L'éducation comme socialisation
Émile Durkheim
Émile Durkheim
L'Éducation morale
1902
Émile Durkheim (1858 - 1917) était professeur de pédagogie et de sciences sociales à l'université de la Sorbonne. Il fonde en 1896 la revue L'Année sociologique. Il a publié des ouvrages célèbres : Les Règles de la méthode sociologique (1895) et Le Suicide (1897). Il est considéré comme le père fondateur de la sociologie en France.
Durkheim a notamment analysé les relations entre l'individu et la société en comparant les sociétés traditionnelles aux sociétés modernes. Il s'interroge sur le monde moderne, qui est celui des sciences et des techniques. Durkheim s'est questionné sur ce que doit être l'éducation au temps des sciences (et pas seulement l'éducation aux sciences). Il est le premier à s'être interrogé sur le rôle de l'école : pour lui, l'école est l'institution de socialisation par excellence, car elle a fait de l'individu un être social. Il montre ainsi que l'école n'enseigne pas que des connaissances théoriques, mais a aussi un rôle essentiel dans la société, car elle inculque aux individus ses normes et valeurs.
Durkheim s'interroge alors sur ce que l'école dit enseigner. Il voit dans la laïcité de l'école une garantie de la solidarité sociale. La République doit formuler un idéal commun de croyances, de valeurs et de savoirs, participant ainsi à la création et au développement d'une culture commune à tous les individus.
Si j'ai pris pour sujet de cours le problème de l'éducation morale, ce n'est pas seulement en raison de l'importance primaire que lui ont toujours reconnue les pédagogues, mais c'est qu'il se pose aujourd'hui dans des conditions de particulière urgence. En effet, c'est dans cette partie de notre système pédagogique traditionnel […] que l'ébranlement est peut-être le plus profond, en même temps qu'il est le plus grave car tout ce qui peut avoir pour effet de diminuer l'efficacité de l'éducation morale, tout ce qui risque d'en rendre l'action plus incertaine, menace la moralité publique à sa source même. Il n'est donc pas de question qui s'impose d'une manière plus pressante à l'attention du pédagogue.
Émile Durkheim
L'Éducation morale
1902
L'Éducation morale est le premier cours donné par Durkheim à la Sorbonne sur la science de l'éducation. Durkheim pose un postulat de base, expliquant que tout fait moral est un fait social. Il fait ainsi de l'éducation le principal vecteur d'une morale envisagée comme une tradition à transmettre, à s'accaparer et à renouveler. L'éducateur en est son instrument.
L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques, intellectuels et mentaux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu social auquel il est particulièrement destiné.
Émile Durkheim
Article "Éducation", dans le Nouveau dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson
1911
Il s'agit de la première définition sociologique de l'éducation, qui est ici définie par Durkheim comme une pratique sociale. Toute société fabrique toujours par son système d'éducation les hommes dont elle a besoin. L'éducation est bien une forme de socialisation ; elle fait de l'enfant un être social. L'éducation est une socialisation systématique, exercée des générations adultes sur les plus jeunes.
L'Homme pluriel
Bernard Lahire
Bernard Lahire
L'Homme pluriel : les ressorts de l'action
1998
Bernard Lahire est un sociologue français né en 1963. Il dirige au CNRS le groupe de recherche sur la socialisation depuis 2003. Dans L'Homme pluriel, Lahire remet en cause la notion d'habitus de Bourdieu.
La sociologie a longtemps considéré que l'Homme était uniformément façonné par son milieu social. Or, dans les sociétés modernes, de plus en plus d'individus sont amenés à incorporer des façons différentes de penser et de se comporter. Lahire explique que la pluralité des contextes permet l'émergence d'une pluralité de dispositions que l'individu trouve en lui. Il met donc en évidence le caractère pluriel des habitus, là où Bourdieu insistait sur le côté unique et unifié de l'habitus des individus dans une classe sociale.
Un homme pluriel, c'est un homme qui n'a pas toujours vécu à l'intérieur d'un seul et unique univers socialisateur, qui a donc traversé et fréquenté plus ou moins durablement des espaces (des matrices) de socialisation différents (et même parfois socialement vécus comme hautement contradictoires). L'homme pluriel est donc porteur de dispositions, d'abrégés d'expériences multiples et pas forcément toujours compatibles… Il doit pourtant "faire avec". Cette situation peut lui poser un grave problème si des dispositions viennent se contredire dans l'action. Elle peut aussi être inaperçue par l'acteur lui-même si, comme c'est très fréquemment le cas, les dispositions ne s'activent que dans des contextes ou des domaines de pratiques limités et séparés les uns des autres. L'homme pluriel, c'est l'homme dont l'ensemble des pratiques est irréductible à "une formule génératrice" ou à "un principe générateur".
Bernard Lahire
Interview sur le site de Nathan Université
Lahire propose le terme d'"Homme pluriel" pour désigner le fait que les individus ne peuvent pas être réduits à un seul habitus. Ils ont toujours plusieurs facettes de personnalité, y compris dans leurs rôles sociaux. Lahire s'oppose donc en partie à la vision bourdieusienne en mettant l'accent sur la pluralité des habitus qui composent un individu dans la société.
La théorie des capitaux
Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron
Les Héritiers
1964
Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron
La Reproduction
1970
Pierre Bourdieu (1930 - 2002) est un sociologue français qui s'inscrit dans la tradition durkheimienne et "holiste" de l'étude des faits sociaux. À travers son œuvre, il a montré comment les individus incorporent et intériorisent des normes et valeurs établies. Il s'appuie sur la notion d'habitus, laquelle explique que les individus adoptent des pratiques, des règles et des contraintes issues du milieu social d'origine. L'individu calque donc ses comportements sur ce qui est attendu de lui.
La structure de l'habitus reflète les capitaux dont disposent les individus : le capital économique, social et culturel. Bourdieu s'intéresse tout particulièrement au capital culturel, auquel il consacre de nombreux articles, et qui lui permet d'analyser et d'expliquer le mécanisme de reproduction sociale à l'œuvre au sein même de l'école. Bourdieu est allé jusqu'à dire que l'école est "une instance légitimée de reproduction sociale". En effet, l'école véhicule la culture "dominante" et nie les différences notamment culturelles, ce qui a pour effet de favoriser les milieux privilégiés et au contraire de défavoriser voire décourager les enfants des classes populaires, ceux-ci ne se reconnaissant pas dans le modèle divulgué et rencontrant de nombreux obstacles. Le capital social recouvre le réseau dont disposent les individus, et est en relation directe avec le capital culturel et économique. Enfin, ces capitaux ont une dimension "symbolique", c'est-à-dire qu'ils sont plus ou moins reconnus et valorisés par la société. Les capitaux les plus valorisés sont dits "légitimes".