevelit son maître sous ses oreillers en se souciant peu de la présence de Béline. Le contraste entre Toinette, la malicieuse pleine d'énergie, et Argan, l'éternel convalescent léthargique, est un des ingrédients du comique très efficace dans cette pièce.
Dans la scène 5 de l'acte III, on retrouve encore une fois Argan dans une posture ridicule. Il est désespéré par les prévisions funestes de M. Purgon, son médecin. Considérant celui-ci comme son sauveur, Argan l'implore de lui sauver la vie avec des gestes de supplication. La gestuelle d'Argan n'est pas précisée dans les didascalies, mais l'écriture de Molière est précise, elle fournit de nombreuses indications pour inspirer le jeu de l'acteur.
Le comique de mots est d'abord présent dans les noms des personnages : Purgon, Bonnefoi. Le rire est suscité par l'effet comique produit par des répétitions, des jeux de mots, des mélanges de registres de langue, etc. On le retrouve surtout dans les reparties de Toinette, notamment lorsqu'elle s'exprime par des jeux de mots ou lorsqu'elle utilise l'ironie pour ridiculiser les médecins.
« C'est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez ».
Molière
Le Malade imaginaire, Acte I, scène 2
1673
L'ironie du passage naît dans le jeu de mots entre le nom de l'apothicaire, M. Fleurant, et le nez. Fleurant vient du verbe « fleurer », qui signifie « sentir une odeur », d'où l'analogie avec le nez. Dans cette scène, Argan lui demande si son lavement a été efficace. Toinette lui répond que ce n'est pas à elle de s'en assurer et, par ce jeu de mots ironique, critique dans le même temps la médecine.
Toinette incarne le comique de mots dans cette pièce, même quand elle n'en est pas la source directe. En effet, les injures que profère Argan à son encontre (« impudente », « coquine », etc.) appartiennent au comique de mots. Plus le maître insulte sa servante, plus il semble impuissant face à l'indifférence de Toinette. Elle le nargue et sa colère devient dérisoire face à cette attitude.
On retrouve enfin le comique de mots dans les discours ridicules des médecins, notamment dans les dialogues des Diafoirus. Ils font preuve d'une suffisance et d'un manque de simplicité qui relèvent de l'absurde et du ridicule. Dans la pièce, les médecins s'expriment de façon caricaturale et multiplient l'utilisation des superlatifs et des hyperboles.
« THOMAS DIAFOIRUS.
Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon, rendait un son harmonieux, lorsqu'elle venoit à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés. Et comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon cœur dores-en-avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce cœur, qui ne respire, et n'ambitionne autre gloire, que d'être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, et mari. »
Molière
Le Malade imaginaire, Acte II, scène 5
1673
Thomas Diafoirus, le fils de M. Diafoirus avec lequel Argan veut marier sa fille, rencontre ici pour la première fois sa future épouse, Angélique. En plus de s'exprimer d'une façon caricaturale et exagérée pour une première rencontre, il fait également appel à des références extérieures extrêmement recherchées.
Le comique de situation est également présent dans Le Malade imaginaire. L'effet comique est alors produit par la situation d'un personnage dans l'histoire. La situation est généralement racontée sous forme de surprises, rebondissements, coïncidences ou quiproquos. Dans la scène 5 de l'acte I, on observe ainsi un quiproquo entre Angélique et Argan : Angélique pense à Cléante et cela la remplit de joie. Argan est satisfait car il pense marier sa fille. Le père et la fille sont tous les deux euphoriques pour des raisons différentes. Ce qui rend le quiproquo efficace dans cette scène, c'est que le spectateur ignore les projets d'Argan, il découvre le malentendu en même temps que les personnages.
Le comique de caractère, produit par la description des traits moraux, des vices ou des idées des personnages, est présent par l'intermédiaire du personnage d'Argan. Ses sautes d'humeur sont au cœur du Malade imaginaire. Son ingénuité excessive, sa peur et son impulsivité sont autant d'attitudes qui accentuent le comique de la pièce. En écoutant avec docilité les extravagances de Toinette déguisée en médecin ou encore en se laissant intimider par les prévisions de M. Purgon, Argan fait rire du début à la fin.
L'hypocondrie et la médecine
La maladie, et plus précisément la maladie imaginaire, est au centre de la pièce. Argan est un hypocondriaque, c'est-à-dire une personne toujours préoccupée par sa santé qui craint perpétuellement d'être malade. Par le biais de ce personnage, Molière fait la satire de la médecine de l'époque.
Argan pense que la maladie et la mort le menacent de façon permanente. Le Malade imaginaire est une satire, c'est-à-dire un écrit dans lequel l'auteur fait la critique d'une époque, d'une politique, d'une morale. Ici, Molière s'attaque à la médecine. À l'instar d'autres pièces où il déguisait des valets en médecins (Le Médecin malgré lui), Molière représente des personnages de médecins qu'il tourne en dérision. Au temps de Molière, la médecine n'est pas évoluée. Les maladies sont toutes soignées de la même façon : par des saignées, des purges et des clystères(lavement ou injection). Les médecins ont une mauvaise réputation. Ils sont souvent moqués dans les pièces de théâtre de l'époque. À cause des pertes familiales qu'il a subies (son fils, sa compagne), l'hostilité qu'éprouve Molière envers la médecine est sincère. Il croit en la toute-puissance de la nature et considère qu'on ne doit pas la corriger.
La pièce de Molière est une satire de son époque. Cependant, son thème est tout aussi actuel au XXIe siècle. La peur de la maladie est universelle. Les « Argans » sont nombreux en 2020. Le paradoxe du XXIe siècle fait que plus la science évolue et guérit, plus la peur de la maladie se développe dans les sociétés modernes.
La déraison et la raison
La pièce est marquée par la déraison dont fait preuve Argan avec son obsession de la maladie. Cette déraison semble dicter toutes ses réactions et ses décisions, y compris celle de marier sa fille à un médecin. Elle est dangereuse, étant donné qu'elle efface tout discernement.
Argan a avant tout une maladie de la raison. Son obsession de la maladie développe une passion pour la médecine. Il voue une confiance aveugle aux médecins, au détriment de tout bon sens. Au fur et à mesure de la pièce, les différents aspects de sa personnalité se révèlent. Il est tantôt capricieux, infantile, crédule, tantôt autoritaire ou homme d'affaires éclairé. Mais la déraison dont il fait preuve à des degrés différents reste dominante.
À cause de sa passion pour la médecine, Argan souhaite marier sa fille contre son gré à un médecin. Pour lui, il serait pratique de disposer d'un médecin à volonté. Le culte qu'il voue aux médecins le pousse à croire à tout et n'importe quoi. Il croit successivement aux diagnostics contradictoires de Purgon et des Diafoirus, puis aux balivernes que lui raconte Toinette lorsqu'elle est déguisée en médecin. Son respect de la science prévaut sur sa lucidité.
Sa déraison devient dangereuse et prend la forme de l'aveuglement lorsqu'il envisage de déshériter ses enfants au profit de son épouse hypocrite et vénale. Le seul antidote que Molière trouve à la déraison d'Argan est la raison de Toinette et de Béralde. Les interventions de ces deux personnages opposent toujours des arguments de bon sens au manque de lucidité et à l'extravagance d'Argan. Béralde et Toinette incarnent la sagesse et la raison. Ils sont attachés à la vérité, ils font preuve de clairvoyance. Le combat qu'ils mènent arrive finalement à rendre la déraison d'Argan inoffensive.
Molière se sert de ces deux personnages pour défendre sa satire. Les arguments de Béralde sont la traduction de sa propre pensée.
Textes-clés
Acte II, scène 2
« ARGAN.
Monsieur Purgon m'a dit de me promener le matin dans ma chambre douze allées et douze venues ; mais j'ai oublié à lui demander si c'est en long ou en large.
TOINETTE.
Monsieur, voilà un…
ARGAN.
Parle bas, pendarde ! Tu viens m'ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu'il ne faut point parler si haut à des malades.
TOINETTE.
Je voulais vous dire, Monsieur…
ARGAN.
Parle bas, te dis-je.
TOINETTE.
Monsieur… (Elle fait semblant de parler)
ARGAN.
Eh ?
TOINETTE.
Je vous dis que… (Elle fait semblant de parler)
ARGAN.
Qu'est-ce que tu dis ?
TOINETTE, haut.
Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.
ARGAN.
Qu'il vienne. (Toinette fait signe à Cléante d'avancer.)
CLÉANTE.
Monsieur…
TOINETTE, raillant.
Ne parlez pas si haut, de peur d'ébranler le cerveau de Monsieur.
CLÉANTE.
Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout et de voir que vous vous portez mieux.
TOINETTE, feignant d'être en colère.
Comment qu'il se porte mieux ? Cela est faux, Monsieur se porte toujours mal.
CLÉANTE.
J'ai ouï dire que Monsieur était mieux, et je lui trouve bon visage.
TOINETTE.
Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l'a fort mauvais, et ce sont des impertinents qui vous ont dit qu'il était mieux. Il ne s'est jamais si mal porté.
ARGAN.
Elle a raison.
TOINETTE.
Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres ; mais cela n'empêche pas qu'il ne soit fort malade.
ARGAN.
Cela est vrai.
CLÉANTE.
Monsieur, j'en suis au désespoir. Je viens de la part du maître à chanter de Mademoiselle votre fille. Il s'est vu obligé d'aller à la campagne pour quelques jours, et, comme son ami intime, il m'envoie à sa place pour lui continuer ses leçons de peur qu'en les interrompant elle ne vînt à oublier ce qu'elle sait déjà.
ARGAN.
Fort bien. Appelez Angélique.
TOINETTE.
Je crois, Monsieur, qu'il sera mieux de mener Monsieur à sa chambre.
ARGAN.
Non, faites-la venir.
TOINETTE.
Il ne pourra lui donner leçon comme il faut s'ils ne sont en particulier.
ARGAN.
Si fait, si fait.
TOINETTE.
Monsieur, cela ne fera que vous étourdir, et il ne faut rien pour vous émouvoir en l'état où vous êtes, et vous ébranler le cerveau.
ARGAN.
Point, point, j'aime la musique, et je serai bien aise de… Ah ! la voici. Allez-vous-en voir, vous, si ma femme est habillée. »
- La prescription de Monsieur Purgon est par essence ridicule. Molière ridiculise les médecins et affirme le caractère satirique de sa pièce.
- Comique de caractère : infantilité d'Argan.
- Effets de surprise : Argan accepte que sa servante se moque de lui.
- Phrase à caractère jussif : l'emploi du futur dévoile un ordre direct (mais atténué) de Toinette à son maître.
L'essentiel à retenir du texte :
- Argan est une personne méfiante, ce qui remet en cause sa folie. Elle n'est pas si étendue qu'on le pense. Il est obsédé par la maladie, ce qui relève plus du psychologique que du physique.
- C'est l'une des rares scènes où Argan approuve sa servante.
- La scène se passe en trois mouvements : le dialogue entre Toinette et Argan, la rencontre entre Argan et Cléante, et la double énonciation accompagnée d'effets d'ironie.
Acte II, scène 5
« MONSIEUR DIAFOIRUS.
… Allons, Thomas, avancez. Faites vos compliments.
THOMAS DIAFOIRUS.
N'est-ce pas par le père qu'il convient commencer ?
MONSIEUR DIAFOIRUS.
Oui.
THOMAS DIAFOIRUS.
Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père ; mais un second père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a engendré ; mais vous m'avez choisi. Il m'a reçu par nécessité ; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce que je tiens de lui est un ouvrage de son corps, mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté ; et d'autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future filiation, dont je viens aujourd'hui vous rendre par avance les très humbles et très respectueux hommages.
TOINETTE.
Vivent les collèges, d'où l'on sort si habile homme !
THOMAS DIAFOIRUS.
Cela a-t-il bien été, mon père ?
MONSIEUR DIAFOIRUS.
Optime.
ARGAN, à Angélique.
Allons, saluez monsieur.
THOMAS DIAFOIRUS.
Baiserai-je ?
MONSIEUR DIAFOIRUS.
Oui, oui.
THOMAS DIAFOIRUS, à Angélique.
Madame, c'est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on…
ARGAN.
Ce n'est pas ma femme, c'est ma fille à qui vous parlez.
THOMAS DIAFOIRUS.
Où donc est-elle ?
ARGAN.
Elle va venir.
THOMAS DIAFOIRUS.
Attendrai-je, mon père, qu'elle soit venue ?
MONSIEUR DIAFOIRUS.
Faites toujours le compliment de Mademoiselle.
THOMAS DIAFOIRUS.
Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon, rendait un son harmonieux, lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du soleil : tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés. Et, comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon cœur dores-en-avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce cœur qui ne respire et n'ambitionne autre gloire que d'être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant et très fidèle serviteur et mari.
TOINETTE, en le raillant.
Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses. […]
THOMAS DIAFOIRUS, il tire une grande thèse roulée de sa poche, qu'il présente à Angélique.
J'ai contre les circulateurs soutenu une thèse, qu'avec la permission de Monsieur, j'ose présenter à Mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit.
ANGÉLIQUE.
Monsieur, c'est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là.
TOINETTE.
Donnez, donnez. Elle est toujours bonne à prendre pour l'image ; cela servira à parer notre chambre.
THOMAS DIAFOIRUS.
Avec la permission aussi de Monsieur, je vous invite à venir voir l'un de ces jours, pour vous divertir, la dissection d'une femme, sur quoi je dois raisonner.
TOINETTE.
Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant. »
- Des paroles qui montrent le comportement autoritaire et directif de M. Diafoirus mais également celui d'Argan. Le manque de vivacité d'esprit de Thomas est souligné. Molière renforce ainsi le procédé du comique de caractère.
- Thomas a un comportement infantile. Sa stupidité est mise en exergue dans cette scène. Il quémande l'approbation de son père pour chacune de ses questions et de ses gestes. Il multiplie les maladresses quand il agit par lui-même. Par étourderie, il confond sa promise et sa future belle-mère. Pour la même raison et pensant la séduire ainsi, il propose à Angélique de venir voir une dissection. Par l'intermédiaire du ridicule et du grotesque de situation, Molière forge une esthétique du rire présente dans toute la pièce.
- L'ironie de Toinette est marquée par l'utilisation d'antiphrases.
- Utilisation de parallélismes et d'antithèses. Thomas oppose son père et son beau-père dans le but de montrer la supériorité d'Argan et d'avoir ses bonnes grâces.
- Rythme ternaire : effet de simultanéité. Superlatifs.
- Accumulation : effet d'amplification.
- Périphrases : utilisation du terme « second père » pour qualifier son futur beau-père et « Astre du jour » pour parler du soleil.
- Métaphores : Thomas fait de la femme une déesse et l'assimile au soleil.
- Vocabulaire qui appartient à la préciosité, adjectifs emphatiques.
L'essentiel à retenir du texte :
La scène 5 de l'acte II raconte la rencontre entre Argan et les Diafoirus père et fils. M. Diafoirus présente son fils Thomas. Celui-ci doit demander la main d'Angélique. C'est une scène qui mélange le comique de situation, la parodie et le comique de caractère. Sur fond de drôlerie, la scène est une satire des mœurs de l'époque de Molière. Elle théâtralise une rencontre amoureuse arrangée. La scène est bien remplie. Il y a deux « camps » présents. Des personnages très variés animent la scène. On retrouve les vieux (les deux pères Argan et M. Diafoirus) et les jeunes (Thomas le prétendant et Angélique). Toinette, la servante, est également présente sur la scène. La façon dont Thomas s'exprime est un concentré de pédantisme et de préciosité. Il utilise les longues phrases que l'on trouve généralement dans les envolées lyriques. Molière rend sa présence sur scène grotesque.
Acte III, scène 10
« TOINETTE.
Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.
ARGAN, bas à Béralde.
Cela est admirable !
TOINETTE.
Vous ne trouverez pas mauvais, s'il vous plaît, la curiosité que j'ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes ; et votre réputation, qui s'étend partout, peut excuser la liberté que j'ai prise.
ARGAN.
Monsieur, je suis votre serviteur.
TOINETTE.
Je vois, Monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j'aie ?
ARGAN
Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.
TOINETTE.
Ah, ah, ah, ah, ah ! J'en ai quatre-vingt-dix.
ARGAN.
Quatre-vingt-dix ?
TOINETTE.
Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.
ARGAN.
Par ma foi, voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans.
TOINETTE.
Je suis médecin passager qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatisme et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs et à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine : c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes, et l'envie que j'aurais de vous rendre service.
ARGAN.
Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
TOINETTE.
Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy ! ce pouls-là fait l'impertinent. Je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?
ARGAN.
Monsieur Purgon.
TOINETTE.
Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?
ARGAN.
Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.
TOINETTE.
Ce sont tous des ignorants : c'est du poumon que vous êtes malade.
ARGAN.
Du poumon ?
TOINETTE.
Oui. Que sentez-vous !
ARGAN.
Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE.
Justement, le poumon.
ARGAN.
Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.
TOINETTE.
Le poumon.
ARGAN.
J'ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE.
Le poumon.
ARGAN.
Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE.
Le poumon.
ARGAN.
Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'étaient des coliques.
TOINETTE.
Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?
ARGAN.
Oui, Monsieur.
TOINETTE.
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?
ARGAN.
Oui, Monsieur.
TOINETTE.
Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas et vous êtes bien aise de dormir ?
ARGAN.
Oui, Monsieur.
TOINETTE.
Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ?
ARGAN.
Il m'ordonne du potage.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
De la volaille.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGANT.
Du veau.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Des bouillons.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Des œufs frais.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Et le soir de petits pruneaux, pour lâcher le ventre.
TOINETTE.
Ignorant !
ARGAN.
Et surtout de boire mon vin fort trempé.
TOINETTE.
Ignorantus, ignoranta, ignorantum ! Il faut boire votre vin pur ; et pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps tandis que je serai en cette ville.
ARGAN.
Vous m'obligez beaucoup.
TOINETTE.
Que diantre faites-vous de ce bras-là ?
ARGAN.
Comment ?
TOINETTE.
Voilà un bras que je me ferais couper tout à l'heure, si j'étais que de vous.
ARGAN.
Et pourquoi ?
TOINETTE.
Ne voyez-vous pas qu'il tire à soi toute la nourriture, et qu'il empêche ce côté-là de profiter ?
ARGAN.
Oui ; mais j'ai besoin de mon bras.
TOINETTE.
Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j'étais en votre place.
ARGAN.
Crever un œil ?
TOINETTE.
Ne voyez-vous pas qu'il incommode l'autre et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt ; vous en verrez plus clair de l'œil gauche.
ARGAN.
Cela n'est pas pressé.
TOINETTE.
Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se doit faire pour un homme qui mourut hier.
ARGAN.
Pour un homme qui mourut hier ?
TOINETTE.
Oui, pour aviser, et voir ce qu'il aurait fallu lui faire pour le guérir. Jusqu'au revoir.
ARGAN.
Vous savez que les malades ne reconduisent pas. »
- Utilisation de la gradation, afin d'intensifier l'importance du médecin.
- Amplification de l'importance du médecin par l'utilisation de l'accumulation.
- Épanalepse.
- Complément circonstanciel de but.
- L'adverbe « trop » souligne l'excès.
- Comique d'opposition qui met en exergue le caractère arbitraire des ordonnances et contre-ordonnances.
- Allitération en [b].
- Énumération avec répétition de conjonction de coordination.
- Asyndète. Dans cette tirade sans réplique possible, Molière condamne les médecins.
- Adjectif possessif : montre le mépris de Toinette et la mise à distance qu'elle installe entre elle et les médecins.
- Confirmation de l'« Ignorantus, ignoranta, ignorantum ».
- Allitération en [v].
L'essentiel à retenir du texte :
- Toinette utilise un dernier recours pour éviter le malheur d'Angélique. Elle éclaire Argan. On constate son rôle dans le dénouement final. Elle montre finalement à Argan que tous ses soi-disant symptômes sont au final des indicateurs de bonne santé. Molière utilise le comique de répétition pour montrer que les prescriptions des médecins sont aléatoires.
- La scène présente trois mouvements principaux : Toinette (déguisée en médecin) arrive chez Argan dans le but de l'ausculter à domicile. Toinette prescrit à Argan un régime alimentaire et lui donne des conseils à suivre, la scène prend fin avec un échange sur propositions d'amputations diverses et des adieux entre le médecin et son patient.