Sommaire
IParcours : réflexions sur « Individu, morale et société »IIL'auteur : Madame de La Fayette (1634-1693)IIIL'œuvre : La Princesse de Clèves (1678)IVTextes-clésALa rencontre au bal, première partieBLa lettre, troisième partieCLe refus de la princesse, quatrième partieParcours : réflexions sur « Individu, morale et société »
L'intitulé du parcours met en relation l'individu, c'est-à-dire la personne dans sa singularité, et la société, c'est-à-dire le groupe social, la communauté.
L'individu s'inscrit dans le groupe social auquel il appartient. Il peut se penser et être pensé comme faisant partie de ce groupe, s'intégrant à ce groupe, ou s'en distinguant.
Le roman est le genre littéraire qui permet de mieux développer le personnage. Le romancier interroge l'individu et illustre de manière privilégiée la relation qu'il entretient avec la société. Ce rapport est pensé de manière différente selon l'époque. Les questions qui se posent sont :
- Comment l'individu s'inscrit-il dans la société ?
- Quelle part y prend-il ?
- Quel regard porte-t-il sur la société ?
- Quel regard la société porte-t-elle sur lui ?
L'intitulé du parcours indique un axe dans l'étude de ces rapports, celui de la morale, terme central de l'intitulé :
- Quelle morale la société impose-t-elle à l'individu ?
- Dans quelle mesure cette morale sociale se présente-t-elle à lui comme une contrainte ?
- Peut-il s'en libérer ?
- En quoi la morale influence-t-elle son rapport aux autres, ses choix, ses décisions, sa destinée ?
L'auteur : Madame de La Fayette (1634-1693)
Marie-Madeleine Pioche de la Vergne naît en 1634, dans une famille de petite noblesse. Elle devient demoiselle d'honneur de la reine Anne d'Autriche à 17 ans, et fréquente ainsi la cour et les salons littéraires. À 21 ans, elle épouse le comte de La Fayette, un homme plus âgé qu'elle, et devient Madame de La Fayette.
Elle se lie d'amitié avec la romancière Madeleine de Scudéry, auteure notamment de Clélie, histoire romaine (1654-1660), représentant du mouvement précieux. Madeleine de Scudéry tient un salon littéraire : Madame de La Fayette y rencontre des personnalités littéraires majeures, en particulier le moraliste La Rochefoucauld, qui devient son ami. Devenue la favorite d'Henriette d'Angleterre, belle-sœur du roi Louis XIV, Madame de La Fayette côtoie les grands seigneurs de la cour et crée son propre salon.
Elle publie anonymement la nouvelle La Princesse de Montpensier (1662) qui rencontre un grand succès, puis le roman Zaïde (1670-1671), et surtout La Princesse de Clèves (1678). Elle écrit également d'autres nouvelles, comme « La Comtesse de Tende » et « Histoire d'Henriette d'Angleterre », qui seront publiées à titre posthume. Elle se retire de la cour et des mondanités pour se tourner vers la religion à la fin de sa vie. Elle meurt en 1693.
L'œuvre : La Princesse de Clèves (1678)
La Princesse de Clèves est considéré comme le premier roman d'analyse français. Il a bénéficié d'un grand succès au moment de sa publication. Le récit met en scène une jeune aristocrate de la cour de France qui lutte contre une passion amoureuse.
Le roman est publié anonymement en 1678. Madame de La Fayette n'a jamais revendiqué clairement la maternité de cette œuvre, à la composition de laquelle La Rochefoucauld a certainement participé.
Le roman rencontre un très grand succès lors de sa publication, mais il suscite aussi une querelle littéraire, à propos notamment de la vraisemblance. En effet, certains jugent l'aveu de Mme de Clèves à son mari très inconvenant.
L'action du roman se situe en 1558-1559, époque de la Renaissance, à la cour de Henri II. La narratrice en fait longuement l'éloge au début du roman. La cour de Henri II n'est qu'une transposition de la cour de Louis XIV. Si les personnages principaux du roman portent des noms historiques, l'histoire est fictive. Cet ancrage historique inscrit le personnage dans une société de cour, où chacun est sous le regard de l'autre et se donne en spectacle en permanence. La société joue donc un rôle primordial.
Ce roman est considéré comme le premier roman d'analyse de la littérature française : la peinture du cœur (et notamment de la passion amoureuse) en est le principal objet, et non l'action proprement dite. L'individu est par conséquent au cœur de l'intrigue et le récit explore ses émotions intérieures et sa conscience morale.
L'héroïne du roman, la jeune Mademoiselle de Chartres, apparaît pour la première fois à la cour au début du roman. Sa beauté fait grande impression et elle est demandée en mariage par le prince de Clèves. Elle l'épouse sans amour, sur les conseils de sa mère Mme de Chartres. Au cours du bal organisé au Louvre pour les fiançailles de la fille du roi, elle rencontre le duc de Nemours. Ils tombent immédiatement amoureux l'un de l'autre, et M. de Nemours ne manque pas de lui faire connaître ses sentiments. Toutefois, Mme de Clèves, épouse fidèle, vertueuse et ayant reçu une éducation morale très stricte de la part de sa mère, refuse de s'abandonner à la passion et lutte contre ses sentiments, qu'elle tente de cacher au départ à M. de Nemours et à son mari.
L'héroïsme n'aura de cesse de lutter contre sa passion, par vertu et par fidélité à son époux. La morale collective se heurte ici aux sentiments individuels.
Textes-clés
La rencontre au bal, première partie
Toute la cour est réunie pour les fiançailles de la fille du roi. C'est à cette occasion que la princesse de Clèves et le duc de Nemours se rencontrent pour la première fois.
« Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisaient au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença, et comme elle dansait avec M. de Guise1, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait, et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre2, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna, et vit un homme qu'elle crut d'abord3 ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte, qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois, sans avoir un grand étonnement.
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté, que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser,il s'éleva dans la salleun murmure de louanges. Le roi et les reines4 se souvinrent qu'ils ne s'étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. »
1 Ancien soupirant de Mme de Clèves.
2 Prendre : prendre pour danser.
3 D'abord : immédiatement.
4 Le roi Henri II, son épouse et la reine dauphine, épouse du fils aîné du roi, future reine de France.
- Théâtralisation : préparatifs, entrée en scène, protocole et danse
- Contexte mondain et officiel (présence de la famille royale)
- Beauté exceptionnelle des personnages
- Admiration de la cour pour les personnages
- Caractéristiques du coup de foudre : premier regard, reconnaissance immédiate, surprise et admiration
- Périphrases créant un effet d'attente
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, une rencontre théâtralisée : de « Elle passa » à « qui arrivait. ».
- Deuxième mouvement, un coup de foudre : de « Elle se tourna » à « de son admiration. ».
- Troisième mouvement, le rôle de la cour : de « Quand ils commencèrent » à la fin.
L'essentiel à retenir du texte :
- Le spectacle de la société : La rencontre a lieu dans un contexte mondain et officiel, qui réunit toute la cour pour un événement de la plus haute importance. Les préparatifs, la mise en scène, le respect du protocole, la présence du roi contribuent à donner à cette scène un caractère solennel.
- Individu et société : Cette scène de rencontre inscrit d'emblée l'histoire d'amour entre les personnages dans un cadre social déterminé (et non dans un cadre privé). Le roi ordonne en quelque sorte leur rencontre en invitant Mme de Clèves à danser avec M. de Nemours et assiste plus loin à leurs premiers pas de danse. Toute la cour s'extasie devant le couple qu'ils forment : en raison de leur très grande beauté, ils incarnent une sorte de couple idéal, héroïque.
- Un coup de foudre : La rencontre présente toutes les caractéristiques de la scène traditionnelle de coup de foudre : échange de regards ; immédiateté ; reconnaissance ; impression de surprise et de ravissement. L'amour au premier regard est évoqué avec une pudeur caractéristique du style précieux et classique, comme en témoignent les litotes.
La lettre, troisième partie
La princesse de Clèves intercepte une lettre d'amour destinée à une autre et croit que M. de Nemours en est l'auteur, ce qui cause en elle un sentiment de jalousie jusqu'alors inconnu. Elle découvre par la suite qu'il s'agissait d'un malentendu, mais garde de cet épisode un souvenir douloureux.
« Elle avait ignoré jusqu'alors les inquiétudes mortelles de la défiance1 et de la jalousie ; elle n'avait pensé qu'à se défendre2 d'aimer M. de Nemours et elle n'avait point encore commencé à craindre qu'il en aimât une autre. Quoique les soupçons que lui avait donnés cette lettre fussent effacés, ils ne laissèrent pas3 de lui ouvrir les yeux sur le hasard4 d'être trompée et de lui donner des impressions de défiance et de jalousie qu'elle n'avait jamais eues. Elle fut étonnée de n'avoir point encore pensé combien il était peu vraisemblable qu'un homme comme M. de Nemours, qui avait toujours fait paraître tant de légèreté avec les femmes, fût capable d'un attachement sincère et durable. Elle trouva qu'il était presque impossible qu'elle pût être contente de sa passion. Mais quand je le pourrais5 être, disait-elle, qu'en veux-je faire ? Veux-je la souffrir6 ? Veux-je y répondre ? Veux-je m'engager dans une galanterie7 ? Veux-je manquer à8 M. de Clèves ? Veux-je me manquer à moi-même ? Et veux-je enfin m'exposer aux cruels repentirs et aux mortelles douleurs que donne l'amour ? Je suis vaincue et surmontée par une inclination qui m'entraîne malgré moi. Toutes mes résolutions sont inutiles ; je pensai hier tout ce que je pense aujourd'hui et je fais aujourd'hui tout le contraire de ce que je résolus hier. »
1 Défiance : méfiance.
2 Se défendre : s'empêcher.
3 Ils ne laissèrent pas : ils ne manquèrent pas.
4 Le hasard : l'éventualité.
5 Quand je pourrais… : si je pouvais…
6 Souffrir : supporter.
7 Galanterie : relation amoureuse.
8 Manquer à : être infidèle à.
- Analyse de soi
- Tournure passive et passivité avec « m » COD du verbe
- Souffrance causée par la passion amoureuse
- Jalousie et crainte de l'infidélité
- Accumulation d'interrogations anaphoriques
- Chiasme montrant l'incapacité à se contrôler
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, l'analyse de la jalouse : de « Elle avait ignoré » à « contente de sa passion. ».
- Second mouvement, pensées intérieures de Mme de Clèves : de « Mais quand je le pourrais » à la fin.
L'essentiel à retenir du texte :
- Un passage d'introspection : La princesse de Clèves, personnage principal du roman, se trouve face à elle-même : c'est l'individu ici qui doit se regarder en face. Elle est amenée à analyser ses propres sentiments. Pour la première fois, elle connaît la jalousie amoureuse. Les verbes de pensée sont nombreux et la syntaxe rend compte de cette analyse progressive, qui aboutit à un passage de discours direct rapportant les pensées du personnage (ses questions notamment).
- L'expérience de la jalousie : La jalousie est l'objet principal de la réflexion, en raison de ce que la princesse de Clèves vient de vivre. Elle craint l'infidélité de M. de Nemours, son inconstance. Progressivement, elle en vient à réaliser, avec lucidité, qu'il n'est pas homme à n'aimer qu'une seule femme éternellement.
- La passion amoureuse : Cet épisode fait prendre conscience à la princesse de Clèves des dangers de l'amour. Elle mesure combien il peut faire souffrir, s'interroge sur ses propres intentions et réalise qu'elle ne peut, malgré toutes ses résolutions, vaincre la passion. La fin du passage en particulier rend compte de son état de passivité et de son impuissance face à la passion amoureuse. Cela explique et justifie par avance la décision qu'elle prendra à la fin du récit.
Le refus de la princesse, quatrième partie
Après la mort de M. de Clèves et une fois la période de deuil passée, M. de Nemours espère que la princesse de Clèves acceptera de l'épouser. Or celle-ci refuse et justifie sa décision dans le passage suivant.
« [— […] Par vanité ou par goût, toutes les femmes souhaitent de vous attacher1. Il y en a peu à qui vous ne plaisiez ; mon expérience me ferait croire qu'il n'y en a point à qui vous ne puissiez plaire. Je vous croirais toujours amoureux et aimé et je ne me tromperais pas souvent. Dans cet état néanmoins, je n'aurais d'autre parti2 à prendre que celui de la souffrance ; je ne sais même si j'oserais me plaindre. On fait des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari, quand on n'a qu'à lui repro cher de n'avoir plus d'amour ?] [Quand je pourrais3m'accoutumer à cette sorte de malheur, pourrais-je m'accou tumer à celui de croire voir toujours M. de Clèves vous accuser de sa mort, me reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épousé et me faire sentir la dif férence de4 son attachement au vôtre ?] [Il est impossible, continua-t-elle, de passer par-dessus des raisons si fortes : il faut que je demeure dans l'état où je suis et dans les résolutions que j'ai prises de n'en sortir jamais.]
— Hé ! croyez-vous le pouvoir, madame ? s'écria M. de Nemours. Pensez-vous que vos résolutions tiennent contre un homme qui vous adore et qui est assez heureux pour vous plaire ? Il est plus difficile que vous ne pensez, madame, de résister à ce qui nous plaît et à ce qui nous aime. Vous l'avez fait par une vertu austère, qui n'a presque point d'exemple ; mais cette vertu ne s'oppose plus à vos sentiments et j'espère que vous les suivrez malgré vous.
— Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends, répliqua Mme de Clèves ; je me défie5 de mes forces au milieu6 de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s'il n'était soutenu par l'intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de mon devoir. Mais, quoique je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules et je n'espère pas aussi de surmonter l'inclination que j'ai pour vous. Elle me rendra malheureuse et je me priverai de votre vue, quelque violence7 qu'il m'en coûte. Je vous conjure8, par tout le pouvoir que j'ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me voir. »
1 Attacher : séduire.
2 Parti : résolution.
3 Quand je pourrais… : si je pouvais…
4 La différence de : la différence entre.
5 Je me défie : je me méfie.
6 Au milieu de : au plein cœur de.
7 Violence : souffrance.
8 Je vous conjure : je vous supplie.
- [] Premier argument
- [] Deuxième argument
- [] Conclusion
- Conditionnel à valeur d'irréel du présent, hypothèse rejetée par Mme de Clèves
- Souffrance causée par la passion amoureuse
- Champ lexical de l'amour
- Expression de la vertu, du devoir et de la résolution
- Difficulté du parti pris de Mme de Clèves
- Questions rhétoriques
Mouvements du texte :
- Premier mouvement, argumentation de la princesse de Clèves : de « Par vanité » à « n'en sortir jamais. ».
- Deuxième mouvement, contre-argumentation de M. de Nemours : de « Hé ! croyez-vous » à « malgré vous. ».
- Troisième mouvement, confirmation de la princesse de Clèves : de « Je sais bien » à la fin.
L'essentiel à retenir du texte :
- Le refus motivé de la princesse de Clèves : La princesse de Clèves justifie son refus d'épouser le duc de Nemours. Elle avance principalement deux arguments : la crainte de ne plus être aimée (et la souffrance que cela lui causerait) ; le devoir de respecter son défunt mari (mort d'avoir cru qu'elle lui était infidèle). Ces deux arguments sont présentés comme complémentaires, comme se soutenant l'un l'autre. Ils expliquent le refus catégorique de la princesse, sa détermination à ne plus jamais revoir M. de Nemours.
- Choix individuels et morale : La princesse de Clèves en appelle au devoir, utilisant le lexique de la morale et de la vertu. C'est la morale qui dicte ses choix. Elle considère qu'une nécessité impérative s'impose à elle, ce qu'elle souligne par le ton déterminé qu'elle emploie. Le duc de Nemours oppose à la vertu le pouvoir de l'amour et contre-argumente en disant qu'il n'est pas possible de résister à l'amour. Toutefois, ses arguments ne parviennent pas à convaincre la princesse.
- Une femme héroïque : La résolution de la princesse de Clèves fait d'elle une véritable héroïne, tant le parti qu'elle prend est difficile à tenir, ce qu'elle reconnaît elle-même. Elle admet que cette décision la fait et la fera souffrir, mais elle demeure résolue. Cette vertu a été jugée invraisemblable à l'époque de la publication du roman. Le public ne comprenait pas que la princesse se refuse à l'amour alors que rien ne lui interdisait, aux yeux de la société, d'épouser M. de Nemours. Pourtant, ce refus révèle une crainte très classique de la passion, démesurée, incontrôlable et source de souffrance. En cela, la princesse de Clèves incarne un idéal de mesure et de maîtrise de soi caractéristique de l'éthique classique.