Sommaire
ILe lien entre conflits et résolutions : les structures dramatiques et romanesquesALe personnage littéraire, ses valeurs et la sociétéBLa question du dilemmeCLa dramatisation du conflitDL'échec de la rébellionIILe roman au XIXe siècle : une remise en cause de la sociétéALe XIXe, un siècle d'injustices socialesBLes esthétiques réaliste et naturalisteIIILa naissance du personnage porteur de valeursALe héros, un exemple moralBLe personnage et ses attitudes face à la sociétéLe lien entre conflits et résolutions : les structures dramatiques et romanesques
Le personnage littéraire, ses valeurs et la société
L'idée du conflit entre un personnage et la société est présente dans toute la littérature. Toutefois, deux genres littéraires se prêtent particulièrement à la représentation d'un héros qui défend des valeurs contre une société qui lui paraît injuste :
- Le théâtre
- Le roman
La littérature prend une dimension morale lorsqu'elle se met au service de la défense de certaines valeurs. L'œuvre littéraire et les personnages peuvent alors :
- Servir à l'auteur pour incarner une idée et construire leur argumentation
- Confronter différentes valeurs incarnées par différents personnages
- Opposer un individu (ou un groupe d'individus) au reste de la société
Les personnages subissent souvent un conflit intérieur, aussi appelé dilemme lorsqu'ils sont en confrontation avec la société. Ils incarnent :
- Le refus
- La révolte
- La rébellion
- L'insurrection
- La révolution
- Un principe
- Une idée
- La transgression
Le personnage peut également être celui qui est d'accord avec la société et ses valeurs et la défend. Dans ce cas, il incarne :
- L'obéissance
- L'acceptation
- L'intégration
- L'assimilation
La question du dilemme
Dilemme
Le dilemme est au cœur même de l'action dramatique. Il s'agit d'un conflit intérieur qui déstabilise le personnage et le laisse seul face à ses choix. Le héros est en lutte contre lui-même. Deux idées s'affrontent en lui, deux idéaux, deux devoirs et il ne peut pas choisir.
Le dilemme déchire le personnage qui doit choisir entre deux solutions. Souvent, ces solutions sont :
- Une solution personnelle en rapport avec l'amour
- Une solution liée à la société, la raison et à l'honneur
Le dilemme est particulièrement utilisé au théâtre. On parle d'ailleurs de dilemme cornélien en référence au dramaturge Corneille, dont les personnages sont souvent en proie à des conflits intérieurs impossibles à résoudre.
Le monologue dit des "stances" dans Le Cid, Acte I, scène 6, est un bon exemple de dilemme.
Le dilemme est au cœur de l'action dramatique puisque le personnage devra exposer ses choix au spectateur, le plus souvent par un monologue. En effet, le conflit est intérieur, le héros lutte contre lui-même mais pour que le spectateur suive l'action dramatique, il doit expliquer ses deux idées à voix haute. La confrontation des valeurs est facilitée au théâtre par le dialogue ou le monologue délibératif.
Dialogue
Le dialogue est un échange verbal entre deux personnages.
ISMÈNE.
Tu sais, j'ai bien pensé, Antigone.
ANTIGONE.
Oui.
ISMÈNE.
J'ai bien pensé toute la nuit. Tu es folle.
ANTIGONE.
Oui.
ISMÈNE.
Nous ne pouvons pas.
ANTIGONE (après un silence, de sa petite voix).
Pourquoi ?
ISMÈNE.
Il nous ferait mourir.
ANTIGONE.
Bien sûr. À chacun son rôle. Lui, il doit nous faire mourir, et nous, nous devons aller enterrer notre frère. C'est comme ça que ça a été distribué. Qu'est-ce que tu veux que nous y fassions ?
ISMÈNE.
Je ne veux pas mourir.
ANTIGONE (doucement).
Moi aussi j'aurais bien voulu ne pas mourir.
ISMÈNE.
Écoute, j'ai bien réfléchi toute la nuit. Je suis l'aînée. Je réfléchis plus que toi. Toi, c'est ce qui te passe par la tête tout de suite, et tant pis si c'est une bêtise. Moi, je suis plus pondérée. Je réfléchis.
ANTIGONE.
Il y a des fois où il ne faut pas trop réfléchir.
Jean Anouilh
Antigone, Paris, Éditions de la Table ronde, 1946
Première représentation : 1944
Jean Anouilh met ici en scène un dialogue. La sœur d'Antigone, Ismène se présente comme celle qui a raison et donne des arguments. Antigone quant à elle refuse d'argumenter car elle est certaine de ses valeurs et se dresse à la fois contre sa sœur, contre son oncle et contre les lois de Thèbes.
Monologue
Le monologue est un discours théâtral qu'un personnage prononce seul sur scène.
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse ;
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
Ô Dieu, l'étrange peine!
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ?
Père, maîtresse, honneur, amour,
Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,
Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie.
L'un me rend malheureux, l'autre indigne du jour.
Pierre Corneille
Le Cid, acte I, scène 6, Paris, éd. F. Targa
1637
Cet extrait est un monologue délibératif, c'est-à-dire que le personnage exprime son hésitation sur la décision à prendre. En effet, Don Diègue vient de s'entretenir avec son fils, Rodrigue et lui a demandé de le venger d'un affront que le père de sa bien-aimée Chimène lui a fait subir. Le jeune homme doit alors choisir entre l'honneur de son père, et de fait, le sien, ou l'amour de Chimène. Il est en plein dilemme.
Le dilemme se retrouve également dans le roman.
Dans le chapitre "Tempête sous un crâne" du roman Les Misérables, écrit par Victor Hugo en 1862, le personnage de Jean Valjean est livré à un dilemme. Il hésite entre se dénoncer pour sauver un innocent ou garder le silence.
La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette est un roman publié en 1678 qui repose entièrement sur un dilemme. En effet, la princesse doit choisir entre rester fidèle à ses principes et idéaux ou succomber à la passion qu'elle éprouve pour le duc de Nemours.
La dramatisation du conflit
Le conflit se dramatise lorsque le personnage s'oppose aux valeurs de la société. Il rejette les règles imposées par celle-ci, ce qui le pousse à la révolte individuelle puis à la rébellion collective, voire à l'insurrection menant à la révolution.
Le personnage d'Antigone est, dans toutes ses versions, l'incarnation de la lutte contre la société.
Le théâtre repose souvent sur un conflit qu'il faut résoudre et les pièces sont souvent construites en deux parties :
- La confrontation des valeurs des personnages
- La résolution du conflit
Ce schéma est le même dans les tragédies et les comédies. La différence est que dans les comédies, la résolution est heureuse alors que dans les tragédies elle est malheureuse
On retrouve ces deux notions dans le genre romanesque. Elles créent le suspense, l'attention du lecteur est accaparée. Le lecteur peut d'ailleurs s'identifier à un personnage et croire aux valeurs qu'il véhicule.
L'échec de la rébellion
De nombreuses tragédies et de nombreux romans reposent sur l'échec de la rébellion du personnage contre la société. La littérature montre souvent que les valeurs individuelles sont écrasées par la société. Ce sont les valeurs collectives qui priment. Il est parfois matériellement impossible de porter individuellement une valeur.
Dans le roman d'Albert Camus La Peste, publié en 1947, le médecin Rieux finit par lutter seul contre l'épidémie de la maladie à Oran.
Dans Bérénice de Racine, publiée en 1671, l'héroïne pense que les valeurs individuelles ne doivent pas passer après celles de la communauté. En effet, elle aime le roi Titus, mais il ne peut pas se marier avec elle car elle est une reine étrangère. Elle se bat pour pouvoir vivre son amour, estimant que le bonheur individuel doit compter. À la fin de la pièce, elle se résout toutefois à quitter Titus et le laisser devenir roi : les valeurs collectives ont primé sur les valeurs individuelles.
LISETTE.
Quoi ! Vous n'épouserez pas celui qu'il vous destine ?
SIVLIA.
Que sais-je ? peut-être ne me conviendra-t-il point, et cela m'inquiète.
[…]
SILVIA.
Dorante arrive ici aujourd'hui ; si je pouvais le voir, l'examiner un peu sans qu'il me connût ! Lisette a de l'esprit, monsieur ; elle pourrait prendre ma place pour un peu de temps, et je prendrais la sienne.
MONSIEUR ORGON.
Son idée est plaisante. (Haut.) Laisse-moi rêver un peu à ce que tu me dis là. (À part.) Si je la laisse faire, il doit arriver quelque chose de bien singulier.
Marivaux
Le Jeu de l'amour et du hasard, Acte I, scènes 1 et 2, Paris, éd. Briasson
1730
Silvia veut pouvoir choisir son époux par amour. Toutefois, à la fin de la pièce, elle épouse bien Dorante, de la même classe sociale que lui. Elle tombe amoureuse de lui, mais les valeurs bourgeoises représentées dans la pièce ne sont pas remises en cause malgré le discours de la jeune héroïne. Elle finit par faire ce qu'on attend d'elle.
Le roman au XIXe siècle : une remise en cause de la société
Le XIXe, un siècle d'injustices sociales
C'est au XIXe siècle que se développe une littérature romanesque importante qui remet en cause la société et ses valeurs. Plusieurs événements historiques expliquent cette opposition à la société et cette prise de conscience des injustices sociales :
- Les révolutions industrielles
- Le travail des ouvriers
- Le développement des villes et des conditions difficiles de vie dans les grandes agglomérations
Le but des auteurs est de faire passer des idées et de véhiculer des valeurs auxquelles ils tiennent. La fiction devient un moyen pour mettre en évidence les injustices et les conditions de vie des plus démunis.
De nombreux écrivains du XIXe siècle sont engagés en littérature et en politique. Ils militent contre toutes les injustices :
- La peine de mort
- Le travail des enfants
- L'esclavage
- Les conditions des travailleurs
Mylords, les impôts que vous votez, savez-vous qui les paie ? Ceux qui expirent. Hélas ! Vous vous trompez. Vous faites fausse route. Vous augmentez la pauvreté du pauvre pour augmenter la richesse du riche. C'est le contraire qu'il faudrait faire. Quoi, prendre au travailleur pour donner à l'oisif, prendre au déguenillé pour donner au repu, prendre à l'indigent pour donner au prince ! Oh ! Oui, j'ai du vieux sang républicain dans les veines. J'ai horreur de cela.
Victor Hugo
L'Homme qui rit, s.l., éd. Albert Lacroix
1869
Victor Hugo dénonce les différences de classes sociales. La ponctuation expressive renforce la portée du discours. Le personnage s'adresse directement à son auditoire et les interpelle en répétant "vous". Il considère les membres de l'aristocratie en face de lui responsables de l'injustice qu'il a vécue.
Les esthétiques réaliste et naturaliste
Plusieurs courants littéraires naissent au XIXe siècle avec pour but de dénoncer les injustices et de définir de nouvelles valeurs. Les deux principaux sont
- Le réalisme
- Le naturalisme
Réalisme
Le réalisme est un courant littéraire qui a pour but de produire un "effet de réel". Les écrivains réalistes cherchent à montrer le monde tel qu'il est vraiment.
Par exemple, les personnages des romans réalistes doivent avoir des noms et prénoms possibles de personnes et le cadre spatio-temporel doit être réel ce qui permet au lecteur de s'y identifier.
Dans le réalisme, les héros ne sont pas des personnages extraordinaires, mais au contraire des êtres ordinaires issus parfois d'un milieu très pauvre. Les auteurs réalistes veulent donner à voir ces personnes dont la littérature parle peu.
Naturalisme
Le naturalisme est un courant littéraire qui vient après le réalisme. Les auteurs naturalistes cherchent à faire de la littérature une science sociale dans laquelle le personnage est influencé par son milieu et son hérédité.
Dans la saga des Rougon-Macquart d'Émile Zola, les personnages ne peuvent pas échapper à leur milieu d'origine. Les problèmes familiaux se transmettent de génération en génération : alcoolisme, inceste, folie, etc.
Les auteurs réalistes et naturalistes s'opposent au romantisme et à sa vision idéalisée du monde. Ils veulent représenter fidèlement leur époque de façon neutre et objective. Ils mettent en scène des personnages qui sont ordinaires et viennent de classes sociales différentes.
Gervaise, héroïne de L'Assommoir de Zola publié en 1876, est issue de la classe sociale ouvrière.
Eugénie Grandet, héroïne du livre éponyme de Balzac publié en 1833, est issue de la bourgeoisie.
L'écrivain n'est plus uniquement un créateur, un artiste, mais il devient :
- Un observateur
- Un scientifique
- Un journaliste
- Un expérimentateur
Flaubert effectue de longues recherches avant d'écrire ses romans, tâchant d'en apprendre le plus possible sur le sujet qu'il traite. Pour rédiger Madame Bovary, publié en 1857 et dans lequel Charles pratique la médecine, il a lu de nombreux ouvrages médicaux.

Gustave Courbet, Un enterrement à Omans, 1849 - 1850
© Wikimedia Commons
Le réalisme se retrouve dans différents arts et notamment en peinture. Ce tableau a créé une grande polémique lors de sa présentation. En effet, il est accusé d'être trivial car le peintre représente une scène de vie banale sur un très grand format. On accuse Courbet de ne pas respecter la noblesse de la peinture.
La naissance du personnage porteur de valeurs
Le héros, un exemple moral
La littérature met en scène et donne à voir des héros porteurs de valeurs morales telles que :
- Le courage
- L'honnêteté
- La fraternité
- La liberté
- L'égalité
Ces concepts devraient être ceux de toute société : le héros est là pour porter ces valeurs et servir de modèle au lecteur. Ses valeurs peuvent devenir des principes de vie. Le personnage principal n'existe plus que par ses idées. Il représente un idéal, il incarne une pensée.
Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo, publié en 1862, devient un homme bon et honnête pendant tout le roman. Le personnage porte les valeurs humanistes et positives de Victor Hugo qui en fait le symbole de l'homme honnête, capable du meilleur malgré la dureté de la vie.
Le personnage et ses attitudes face à la société
Le personnage de littérature peut avoir différentes réactions face à la société. Il peut se dresser contre elle et incarner :
- La figure du rebelle
- La figure du révolté
- La figure du paria
Un personnage de rebelle est :
- Celui qui refuse d'obéir à une autorité.
- Celui qui agit en dehors des règles établies.
Monsieur Montag, c'est un lâche que vous avez en face de vous. J'ai vu où on allait, il y a longtemps de ça. Je n'ai rien dit. Je suis un des innocents qui auraient pu élever la voix quand personne ne voulais écouter les "coupables", mais je n'ai pas parlé et suis par conséquent devenu moi-même coupable. Et lorsque en fin de compte les autodafés de livres ont été institutionnalisés et les pompiers reconvertis, j'ai grogné deux ou trois fois et je me suis tu, car il n'y avait alors plus personne pour grogner ou brailler avec moi.
Ray Bradbury
Fahrenheit 451, trad. Henri Robillot, Paris, éd. Denoël (1955)
1953
Le héros Guy Montag, le pompier de Fahrenheit 451, se dresse contre la société. Il vit dans un monde dans lequel les gens ne lisent plus mais sont face à des écrans. La population est maintenue dans un état permanent d'abrutissement dans ce système totalitaire où la culture n'a plus de place. Chaque livre découvert doit être brûlé. Mais un jour Montag se rebelle, il sauve un livre et le lit.
Un personnage de révolté est :
- Celui qui s'insurge contre la façon dont fonctionne la société.
- Celui qui décide qu'il faut changer les choses et entre en révolution.
Julien Sorel est un révolté qui remet en question les règles de la société. Il ne se comporte pas comme il le devrait par rapport à son statut social et exige d'avoir le droit de prétendre à une haute position hiérarchique. À la fin du roman Le Rouge et le Noir, il est condamné à mort. Il sait que c'est moins parce qu'il a tenté de tuer Madame de Rênal que parce qu'il représente une menace pour la société en refusant de se conformer à ce qu'on lui demande.
Un personnage de paria questionne la société car il n'agit pas comme on l'attend. Il inquiète et gêne. Même s'il peut agir de façon terrifiante, il pousse à questionner les normes et les valeurs de la société.
Le personnage de Médée est une célèbre paria. Détestée et jugée car elle est une mère infanticide, elle n'en reste pas moins un personnage fascinant qui remet en cause le monde. Dans la tragédie d'Euripide, elle part triomphante sur son char tiré par des dragons après avoir tué les enfants qu'elle a eus avec Jason. Non punie pour son crime, elle ébranle la société et la justice.