Sommaire
IUne poésie nouvelleALa forme de la poésie contemporaine : continuité et ruptureBLes sources d'inspiration de la poésie contemporaine1Le monde des objets2La communion avec la nature3Dieu4Les sentiments personnels5L'engagement en poésieIIQuelques grands poètes contemporainsAJacques PrévertBFrancis PongeCLéopold Sedar SenghorDAimé CésaireEPhilippe JaccottetFHenri MichauxGJacques RoubaudHJean-Claude PirotteUne poésie nouvelle
La forme de la poésie contemporaine : continuité et rupture
Les poètes contemporains, après 1945, s'inscrivent dans une éthique de continuité et de rupture.
- Ils assimilent l'héritage de la poésie antérieure, de Baudelaire au surréalisme.
- La dominante du registre lyrique se maintient.
- La poésie répercute la crise contemporaine du langage. L'écriture se fait ascétique et intense. Ce soin est poussé à l'extrême dans les Haïkus, modèle japonais repris par les poètes occidentaux.
La poésie contemporaine est marquée par l'Oulipo (Ouvroir de la littérature potentielle). C'est un groupe d'écrivains parmi lesquels Raymond Queneau ou Jacques Roubaud qui se réunit pour produire des formes poétiques contraignantes afin d'encourager la création.
L'Oulipo crée la forme poétique appelée "filigrane" :
"Dans un dictionnaire de référence, sélectionner un certain nombre de locutions contenant un mot donné. Effacer le mot dans chaque locution. Construire un court poème avec ce qui reste."
Les sources d'inspiration de la poésie contemporaine
Les sources d'inspiration de la poésie sont sans cesse renouvelées. Les grandes thématiques sont les suivantes :
- Le monde des objets
- La communion avec la nature
- Dieu
- Les sentiments personnels
- L'engagement en poésie
Le monde des objets
Lorsqu'un petit rocher, lourd et noir, portant son homard en anicroche, s'établit dans une maison, celle-ci doit subir l'invasion d'un rire aux accès argentins, impérieux et mornes. Sans doute est-ce celui de la mignonne sirène dont les deux seins sont en même temps apparus dans un coin sombre du corridor, et qui produit son appel par la vibration entre les deux d'une petite cerise de nickel, y pendante.
Aussitôt, le homard frémit sur son socle. Il faut qu'on le décroche : il a quelque chose à dire, on veut être rassuré par votre voix.
D'autres fois, la provocation vient de vous-même. Quand vous y tente le contraste sensuellement agréable entre la légèreté du combiné et la lourdeur du socle. Quel charme alors d'entendre, aussitôt la crustace détachée, le bourdonnement gai qui vous annonce prêtes au quelconque caprice de votre oreille les innombrables nervures électriques de toutes les villes du monde !
Il faut agir le cadran mobile, puis attendre, après avoir pris acte de la sonnerie impérieuse qui perfore votre patient, le fameux déclic qui vous délivre sa plainte, transformée aussitôt en cordiales ou cérémonieuses politesses... Mais ici finit le prodige et commence une banale comédie.
Francis Ponge
Pièces, L'appareil du téléphone
La communion avec la nature
Les nuages sont dans les rivières, les torrents parcourent le ciel.
Sans saisie les journées montent en graine, meurent en herbe.
Le temps de la famine et celui de la moisson, l'un sous l'autre dans l'air haillonneux, ont effacé leur différence.
Ils filent ensemble, ils bivaquent!
Comment la peur serait-elle distincte de l'espoir, passant raviné? 11 n'y a plus de seuil aux maisons, de fumée aux clairières.
Est tombé au gouffre le désir de chaleur — et ce peu d'obscurité dans notre dos où s'inquiétait la primevère dès qu'épiait l'avenir.
Pont sur la route des invasions, mentant au vainqueur, exorable au défait.
Saurons-nous, sous le pied de la mort, si le cœur, ce gerbeur, ne doit pas précéder mais suivre?
René Char
L'allégresse
Dieu
Pitié pour nous Seigneur Tes derniers survivants
car Tu nous a donné ces morts en héritage
nous sommes devenus les pères de nos morts.
Pitié pour nous Seigneur pitoyables parâtres
qui avons engendré ces hommes dans la Mort :
et nous voici séparés d'eux par leur cadavre
eux qui sont déjà morts et fondés en Ta nuit.
Notre obscure journée s'éblouit de leur nuit
notre chair se révulse au contact de leur ombre
nous n'avons point assez de nuit pour nous terrer
nous sommes nus jusqu'à la moelle dans leur gloire
et nos mots tombent en poussière en leur pensée
nous sommes devenus étrangers à nous-mêmes
de grands vents soufflent qui nous chassent de la chair
nous tremblons de mourir et nous tremblons de vivre
nous sommes pour toujours en deçà de la Mort.
Pierre Emmanuel
Jour de colère, Miserere
Les sentiments personnels
Ce que je me dis à moi-même
jamais ne passe mes lèvres
de ce que je lis dans les livres
ne naît pas l'oubli de mes peines
or mes peines sont ordinaires
pourquoi résisteraient-elles
à la grâce d'un vol d'oiseaux
sauvages au bord du ciel
les oiseaux migrateurs sont loin
la peine toujours se réveille
et je ne peux tendre la main
qu'à cette ombre inconnue qui m'appelle
Jean-Claude Pirotte
La boîte à musique
L'engagement en poésie
ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre
ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale.
Aimé Césaire
Cahier d'un retour au pays natal
Quelques grands poètes contemporains
Jacques Prévert
Né en 1900 et mort en 1977, Jacques Prévert a notamment écrit Paroles. Il est célèbre pour ses jeux de mots et sur le jeu de sa poésie sur le langage.
Chanson de l'oiseleur
L'oiseau qui vole si doucement
L'oiseau rouge et tiède comme le sang
L'oiseau si tendre l'oiseau moqueur
L'oiseau qui soudain prend peur
L'oiseau qui soudain se cogne
L'oiseau qui voudrait s'enfuir
L'oiseau seul et affolé
L'oiseau qui voudrait vivre
L'oiseau qui voudrait chanter
L'oiseau qui voudrait crier
L'oiseau rouge et tiède comme le sang
L'oiseau qui vole si doucement
C'est ton cœur jolie enfant
Ton cœur qui bat de l'aile si tristement
Contre ton sein si dur si blanc
Jacques Prévert
Paroles
Francis Ponge
Né en 1899 et mort en 1988, Francis Ponge a notamment écrit Le Parti pris des choses. Sa poésie est inspirée par le monde des objets.
La pluie
La pluie, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c'est un fin rideau (ou réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigueur, une fraction intense du météore pur. A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs presque d'une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes. Selon la surface entière d'un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée à cause de courants très variés par les imperceptibles ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d'un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout à coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tréssé, jusqu'au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.
Chacune de ses formes a une allure particulière: il y répond un bruit particulier. Le tout vit avec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hasardeux, comme une horlogerie dont le ressort est la pesanteur d'une masse donnée de vapeur en précipitation.
La sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coups de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.
Lorsque le ressort s'est détendu, certains rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s'arrête. Alors si le soleil reparaît tout s'efface bientôt, le brillant appareil s'évapore : il a plu.
Francis Ponge
Le parti pris des choses
Léopold Sedar Senghor
Né en 1906 et mort en 2001, Léopold Sedar Senghor est le poète de la négritude et de la francophonie.
Prière aux masques
Masques! Ô Masques!
Masques noirs masques rouges, vous masques blanc-et-noir
Masques aux quatre points d'où souffle l'Esprit
Je vous salue dans le silence!
Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de lion.
Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane
Vous distillez cet air d'éternité où je respire l'air de mes Pères.
Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette comme de toute ride
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur l'autel de papier blanc
A votre image, écoutez-moi!
Voici que meurt l'Afrique des empires – c'est l'agonie d'une princesse pitoyable
Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril.
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l'on commande
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement.
Que nous répondions présents à la renaissance du Monde
Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l'aurore?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventrés?
Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds
reprennent vigueur en frappant le sol dur.
Léopold Sedar Senghor
Chant d'Ombre
Aimé Césaire
Né en 1913 et mort en 2008, Aimé Césaire est l'autre grand poète de la négritude. Il met son art au service de l'anticolonialisme.
A hurler
Salut cri rauque
torche de résine
to se brouillent les pistes
tes poux de pluie et les souris blanches
Fou à hurler je vous salue de mes hurlements plus blancs que la mort
Mon temps viendra que je salue
grand large
simple
où chaque mot chaque geste éclairera
sur ton visage de chèvre blonde
broutant dans la cuve affolante de ma main
Et là là
sonne sangsue
là l'origine des temps
la fin des temps
et la majesté droite de l'œil originel.
Aimé Césaire
Cadastre
Philippe Jaccottet
Né en 1925, Philippe Jaccottet écrit de courts poèmes inspirés par le rapport de l'homme avec la nature.
"La semaison" et "Paysages avec figures absentes" sont deux poèmes de Philippe Jaccottet
Henri Michaux
Né en 1899 et mort en 1984, Henri Michaux voit la littérature comme une expérience vécue. Désarmé face à la condition humaine, le jeu sur le langage est la seule arme qui lui reste.
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, où si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans le troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Henri Michaux
La nuit remue
Jacques Roubaud
Né en 1932 et membre de l'Oulipo, Jacques Roubaud est le poète des formes fixes. Il apprécie les contraintes par lesquelles s'exprime son talent poétique.
I
je commence une mongine
elle sera sans doute la première
de son espèce sa définition
se voit en elle, et dans ce qu'elle dit
comme une sextine elle aura six strophes
dans chaque strophe il y aura six vers
II
en notant ce qui est dit
on pourra poser sa définition
on connaît déjà le nombre des strophes
(renseignement donné dès la première)
et ce nombre, six, est celui des vers
dont se pare une strophe de mongine
III
la III, comme la première
a un premier vers de sept ‘pieds’, les strophes
ont toutes cette propriété : vers
un, sept syllabes, par définition
pareille à la sextine est la mongine
sur ce point. notez bien ce qu'on vous dit
IV
pour notre définition
le modèle est celle d'Arnaut, les vers
autres que les premiers dans la mongine
ont dix syllabes dans toutes les strophes
maintenant je vous ai presque tout dit
chaque strophe reproduit la première
V
les mots-rimes de ces strophes
d'une manière propre à la mongine
sont déplacés, permutés (Guilbaud dit
‘tropical’ le ‘bougé’ de tous les vers
qui ‘signe’ des sextines la première)
déterminant la séquence des strophes
VI
la ‘tourne’ des fins de vers
crée le ‘désordre ordonné’ qui est dit
une caractéristique première
de la sextine et vaut pour la mongine
également par sa définition
pour vous exposée ici en six strophes
tornada
tout est dit. fin de la définition
des six strophes : cinq après la première
trente neuf vers qui font cette mongine
Jacques Roubaud
Jean-Claude Pirotte
Né en 1939 et mort en 2014, Jean-Claude Pirotte est un poète belge. Selon Macha Séry, journaliste au Monde, il est "le poète du quotidien et du paysage, des bonheurs fragiles, de la solitude et des "ciels immenses, gorgés de vent".
C'est le seul moment du jour où je m'éprouve en vie avec une sorte de ravissement enfantin. La cigarette, le café fumant, le dessin gris bleuté des branches nues dans les jardinets. Le silence aérien. Il fait frisquet dans la cuisine et cela ne me gêne pas, moi qui ai toujours froid.
Une fumée blanche s'échappe d'un coin de la maison et s'évade entre deux sapins à la tête blanchie pour se mêler au ciel pâle. un chien noir traverse une pelouse.
Jean-Claude Pirotte
Brouillard